[LUM#18] Vers une pêche durable

Comment concilier l’exploitation et la préservation des ressources halieutiques ? C’est le principal défi rencontré aujourd’hui par le secteur de la pêche. Pour contribuer à le relever, les bio-économistes apportent dans leurs filets de précieux outils permettant de faire face à ce qu’on appelle la “tragédie des biens communs”. Explications avec Luc Doyen, chercheur au Centre d’économie de l’environnement de Montpellier.

© IRD – Thibaut Vergoz

85 millions de tonnes. C’est la quantité de poisson qui a été pêchée en mer en 2018 selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture. Une quantité en stagnation depuis plusieurs décennies, malgré une pression de pêche croissante. En cause : une biodiversité marine à la baisse. « 35 % des stocks sont considérés comme surexploités, c’est-à-dire que les quantités de poisson pêchées ne permettent pas à la population de se renouveler » souligne Luc Doyen, économiste au CEE-M*.

Comment pêcher assez de poisson pour nourrir une population mondiale en pleine croissance et faire vivre la filière économique, tout en préservant les écosystèmes et la biodiversité marine ? « Une idée est de tendre à un rendement maximal durable en prélevant le “surplus” de poissons sans affecter la viabilité de la ressource, en la maintenant à l’équilibre à des niveaux stationnaires. Mais pour cela il y a trois dimensions, écologiques, économiques et sociales qui rentrent en tension et qu’il faut réconcilier », analyse le chercheur du CNRS.

Guerre du poisson

Car en mer, les poissons n’appartiennent généralement à personne, et c’est bien ce qui rend si compliquée la régulation de la pêche. « En économie on appelle cela la tragédie des biens communs : si les bancs de poissons sont des biens communs en accès libre, alors tout le monde peut les pêcher. Mais un poisson prélevé par un pêcheur n’est plus disponible ni pour les autres pêcheurs, ni pour la reproduction future de la ressource. » Conséquence : une véritable guerre du poisson où les pêcheurs ont tout intérêt à prélever le maximum et le plus vite possible, « et où celui qui a le plus de moyens pêche le plus ».

Pour éviter que cette « fish war » ne vide les océans, une politique de régulation de l’accès à la ressource est indispensable. « Les outils scientifiques de politique publique visant à réguler la pêche à l’échelle européenne ont vu le jour dans les années 1950 », explique le spécialiste de bio-économie. La PCP, politique Européenne commune des pêches, fixe des quotas de capture déterminés en fonction des études scientifiques sur l’état des espèces et leur reproduction. Puis les quotas qui concernent l’ensemble des eaux européennes sont ensuite répartis entre les pays puis les différentes organisations de pêcheurs concernées.

Mais si la gestion de la pêche relève des pays côtiers dans leur zone économique exclusive, soit jusqu’à environ 370 kilomètres de la côte, au-delà, c’est- à-dire dans la haute mer, la liberté de pêche prévaut. « Dans ces zones non régulées on fait ce que l’on veut, et pour éviter les dégâts de la course au poisson il faut une politique de coordination et de coopération entre les acteurs à l’échelle supranationale. »

Marché de quota

Car la pêche implique une grande hétérogénéité d’acteurs – pêcheurs, ONG, consommateurs, touristes – qui ne sont pas tous d’accords. « La politique publique est donc un levier capital pour préserver les ressources et l’apport de l’économie de l’environnement y est majeur et même précurseur. L’économie n’est pas hors sol, elle apporte ici des concepts, des méthodes d’évaluation pour établir des recommandations et des instruments pour opérationnaliser des stratégies et des objectifs. » Plusieurs types d’instruments issus de la recherche en économie ont ainsi été proposés pour faire face à cette tragédie des biens communs.

Des instruments règlementaires notamment : « comme par exemple les quotas de pêche ou encore les aires protégées qui ont pour but de limiter l’accès aux ressources ». Pour compléter ces dispositifs, il existe aussi des instruments financiers, tout ce qui relève des diverses taxes et des subventions, comme par exemple les taxes sur le débarquement des poissons ou sur le carburant.

« Un autre outil important concerne les marchés de quotas de pêche, explique Luc Doyen. Chaque pêcheur ou organisation de pêche reçoit un quota initial pour une espèce considérée basé par exemple sur son historique de pêche. Mais si un acteur veut pêcher plus que son quota initial et qu’un autre ne va pas utiliser tout le sien, on peut faire un transfert via un marché avec un prix de quota, à l’image du système communautaire d’échange de quotas d’émissions de gaz à effet de serre », détaille l’économiste.

Ces marchés de quotas de pêche sont largement utilisés en Nouvelle Zélande, mais en Europe pour l’instant c’est plutôt un système de troc qui prévaut. Si ce système de transférabilité des quotas est loin de faire l’unanimité parmi tous les acteurs de la filière, « il donne pourtant de la souplesse et permet ainsi d’améliorer la coordination des acteurs et l’efficacité globale de la régulation, ce qui va dans la sens d’une gestion plus durable des ressources halieutiques », argumente Luc Doyen.

Eco-labels

Autres outils proposés par les économistes : les éco-labels censés garantir au consommateur que le poisson qu’il achète a été pêché d’une manière responsable, dont le plus connu est le label MSC pêche durable. « De telles approches permettent d’aller vers des systèmes alimentaires durables en intégrant producteurs, consommateurs et ressources marines, du poisson à la fourchette – fish to fork. »

Dans un contexte où il n’est « pas toujours facile de faire dialoguer les écologues et les économistes », Luc Doyen pointe la nécessité de faire de l’interdisciplinarité. « L’économie de l’environnement et la bio-économie apportent des éclairages importants et les outils de gestion de la ressource proposés portent leurs fruits dans cette approche durable des pêches. La preuve : depuis 2013 on assiste à une amélioration globale des stocks européens. L’heure n’est pas au catastrophisme, mais beaucoup de défis restent à relever pour une approche durable, résiliente et écosystémique des pêches maritimes. »

A Regarder :

La conférence de Luc Doyen sur le thème « L’économie nous permet-elle de repenser l’écologie ? » avec Cap sciences.


*CEE-M (UM, CNRS, Inrae, Institut Agro)


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