Virus « exotiques » en France : un sujet plus que jamais d’actualité
Virus Usutu, virus Zika, virus du chikungunya ou de la dengue… Au cours des dernières années, ces noms aux consonances exotiques se sont tous fait une place dans les médias français. Et pour cause : responsables de maladies qui ne sévissaient jusqu’à présent que dans des régions éloignées, ces virus sont en train de s’extraire des régions où ils ont longtemps été endémiques pour partir à la conquête de notre planète. La France n’est pas à l’abri de cette menace, ni dans les outre-mer ni dans les régions métropolitaines, comme en témoignent les implantations en cours des virus de la dengue ou du virus Usutu autour de l’arc méditerranéen. Quels sont les virus à surveiller ? Où en est la situation ? Voici ce que les travaux des réseaux de surveillance actuellement en place et des laboratoires de recherche qui étudient ces virus nous ont appris ces dernières années.
Yannick Simonin, Université de Montpellier
Des maladies transmises de l’animal à l’humain
Bon nombre de maladies infectieuses émergentes sont transmises à l’être humain par l’intermédiaire d’un animal « vecteur », souvent un arthropode suceur de sang tels que les moustiques, les moucherons culicoides, les phlébotomes ou encore les tiques.
Dans un tel cas, si la maladie est causée par un virus, on parle d’« arbovirose », et le virus impliqué est décrit comme un « arbovirus » (de l’anglais « arthropod-borne virus », « virus transmis par les arthropodes »). Depuis 2015, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) établie chaque année une liste des maladies prioritaires. Actualisée en 2021, cette liste ne répertorie que des maladies virales. Sur les 9 listées figurent 3 arboviroses : maladie à virus Zika, fièvre hémorragique de Crimée-Congo, fièvre de la vallée du Rift.
Il faut savoir également que la plupart des arboviroses sont des zoonoses. Autrement dit, elles proviennent initialement d’animaux domestiques ou sauvages porteurs de l’agent de la maladie. Celui-ci est transmis dans un second temps à l’être humain, lorsque ce dernier est piqué par un arthropode vecteur qui a auparavant prélevé le sang d’un animal infecté.
Ce qui se passe ensuite dépend notamment de l’arbovirus transmis. Certains peuvent passer d’un être humain à l’autre, toujours par l’intermédiaire d’un vecteur. D’autres pourront aussi se propager en parallèle grâce à d’autres modes de transmission (le virus Zika peut être transmis par les moustiques et par voie sexuelle, par exemple). Il arrive aussi que certains arbovirus ne se transmettent pas entre êtres humains : on dit alors que l’humain est une « impasse épidémiologique ». C’est le cas par exemple du virus West Nile ou du virus de la vallée du Rift.
Parmi les principaux acteurs de la propagation des arboviroses figurent les moustiques, en particulier le moustique tigre (Aedes albopictus). Parti récemment à l’assaut de notre territoire, il s’y est rapidement installé. Or, à lui seul, il est en mesure de propager plusieurs virus « exotiques ».
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Le moustique tigre poursuit sa fulgurante expansion
Catalysée par le commerce international, l’expansion du moustique tigre (Aedes albopictus), vecteur de plusieurs virus « exotiques » s’est avérée très rapide.
Originaire d’Asie, ce petit moustique noir au corps et aux pattes rayés de blanc à été détecté pour la première fois dans le sud de la France en 2004, à Menton. Moins de vingt ans plus tard, il est présent dans 67 départements métropolitains sur 96 (contre 58 en 2020). Dans les années à venir, l’extension de son territoire sera inexorable.
Une des particularités de ce moustique est sa capacité à transmettre divers virus responsables de maladies, dont les plus connus sont probablement le virus Zika, celui du chikungunya, ou encore celui de la dengue.
La dengue : une tendance à la hausse des cas autochtones
Le virus de la dengue semble avoir trouvé dans les régions du sud de notre pays un terrain de jeu propice. En effet, si le nombre de cas de dengue reste limité en France métropolitaine, estimé à moins d’une trentaine ces dernières années, la tendance à la hausse se confirme néanmoins.
En témoigne la multiplication des cas dits « autochtones », ce qui signifie que la maladie a été contractée sur notre territoire, contrairement aux infections importées, qui se déclarent en France mais ont été contractés à l’étranger, lors d’un voyage. Les départements du sud et du sud-est de la France tels que l’Hérault, le Gard, le Var ou les Alpes-Maritimes sont les plus exposés à la maladie notamment en raison de la conjonction d’une forte densité de moustiques tigres et de zones fortement urbanisées.
Sachant que la dengue est largement asymptomatique (dans 50 % à 90 % des cas selon les épidémies), et que chez les personnes symptomatiques, les symptômes de la maladie (fièvre, maux de tête, douleurs musculaires…) peuvent facilement être confondus avec ceux de la grippe ou plus récemment du Covid, le nombre de cas est certainement largement sous-estimé.
Si l’affection qu’il provoque est le plus souvent bénigne, le virus de la dengue peut néanmoins entraîner une forme potentiellement mortelle, dans environ 1 % des cas : la dengue dite « hémorragique », car s’accompagnant de saignements au niveau de multiples organes. Par ailleurs, certaines atteintes neurologiques ont également été rapportées.
Le chikungunya se fait discret
Identifié pour la première fois en Tanzanie en 1952, le virus du chikungunya a circulé pendant plusieurs décennies en Afrique, en Inde et en Asie, ainsi que dans l’océan Indien. C’est d’ailleurs l’épidémie qui a frappé la Réunion, l’Île Maurice, Mayotte et les Seychelles en 2005 qui a participé à le faire connaître du public français.
La « maladie de l’homme courbé » (traduction possible de « chikungunya », un terme issu du Makondé, langue bantoue parlée en Tanzanie) se caractérise notamment par l’apparition de fièvre et de douleurs articulaires sévères. Très invalidantes, ces dernières touchent souvent les mains, les poignets, les chevilles ou les pieds. Des maux de tête et des douleurs musculaires, ainsi que des saignements des gencives ou du nez ont été fréquemment décrits. La convalescence peut durer plusieurs semaines, et les douleurs peuvent persister parfois pendant plusieurs années.
Les deux premiers cas autochtones de chikungunya ont été détectés en France en 2010, dans le Var. Depuis, une trentaine de cas autochtones ont été répertoriés dont deux foyers importants, un dans la ville de Montpellier en 2014 (11 cas confirmés et 1 cas probable) et le second dans le var en 2017 avec 17 cas répertoriés.
Le virus du chikungunya se fait discret en France ces dernières années, avec 3 cas importés en 2021 et 5 pour l’année en cours, selon le décompte de Santé publique France. Cependant, ce virus reste très surveillé, notamment parce que sa dissémination par le moustique tigre dans les régions européennes tempérées n’est pas à exclure.
Dans l’attente d’une réémergence du virus Zika
Le virus Zika avait quant à lui a défrayé la chronique en 2015-2016. Il avait été à l’origine d’une épidémie de très grande ampleur, principalement en Amérique latine. Plus d’un million de personnes avaient été infectées. L’atteinte la plus grave associée à ce virus est le développement d’une microcéphalie (réduction du périmètre crânien du fœtus) chez les femmes enceintes infectées.
En France deux cas autochtones avaient été identifiés en 2019, dans le département du Var, sans que les chaînes de transmission, notamment vectorielles, n’aient pu être clairement établies.
Figurant toujours sur la liste des 10 maladies les plus à risque établie par l’Organisation mondiale de la santé, ce virus a cependant mystérieusement quasiment disparu des radars depuis quelques années. Son retour sur le devant de la scène virale est toutefois très loin d’être exclu : il a notamment fait à nouveau parler de lui très récemment en Thaïlande, et 5 voyageurs ont développé la maladie en Allemagne, Royaume-Uni et Israël, après avoir visité ce pays d’Asie du Sud-Est.
Même si les mécanismes favorisant l’émergence du virus Zika sont peu connus, des études de séroprévalence (présence d’anticorps dans le sang) montrent qu’il circule toujours activement dans certains territoires (notamment sur le continent africain).
Sa surveillance nécessite une vigilance particulière de la communauté scientifique, afin de se préparer à une réapparition potentielle.
Le bon vieux Culex n’est pas en reste
Un de nos moustiques « traditionnels », Culex pipiens, présent sur l’ensemble du territoire français, est également capable de nous transmettre des virus « exotiques ». C’est notamment le cas des virus West Nile et Usutu, deux virus très proches pouvant occasionnellement engendrer des atteintes neurologiques sévères telles qu’encéphalites (inflammation du cerveau), méningites (inflammation des méninges) ou encore méningo-encéphalites (inflammation des méninges et du cerveau) chez l’humain.
Une étude menée par notre équipe et publiée en 2022, en collaboration avec l’Anses et le CIRAD, a montré que ces deux virus sont en train de s’installer durablement sur certaines zones de notre territoire, plus particulièrement dans la grande région camarguaise. On les retrouve en effet de façon régulière non seulement dans des échantillons de sang humain, mais aussi chez des animaux tels que les oiseaux (leurs réservoirs naturels), les chiens, les chevaux et les moustiques.
Jusqu’à présent, leur impact sur la santé humaine demeure faible : une seule infection par le virus Usutu a été identifiée en France pour l’instant, à Montpellier, tandis qu’une trentaine de cas de West Nile ont été dénombrés sur les cinq dernières années. Il est néanmoins important de surveiller la dynamique de propagation de ces virus, car plusieurs lignées possédant des degrés de virulence plus ou moins importants circulent actuellement, ce qui incite à la prudence. D’autant plus qu’une épidémie importante a frappé l’Europe en 2018, avec plus de 2 000 cas identifiés et plus de 180 décès rapportés.
Par ailleurs, l’Italie – comme d’autres pays du sud de l’Europe – a rapporté cette année une circulation précoce du virus West Nile, avec près de 150 cas identifiés à la mi-août, ce qui révèle une installation de plus en plus pérenne dans le sud du continent.
Activités humaines et émergences
Le passage d’une maladie de l’animal à l’être humain n’est pas forcément synonyme de flambée épidémique, ni d’épidémie à large échelle, de pandémie ou d’implantation dans de nouveaux territoires. Ce type d’événements résulte en effet de la conjonction de nombreux événements.
Le problème est que les échanges commerciaux ou touristiques, qui progressent de façon exponentielle dans notre monde hyperconnecté, peuvent faciliter la dissémination de certains vecteurs et donc le risque de propagation des maladies.
Ce risque est encore augmenté par les changements environnementaux et climatiques. Les conditions météorologiques, en particulier la température, l’humidité de l’air et les précipitations, affectent la répartition géographique, l’activité, le taux de reproduction et la survie de ces vecteurs, notamment des moustiques. Par ailleurs les modifications du climat et l’impact de l’être humain sur son environnement influencent parfois le comportement animal, en modifiant par exemple l’aire de répartition de certaines espèces, ce qui peut favoriser les interactions entre animaux et humains.
De tels changements environnementaux ont été à l’origine d’épidémies de fièvre hémorragique argentine, due au virus Junin. Dans les années 1950, pour intensifier la culture du maïs, des défrichages massifs ont été effectués grâce, notamment à l’emploi d’herbicides. Ce changement d’environnement a entraîné une prolifération de rongeurs dont certains étaient porteurs du virus, faisant passer la maladie au stade épidémique, notamment parmi les travailleurs agricoles. Des milliers de personnes ont alors été contaminées. Une situation similaire a aussi été observée en Asie de l’Est lors de la conversion de terres pour la culture du riz, avec le virus Hantaan responsable de la « fièvre hémorragique de Corée ».
Parmi les autres facteurs favorisant les émergences de nouvelles maladies, citons notamment les facteurs socio-économiques, tels que l’augmentation des transports de bien et de personnes, notamment via le transport aérien intercontinental, ou encore l’essor toujours croissant des zones urbaines. Les fortes densités de population, qui favorisent la transmission rapide de maladies, ainsi que les difficultés d’adduction d’eau liées à l’urbanisation rapide, contribuent notamment à la prolifération de moustiques potentiellement porteurs de virus.
Preuve de l’importance de ces facteurs, durant la pandémie de Covid-19, le nombre de cas d’infections « exotiques » importés (autrement dit, rapportées de voyage) a considérablement diminué, essentiellement en raison de la baisse drastique du transport aérien international. Avec la nette reprise dudit trafic, une hausse de ces cas est en revanche attendue cette année.
Cette situation pourrait avoir un impact sur l’apparition de foyers de cas en France, car une personne infectée arrivant sur notre territoire peut en effet transmettre à son tour la maladie à d’autres personnes, notamment si les vecteurs transmetteurs de la maladie sont présents.
La prévention, première arme contre les virus « exotiques »
En l’absence d’antiviral efficace ou de vaccin, comme dans le cas du chikungunya ou du Zika, ou lorsque le vaccin présente certaines limites (comme dans le cas de la dengue, contre laquelle le seul vaccin actuellement homologué présente l’inconvénient d’augmenter le risque d’hospitalisation et de dengue grave chez les personnes non antérieurement infectées par le virus de la dengue), la seule solution est d’anticiper l’émergence de ces pathogènes.
Le meilleur moyen d’y parvenir est de mettre en place des réseaux adaptés et réactifs, au plus près du terrain, afin d’étudier efficacement les interactions entre les animaux, les humains et leurs divers environnements, selon une approche qualifiée de One Health (« Une seule santé », humaine et environnementale).
Depuis la pandémie de Covid-19, les réseaux de surveillance des maladies virales nationaux et internationaux se sont développés. Leurs capacités restent malheureusement bien en deçà de ce qui est nécessaire pour effectuer un suivi efficace de la circulation des virus à risque, non seulement dans les pays endémiques, mais aussi dans les pays où ils émergent.
L’émergence, puis la propagation rapide en 2020, du coronavirus SARS-CoV-2, responsable de la pandémie de Covid-19, a eu un impact majeur sur notre santé, nos comportements et nos vies quotidiennes. Cette situation nous a fait brutalement prendre conscience de l’importance de surveiller et d’étudier les « nouveaux » virus.
Mais au-delà de ces virus jusque là « inédits », il est aussi essentiel de se pencher sur les virus « négligés » car responsables de maladies sévissant loin de nos territoires.
La propagation hors du continent africain, et en particulier en Europe, du Monkeypox, le virus responsable de la [variole du singe], est une bonne illustration des enjeux liés à une telle surveillance…
Yannick Simonin, Virologiste, maître de conférences en surveillance et étude des maladies émergentes, Université de Montpellier
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.