Anatomie d’une chute
Le projet de Grande muraille verte d’Afrique lancé en 2008 aurait-il déjà chuté ? Nombreux sont celles et ceux à le penser devant son inertie constatée. L’instabilité politique d’une grande partie des États concernés et le blocage des financements promis entravent aujourd’hui la réhabilitation des sols par la plantation de forêts qui n’auront peut-être jamais existé que sur du papier.
Certains diront que l’idée a fait long feu, lui préfère prévenir : « abandonner un projet autour duquel on a fait un tel tapage médiatique serait une déception et un aveu de faiblesse extraordinaire ». Directeur de recherche à l’IRD, Robin Duponnois a également été référent du projet Grande muraille verte (GMV) sur Dakar. C’est sans ambages qu’il constate que les objectifs de la GMV « sont très loin d’être atteints et ne le seront pas plus en 2050. Pour autant l’analyse sur laquelle est basée le projet est bonne. On n’introduit rien, on ne détruit rien, on écoute les populations locales, le seul risque est qu’il n’y ait pas d’effets ».
En 2008, 11 pays participent au lancement de l’opération : le Sénégal, la Mauritanie, le Mali, le Burkina-Faso, le Niger, le Nigéria, le Tchad, le Soudan, l’Erythrée, l’Ethiopie et Djibouti. Objectif : planter des arbres sur une bande de terre de 15 km de large, le long d’une ceinture de 7 000 km allant de Dakar à Djibouti, pour éviter la désertification des terres dégradées par les activités anthropiques anthropiques (lire : Recherche en sol majeur, 10/11/2021, Magazine LUM 15). « D’où le terme un peu trompeur de muraille contre le désert, mais le Sahara n’avance pas, il récupère juste de la surface » nuance subtilement le chercheur.
Sous les arbres
L’idée n’est pas nouvelle. Les années 70 avaient déjà vu éclore le « Barrage vert » au sud de l’Algérie (L’Algérie relance son mégaprojet du Barrage vert, 8/11/2023, Jeune Afrique), la « Grande muraille » en Chine (voir encadré), les « ceintures vertes » de Ouagadougou et du Caire. Presque tous ont périclité mais de ces premiers échecs ressort un enseignement précieux : « Tous ces projets avaient été conçus avec des essences forestières exotiques, le plus souvent en plantation monospécifique. Au final ces forêts ne se sont pas régénérées ou ont été ravagées par des pathogènes » constate le spécialiste de biologie forestière.
Il est donc décidé par les acteurs de la Grande muraille verte de ne planter que des arbres locaux. Deux essences sont privilégiées : l’Acacia Sénégal, qui produit la gomme arabique prisée en pharmacie, et le balanites dont l’écorce et les épines sont également valorisables. « La GMV est d’abord présentée comme un projet de réhabilitation environnementale, remarque Robin Duponnois. Mais sous les arbres il y a des enjeux d’ordre sociaux et économiques tels que la conjugaison de la culture et de l’élevage, toujours antagonistes dans ces régions, l’entrepreneuriat, la valorisation du terroir local, etc. » (La Grande Muraille Verte. Capitalisation des recherches et valorisation des savoirs locaux, A.Dia, R.Duponnois, 2012, IRD Editions).
Locomotive sans wagon
Au Sénégal, ce sont par exemple des jardins polyvalents qui ont été co-développés dans de nombreux villages. « Les femmes ont été formées afin qu’elles puissent vendre leur production et arrêter de faire 30 kilomètres chaque semaine pour se rendre au marché. » Les jardins ont trouvé leur public avant d’être eux-aussi touchés par l’essoufflement du projet GMV. « Dans le village de Tessekere, les financements nécessaires à la réparation d’une canalisation ne sont jamais arrivés, alors le jardin a peu à peu été abandonné. Il n’y a pas de continuité dans le développement des projets bien que nous ayons la technique et les process », constate-t-il avec une pointe d’amertume.
Un sentiment que Robin Duponnois tempère immédiatement : « Au nord du Sénégal, vous avez des plantations d’acacias qui vont très bien. Il y a toujours des pépinières et la production de gomme arabique remonte. Le Sénégal reste la locomotive du projet. » (lire : La Grande muraille trace doucement son chemin au Sénégal, 15/04/2016, Le Monde). Une locomotive certes mais sans wagon puisque la GMV semble bien être à quai dans la plupart des autres pays et que l’accélérateur de la Grande muraille verte lancé en grande pompe en 2021 se fait toujours attendre sur le terrain.
Arbres de paix
Comment expliquer que le Sénégal, au PNB à peu près équivalent à celui des autres partenaires, soit un des seuls à poursuivre l’effort ? « Parce qu’il bénéficie pour l’instant d’une stabilité politique que beaucoup n’ont pas, répond le scientifique. Le Burkina, le Mali, le Nigéria, l’Erythrée… sont dans des situations instables, la Grande muraille verte n’est plus une priorité pour ces États. Et si les partenaires internationaux ont promis des sommes assez colossales, on ne met pas d’argent dans un pays en guerre. » Reste à savoir si la muraille s’en relèvera (lire Accélérer la mobilisation de l’expertise scientifique africaine et internationale pour dynamiser la recherche interdisciplinaire pour la réussite de la Grande Muraille Verte sahélienne d’ici 2030, 10/2022, Land).
Dragon vert contre dragon jaune
C’est la plus grande forêt artificielle du monde, plus de 500 000 kilomètres carrés (2009) de peupliers, de pins, de saules plantés depuis la fin des années 70 en Chine pour livrer bataille au Dragon jaune. Ces tempêtes venues du désert de Gobi qui, en l’absence d’obstacles, ont déversé pendant des années, des centaines de milliers de tonnes de sable jusqu’à Pékin, située à 350 km plus au sud. « L’idée était de reboiser pour fixer les dunes et éviter ces vents de sable, explique Robin Duponnois. Ils ont également testé des cyanobactéries pour fabriquer des croûtes au niveau du sol, ils ont mis en place des grandes pépinières avec des techniques très sophistiquées de culture in vitro. Ils ont aménagé tout un système de canaux pour acheminer l’eau en goutte à goutte… ».
Cinquante ans plus tard, et malgré le coût humain et social des nombreuses expropriations et déplacements de population qu’elle exige, la Grande muraille verte de Chine se présente comme une réussite. Des zones de cultures maraîchères ont été implantées, les forêts monospécifiques ont laissé place à une diversification des essences, l’écotourisme s’est développé. « On trouve même un télésiège au milieu des dunes », s’amuse le chercheur. Mais la Chine n’en reste pas là. En 2018 elle mobilisait 60 000 soldats (Le Figaro, 8/02/2018) pour atteindre ses objectifs d’ici 2050 : planter 35 millions d’hectares de forêt sur 550 kilomètres de large et 4 500 kms de long. Pas de quoi rendre verte sa jumelle de pierre, longue, elle, de 20 000 kilomètres.
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