Aux origines de la couleur des huîtres : itinéraire émotionnel d’un doctorant

Les fêtes de fin d’année approchent (presque), une occasion particulière pour célébrer et partager l’huître au menu des festivités. Assortie de son manteau, de sa coquille riche en couleurs, l’huître ne laisse personne indifférent et cache encore de nombreux secrets. Ce mollusque parvient même à s’inviter à la paillasse des chercheurs.

Michel Bonnard, Université de Montpellier; Bruno Boury, Université de Montpellier et Isabelle Parrot, Université de Montpellier

Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science, qui a lieu du 1er au 11 octobre 2021 en métropole et du 5 au 15 novembre 2021 en outre-mer et à l’international, et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition a pour thème : « Eureka ! L’émotion de la découverte ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.


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C’est notamment le cas à l’Université de Montpellier, où récemment, une équipe de chercheurs en chimie des substances naturelles dont je fais partie s’est intéressée à l’origine moléculaire de la coloration rose de la coquille de l’huître comestible (huître du Pacifique ou Crassostrea gigas).

Comment donc l’huître a-t-elle pu susciter l’intérêt de ces chercheurs jusqu’à les conduire à initier et développer un sujet de doctorat menant à une découverte scientifique inattendue ?

À l’origine, une intrigante couleur rose-pourpre

Tout est parti d’une observation. Des motifs de couleurs roses à pourpres recouvrent partiellement ou totalement la surface extérieure de spécimens de coquilles d’huîtres. La cicatrice du muscle adducteur, que l’on retrouve à l’intérieur de la coquille, est elle-même parfois colorée en rose, pourpre ou noir.

Face à cette intrigante couleur rose pourpre peu répandue parmi les coquilles de mollusques bivalves, nombre d’hypothèses peuvent être envisagées : ce rose serait-il commun à d’autres modèles biologiques, comme chez les flamants roses dont la couleur est acquise grâce à un régime alimentaire à base d’une algue rose riche en caroténoïdes, cette même famille de pigments que l’on retrouve dans les carottes et chez la crevette ?

Ou bien, cette couleur serait-elle due à une structuration particulière de la coquille à l’échelle nanométrique, comme c’est le cas de l’iridescence de la nacre ? Serait-ce une combinaison de plusieurs pigments associés à une structure particulière ? Et quelles pourraient être les applications d’un matériau d’une telle couleur ?

Si la communauté scientifique s’est intéressée à la description et à la composition de coquilles de mollusques colorées en or, vert ou bleu, le rose n’a fait l’objet d’aucune étude publiée chez l’huître. Pour approfondir le sujet et apporter des réponses à cet ensemble de questions, un doctorant est recruté – moi-même.

Coloration et structuration, premières expérimentations

Passé l’enthousiasme de la découverte du projet et de la rencontre de l’équipe encadrante, il est temps pour moi d’étudier l’état des connaissances scientifiques.

Si cette étude bibliographie ne se révèle pas être une véritable piste aux étoiles, la structuration et la mise en place de la démarche scientifique, les premières expérimentations ainsi que la découverte des techniques et savoir-faire laissent rapidement place aux premiers résultats, qui permettent de confronter les hypothèses initiales à la réalité expérimentale.

Les analyses élémentaires et structurales d’échantillons solides ne permettent pas de montrer un lien entre coloration et structuration de la coquille.

Cette couleur serait donc vraisemblablement liée à la présence d’une très faible quantité d’un ou plusieurs pigments dont l’identification précise nécessite une extraction sélective de la coquille.

Pigments et extraction, le temps des remises en question

Premier défi, réussir à extraire ces pigments des 98 % de carbonate de calcium que représente la coquille. Des méthodes de dissolution, d’extraction, de séparation et d’analyse sont spécifiquement développées. En science rien ne se passe exactement comme on l’imaginait, aucune lassitude, aucun ronronnement.

Arrivent les premières difficultés, les choix ne s’avèrent pas toujours payants face aux résultats négatifs. Les méthodes testées ne sont pas toutes reproductibles et le projet stagne, il faut faire preuve de persévérance et de rigueur pour établir une méthodologie fiable. C’est le temps de la remise en question face aux échecs et à la peur de ne pas être au niveau, de ne pas être à sa place.

Nous recherchons d’autres solutions expérimentales, nous prenons du recul, nous discutons du projet avec d’autres chercheurs jusqu’à la surprise procurée par une observation inattendue.

Un échantillon décoloré, l’espoir renaît

Un échantillon laissé exposé à la lumière du soleil s’est décoloré. Ne serait-ce pas la manifestation d’une propriété spécifique à certaines substances naturelles ? L’espoir renaît, mais il faut reproduire et maîtriser ce fait empirique.

Les allers-retours entre les études bibliographiques et la paillasse commencent à porter leurs fruits et permettent d’apercevoir les contours d’une réponse aux hypothèses initiales.

Tout s’accélère, les essais se multiplient et les résultats entrent en résonnance : c’est l’euphorie de la découverte. Illuminé sous exposition à une lumière noire, ce rose serait dû, en partie, à la présence d’une famille de pigments photoluminescents : les porphyrines.

Ces porphyrines sont systématiquement présentes dans les motifs roses de la surface extérieure des coquilles et de la cicatrice du muscle adducteur, à l’inverse des zones non colorées.

Des échantillons roses de coquille sont prélevés, puis dissous en milieux aqueux acides. Après filtration, la solution obtenue est rose pourpre. Exposée à une lumière noire d’environ 400 nm, la solution émet une couleur rouge-rose caractéristique de certaines porphyrines, dont la turacine.

De nouveaux horizons explorés, le travail paie

Cette découverte conduit notre groupe de chercheurs à explorer d’autres horizons que ceux initialement envisagés. Les organes de l’huître sont investigués afin de relier la présence de ces composés à une fonction biologique.

Le manteau, un organe contractile chargé de la minéralisation de la coquille s’avère accumuler les mêmes porphyrines que celles identifiées dans la coquille.

Après quelques semaines, l’origine endogène de ces composés est établie, marqueurs d’un chemin biologique dédié à la respiration cellulaire, proche de celui conduisant à la synthèse de l’hémoglobine chez l’être humain.

La joie et l’excitation sont passagères, il faut rester concentré pour rapidement publier ses résultats ; un laboratoire concurrent est sur la trace laissée par la photoluminescence de ces composés.

De la publication à la soutenance, l’accomplissement

La publication, le Graal du doctorant, qui en réalité s’apparente à un travail d’écrivain scientifique. Comment relater et discuter des faits dans un contexte historique et dans une langue étrangère ? Comment choisir les preuves les plus parlantes, comment les associer ? Dans quel journal publier ? Quelques exemples de questionnements auxquels le doctorant n’est pas vraiment préparé.

Après une dizaine de versions et une évaluation par les pairs, l’article est finalement publié : « Chemical evidence of rare porphyrins in purple shells of Crassostrea gigas oyster ».

Viennent enfin la dernière ligne droite et ces nuits blanches dédiées à la rédaction du mémoire de thèse. Isolement, irritabilité, obsession, mes émotions ne sont pas vraiment positives durant cette période. À l’issue, l’apathie est totale mais le manuscrit arrive à bon port et peut être évalué par le jury de soutenance, composé des pairs.

Une dernière remobilisation est nécessaire dans la perspective de la soutenance : il faut défendre ses travaux devant le jury. Après de nombreuses répétitions, c’est le jour J. L’oral est fluide, les échanges constructifs et le travail reconnu. Il est temps de savourer et de passer le relais.

Avec le recul, deux émotions prédominent en moi, le sentiment d’accomplissement pour avoir contribué à développer les connaissances fondamentales auprès de la communauté scientifique et la sensation d’avoir progressé jusqu’à atteindre un certain niveau d’expertise.The Conversation

Michel Bonnard, Post-doctorant “description, identification et exploitation des substances naturelles”, Université de Montpellier; Bruno Boury, Chercheur, Université de Montpellier et Isabelle Parrot, Enseignante – Chercheuse, Université de Montpellier

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.