Banques coopératives contre banques traditionnelles : deux modèles, deux visions de la finance

Sociétaires contre actionnaires. Gouvernance démocratique et décentralisée contre gouvernance pyramidale. Financement international contre financement des territoires. Si les statuts ne font pas systématiquement la vertu, les banques coopératives représentent un modèle alternatif aux banques traditionnelles. Avec quelles réalités ? Quelles contradictions ? Et quelles garanties ?

Christine Marsal, Université de Montpellier

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Quel groupe d’entreprises françaises peut se targuer d’avoir près de 200 millions de clients, générer près de la moitié du chiffre d’affaires de son secteur et compter parmi ses membres trois établissements dans le top 10 des actifs gérés en Europe ? Il s’agit des banques coopératives françaises, comme le Crédit Agricole, la Banque populaire ou le Crédit coopératif. Cette place est tout à fait particulière et il s’agit d’une spécificité française, n’ayant pas d’équivalent dans les autres pays.

La question de savoir si les banques coopératives sont des banques comme les autres est lancinante et la faible différenciation des offres commerciale rajoute à la confusion. Comment faire la différence entre les banques coopératives et les banques « capitalistes » ?

Des établissements créés pour pallier les exclusions bancaires

Les banques coopératives sont anciennes et ont été créées pour faire face aux exclusions bancaires, à une époque où les petits agriculteurs ne trouvaient pas de financement. Dans le secteur agricole, le mouvement part en 1864 de Rhénanie (Prusse) sous l’impulsion du pasteur Friedrich Wilhelm Raiffeisein, reconnu comme fondateur du mouvement mutualiste dans l’est de la France. Les prêts ne sont accordés qu’aux membres de la caisse mutuelle, qui se finance par l’émission de parts sociales. Les membres élisent des administrateurs bénévoles qui supervisent l’activité de la caisse. Le territoire concerné est volontairement réduit pour faciliter le travail de supervision.

Le Crédit Agricole voit quant à lui le jour dans le Jura. La première Caisse d’épargne est créée à Paris en 1818 pour favoriser l’épargne des ouvriers afin que ces derniers ne soient pas démunis en cas de maladie ou de chômage. La première Banque populaire naît à Angers en 1878 pour aider au développement des commerçants et artisans. Les évolutions juridiques ont ensuite permis à tous ces établissements de se développer et de proposer une large palette de produits et services à l’ensemble de la clientèle sur des territoires plus larges. https://www.youtube.com/embed/5-My2L65Dik?wmode=transparent&start=0

Quelles différences concrètes entre les banques coopératives et les banques capitalistes ?

La première différence concerne la gouvernance des établissements coopératifs, basée sur le respect de la démocratie participative dont les contours ont largement évolué depuis la création de ces établissements. Le principe coopératif est basé sur le fait que chaque personne possède une voix. Les sociétaires élisent des représentants au sein de leur caisse locale, ces derniers élisent à leur tour des représentants au niveau de l’instance supérieure. L’imbrication des mandats se termine par la participation d’un « dernier carré » d’administrateurs présents au conseil d’administration du groupe.

De plus, la détention des parts sociales par les clients sociétaires fait que ces établissements ne peuvent faire l’objet d’une procédure d’achat hostile en bourse, contrairement aux banques capitalistes.

La deuxième différence concerne le rôle des administrateurs. Le groupe Crédit Agricole revendique près de 27 634 administrateurs, le groupe Crédit Mutuel 20 000 administrateurs bénévoles.

Les administrateurs sont garants de certaines valeurs (solidarité, démocratie, proximité) de nature à orienter les choix stratégiques, tactiques et opérationnels des dirigeants. Le modèle, dit de pyramide inversée, est de nature à écarter les administrateurs « de terrain » (caisses locales et régionales) du processus de décision stratégique du groupe et de fait, il existe encore peu de recherche académique qui leur soit consacrée. Or ces derniers forment sans doute le dernier bastion de « l’esprit mutualiste ».

La participation des élus à la vie des groupes bancaires est variable, mais bien réelle. Ainsi lorsque la direction du Crédit Mutuel de Bretagne envisage de quitter la fédération du Crédit Mutuel, le président d’une caisse locale exprime publiquement le désaccord de ses élus et des sociétaires. Même s’il n’est pas possible d’affirmer que cette prise de position a empêché la scission du groupe bancaire, elle met en lumière la vigueur des débats existants. Ces débats ne peuvent être observés que de l’intérieur, et il existe peu d’études sur le déroulement des réunions d’administrateurs de caisse. Une (rare) étude montre que lors de la crise financière de 2008, les débats furent vifs. Les dirigeants ont multiplié les contacts et les échanges avec les élus de terrain pour les rassurer, mais aussi pour donner du sens à la situation vécue par la banque. Cela montre à quel point le fonctionnement coopératif a besoin de consensus.

Les banques coopératives face à la crise de 2008

Plusieurs études ont mis en avant le dynamisme et la capacité des banques coopératives à soutenir la concurrence avec les banques capitalistes. Les injonctions des agences de notation en termes de rentabilité et l’évolution de la réglementation les ont conduites à développer des activités à l’international (Crédit Agricole) ou dans des domaines éloignés de leur activité traditionnelle d’accords de prêts et de collecte d’épargne (la filiale Natixis du groupe BPCE, dans le secteur de l’investissement).

Lors de la crise financière de 2008, les banques coopératives ont connu des pertes à l’instar de leurs consœurs, en partie à cause de leur diversification. Cette crise a cependant renforcé leur modèle original : le financement et l’accompagnement de leur territoire. Dix ans après la crise, les différents groupes affichent des performances contrastées, reflet de stratégies très différentes. Le Crédit Mutuel renforce sa présence sur le terrain et maintient une politique d’embauche active, tout en privilégiant une politique de risque très prudente. Le groupe BPCE réduit ses effectifs et ses agences.

Les établissements ont aussi pris des mesures drastiques et les dirigeants ont dû rendre des comptes : le président du Groupe Caisse d’Épargne a dû démissionner, le directeur général du Crédit Agricole voit ses marges de manœuvre réduites. En 2015, ce groupe initie un changement de mode de gouvernance en donnant plus de pouvoir aux caisses régionales. La plupart des groupes ont ensuite revu leur mode de gouvernance pour le rendre moins dépendant des marchés financiers.

Un modèle différent, plus social et précurseur en termes de responsabilité sociale des entreprises

Les modèles d’affaires des banques coopératives se distinguent des banques capitalistes à plusieurs égards : moins d’activités liées au marché financier, un noyau coopératif solide, des salaires supérieurs pour les salariés (qui sont par ailleurs plus productifs), une plus faible rentabilité. Dans une étude conduite auprès de directeurs d’agence, les banques coopératives accordaient plus de délégation, et proposaient un intéressement et une participation plus fortes que les banques capitalistes, ces dernières favorisant les primes individuelles.

Sur le volet de la responsabilité sociale des entreprises (RSE), plusieurs constats émergent des recherches en cours. Globalement, les pratiques RSE des banques se ressemblent beaucoup, quel que soit le statut juridique. Nous pouvons cependant noter quelques différences. À l’exception du Crédit Agricole, les autres banques coopératives sont plutôt moins polluantes que les banques capitalistes. Ce sont aussi des banques qui possèdent très peu voire pas de filiales dans les paradis fiscaux et qui sont des acteurs majeurs de la finance solidaire (distribution de microcrédits garantis).

Les banques coopératives se distinguent aussi par le soutien au monde associatif : le Crédit Mutuel revendique 300 000 associations clientes. Le groupe Crédit Agricole, par le biais des caisses régionales, a créé plusieurs fondations, développe du mécénat dans les domaines de l’environnement, de la préservation du patrimoine et de l’inclusion sociale. Les Villages By CA visent à dynamiser l’innovation dans les territoires.

Plus que jamais, les établissements restent ancrés dans leur territoire. Mais leur avenir est incertain : les évolutions réglementaires en matière de fonds propres pourraient remettre en cause l’équilibre qu’ils ont pourtant su créer entre contraintes financières et respect d’une identité coopérative significative.

Christine Marsal, Maitre de conférences HDR, Contrôle de gestion, gouvernance des banques, Université de Montpellier

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.