[LUM#14] Billets verts

L’Université de Montpellier est la première en France à proposer un diplôme universitaire de finance verte. Si dans l’esprit du grand public le concept peut relever de l’oxymore, le secteur financier pourrait pourtant bien être un acteur incontournable de la transition écologique. Explications avec Adrien Nguyen-Huu, chercheur au centre d’économie environnementale de Montpellier* et co-directeur de cette formation inédite.

Pour commencer, d’où vient ce concept de finance verte ?
C’est un sujet qui est apparu très discrètement dans les années 2000, autour des négociations sur le climat, mais c’est réellement en 2015 avec les accords de Paris puis en 2017 avec le One Planet Summit d’Emmanuel Macron que les banques se mettent sur le devant de la scène comme une sorte de relai des politiques publiques.

Un relai pour quoi ?
Depuis environ cinq ans une prise de conscience du secteur financier a émergé sur les questions de risque climatique. Parallèlement on a vu naître chez les citoyens et les stakeholder, les parties prenantes des questions climatiques, une frustration devant les politiques publiques internationales et nationales jugées peu ambitieuses ou trop lentes. Les banques d’investissement sont alors apparues comme des acteurs capables d’agir sur des grands volumes d’épargne à ré-allouer, tandis que les banques de détail sont une source primordiale d’investissement sur des projets verts.

Mais quel intérêt les banques ont-elles à investir dans le vert ?
Mettons de côté le travail de communication sur l’image de marque, qui existe évidemment. Investir dans des actifs verts permet de diversifier son portefeuille. L’inertie de la crise climatique est telle que quand ses premières manifestations apparaîtront dans les bilans des banques il sera déjà trop tard pour s’en prémunir. Les assurances ont été les premières à s’en rendre compte et à affirmer qu’un monde à + 4°C n’est pas assurable. La finance n’est pas en reste : quels sont les secteurs d’investissement d’avenir ? Les investisseurs sont a priori assez indifférents au fait d’investir dans des pots de yaourt ou des centrales nucléaires. Si les marchés anticipent un risque, les investisseurs ne peuvent le négliger et vont réagir très rapidement même si leur horizon d’anticipation a la réputation d’être court.

De quels types de risque parle-t-on ?
Les risques physiques d’abord, sont les matérialisations des sinistres auxquels les institutions peuvent s’exposer (montées des eaux, évènements extrêmes). Les risques de transition, ensuite, sont liés aux politiques publiques et aux régulations tentant de freiner le changement climatique et pouvant conduire à la dépréciation d’actifs dont disposent les banques. Imaginez : vous avez du Total dans votre portefeuille et d’un coup on leur interdit d’explorer certaines zones du monde. La valeur de Total est divisée par deux et votre portefeuille s’effondre. Une transition trop rapide peut donc se traduire par une instabilité financière, voire une crise économique.

Alors concrètement comment la finance peut-elle agir en faveur du climat ?
Il existe déjà un éventail de produits financiers (actions ou obligations) à impact positif pour le climat, et bien sûr de nombreuses activités qui devraient profiter de facilités de crédit : agriculture résiliente, isolation dans le bâtiment, transports décarbonés… Mais le défi principal est la signalisation des activités bénéfiques au climat par une taxonomie et une labellisation, tout en permettant d’évaluer la viabilité économique future des activités concernées. Ces deux tâches sont immenses.

Et les marchés financiers suivent ?
Il y a énormément d’épargne disponible pour la transition qui, pour des raisons de rendement, financent encore l’économie carbonée. Mais les dimensions extra-financières environnementales et sociales sensibilisent une frange non négligeable d’investisseurs, par anticipation des régulations ou par conviction. Les banques centrales semblent également avoir un rôle montant, mais encore incertain, dans l’action climatique, par la régulation et son action sur le secteur bancaire.

Comment détermine-t-on qu’un actif est vert ou pas ? Il est facile de faire du greenwashing…

Sans taxonomie rigoureuse et standards internationaux qui définissent les secteurs d’activité « verts », le greenwashing est toujours soupçonnable. C’est là un des leviers d’action publique en finance, la commission européenne l’a récemment montré. Les conflits de vision sur ces secteurs « verts » rendent la tâche complexe : les positions antagonistes vis-à-vis du nucléaire de la France et l’Allemagne en sont l’archétype. Il existe aussi une asymétrie mal assumée : les investisseurs institutionnels et les banques sont pro-actifs dans leurs investissements verts, mais le désinvestissement du brun (charbon, pétrole) se fait avec réticence, le rendement élevé étant toujours là.

Est-ce que ce n’est pas utopique de vouloir réconcilier finance et écologie ?
Je ne dis pas que les banques vont se tirer une balle dans le pied par souci écologique, mais leurs intérêts bien compris ne peuvent pas se fonder sur une économie purement virtuelle. La viabilité économique n’est pas logiquement incompatible avec la soutenabilité écologique, il y a un chemin de crête à trouver. Après, le changement climatique implique un changement de logique qui ne peut se faire uniquement dans la finance mais une chose est certaine, vu l’importance du secteur, cela ne pourra pas se faire sans eux. Il y a derrière tout cela un idéal de long terme : remettre la finance à sa place c’est-à-dire au service de la société et non au service d’elle-même. Le succès du DU auprès des étudiants nous prouve que l’idée germe parmi les jeunes générations.

Plus green que golden boy

Il se décrit lui-même comme le « produit de la crise financière survenue entre 2007 et 2008 ». À l’époque Adrien Nguyen-Huu débute une thèse en mathématiques financières chez EDF. « La crise a redonné du sens à la manière dont je voulais faire de la finance et je suis passé des mathématiques financières à l’économie au sens plus large », explique le chercheur. Devenu expert en modélisation macro-économique, il s’oriente sur des thématiques environnementales et s’intéresse à l’impact des contraintes de productivité « c’est-à-dire à ce qui se passe si l’économie a accès à moins d’énergie ou à de l’énergie de moins bonne qualité ». Plus récemment Adrien Nguyen-Huu s’est lancé, avec ses collègues du CEE-M, dans la finance comportementale. Il est également chercheur associé dans la chaire Énergie et prospérité.

*CEE-M (UM – CNRS – INRAE – Montpellier SupAgro)