Comment les moustiques nous piquent (et les conséquences)
Tiques, moustiques, guêpes, fourmis… L’été, le risque de rencontrer une petite bête qui pique, mord ou lacère augmente fortement. Notre série « Un été qui pique » fait le point sur les piqûres plus fréquentes, les pires, et sur les façons de les éviter. Pour ce premier article, Yannick Simonin (Université de Montpellier) et Sébastien Nisole (Inserm) nous proposent de rencontrer un sérieux prétendant au titre de roi de la piqûre : le moustique !
Yannick Simonin, Université de Montpellier et Sébastien Nisole, Inserm
Ils sont autour de nous, souvent invisibles, et lorsque nous détectons leur présence il est généralement trop tard… Une petite douleur suivie d’une démangeaison, d’une rougeur et d’un bouton ? Le moustique a fait une nouvelle victime et vous a rajouté sur la longue liste de ses cibles favorites !
Invité surprise bien encombrant de nos apéritifs estivaux, le moustique ne pique pas seulement les humains, tant s’en faut. Suivant ses préférences, ses premières victimes sont soit les oiseaux, soit les mammifères terrestres, notamment les animaux domestiques tels que les chats ou les chiens. Et certaines espèces s’attaquent même aux animaux « à sang froid », comme les grenouilles et les serpents !
Mais comment ce tout petit insecte fait-il pour piquer même les peaux les plus résistantes ? Et quelles conséquences peut avoir son méfait sur les organismes de ses victimes ?
Le sang, l’assurance d’une descendance bien née
Tout d’abord, il faut rappeler que seuls les moustiques femelles piquent, les mâles préférant de loin à notre sang le nectar des fleurs, ou d’autres sources de sucre (comme le miellat, un liquide épais et visqueux qu’excrètent certains insectes qui parasitent les végétaux, comme les pucerons, les aleurodes, les cochenilles…). Et pour cause : ils ne possèdent pas d’appareil piqueur…
En plein vol, il n’est pas évident de distinguer les inoffensifs mâles des femelles. Une observation attentive permet néanmoins de constater la présence d’antennes plumeuses sur la tête des premiers, absentes de celle des secondes. Mais quoi qu’il en soit si un moustique vous pique, c’est forcément une femelle !
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Pourquoi donc cette appétence des femelles pour les repas sanguins ? Tout simplement parce que le sang récolté constitue une source très riche de protéines, utilisées pour compléter la maturation de ses œufs, après la fécondation par le mâle. Le sang ne sert donc pas à nourrir les moustiques, mais à permettre à leur progéniture de voir le jour. Sans piqûre, pas de nouveau moustique !
Le moustique est bien équipé
Pour nous piquer, la femelle du moustique dispose d’un arsenal redoutable. Il est composé d’une trompe, qu’on appelle proboscis, qui est elle-même constituée de pièces buccales « vulnérantes » (capable de blesser), les stylets. Ces pièces sont enveloppées par le labium, souple, qui se replie au moment de la piqûre. À l’inverse d’un dard, la trompe du moustique est flexible, ce qui facilite son chemin jusqu’au sang.
Lors de la piqûre, les stylets percent l’épiderme et le traversent en « tâtonnant », à la recherche d’un vaisseau sanguin. Des appendices buccaux, qu’on appelle maxilles, permettent à la trompe de se maintenir en place. Dans le même temps, via un autre appendice, le moustique injecte sa salive. Cette dernière contient des substances qui évitent que les vaisseaux sanguins ne se contractent et fluidifient le sang, empêchant sa coagulation et l’agrégation des plaquettes, étape initiale de la cicatrisation. Les stylets délimitent ainsi deux canaux : le canal alimentaire, par lequel est aspiré le sang, et le canal salivaire, par lequel est injectée la salive.
Le moustique prélève, en fonction des espèces, de 0,001 à 0,01 millilitre de sang. Une quantité infime de sang pour nous, mais énorme pour lui : celle-ci peut être équivalente au propre volume sanguin de l’insecte. Et le tout est ingurgité en moins de 2 minutes !
Si la victime « prélevée » n’a pas de souci à se faire quant à la quantité de sang subtilisée, la piqûre entraîne d’autres problèmes, plus ou moins graves…
Une brève histoire de peau
Pour comprendre les conséquences de la piqûre de moustique, attardons-nous un instant sur le plus grand organe du corps : la peau. En contact direct avec le monde extérieur, elle assure différentes fonctions essentielles à notre organisme, relatives notamment à sa protection vis-à-vis de l’environnement extérieur et à sa perception.
La peau est organisée en deux couches principales : l’épiderme, la partie superficielle de la peau, et le derme, tissu de soutien plus épais situé sous l’épiderme.
L’épiderme est principalement composé de kératinocytes, ainsi nommés car ils produisent de la kératine, une protéine hydrophobe qui forme des filaments résistants et confère à l’épiderme sa souplesse, son imperméabilité et sa résistance. Une fois à la surface de l’épiderme, ces cellules forment une couche de cellules mortes, le stratum corneum, qui sera finalement éliminé par desquamation.
Le derme est quant à lui constitué de cellules éparpillées au sein d’un matériel extracellulaire constitué de fibres faites de collagène et d’autres protéines. Les principales cellules du derme sont les fibroblastes, qui produisent ces fibres, mais le derme contient également des terminaisons nerveuses, des vaisseaux sanguins, ainsi que les glandes sébacées et sudoripares, qui produisent respectivement le sébum et la sueur.
Étant donné qu’elle constitue l’interface entre l’organisme et le milieu extérieur, la peau est confrontée à de nombreuses agressions, notamment mécaniques ou thermiques. Elle est également aux premières loges vis-à-vis des agressions par des micro-organismes, puisqu’elle est une porte d’entrée obligée des nombreux agents pathogènes qui tentent de pénétrer dans l’organisme.
À ce titre, il s’agit d’un avant-poste stratégique des défenses immunitaires et abrite de nombreuses cellules sentinelles, qui veillent à la préserver contre les agressions virales, bactériennes ou fongiques.
La salive de moustique, à l’origine de nos désagréments
La piqûre de moustique est l’une des nombreuses agressions auxquelles la peau doit faire face. Lorsqu’un moustique pique, sa trompe pénètre dans l’épiderme puis dans le derme à la recherche d’un capillaire sanguin.
Outre l’agression physique que constitue cette insertion, c’est surtout la salive injectée au cours de l’opération qui déclenche une réaction de notre peau. Elle contient en effet un mélange complexe de protéines, lequel est reconnu par les défenses immunitaires de la peau comme un agent étranger.
La réaction est quasi immédiate. Des cellules immunitaires, les « mastocytes », sont les premières à réagir. Elles secrètent de l’histamine, un médiateur inflammatoire qui augmente le diamètre et la perméabilité des vaisseaux sanguins, provoquant ainsi un œdème : c’est le fameux bouton de moustique. C’est également l’histamine qui, en stimulant les fibres nerveuses, provoque les démangeaisons et l’envie irrépressible de se gratter.
De nombreux éléments de la salive de moustique peuvent être allergènes. Pour le moustique tigre (Aedes albopictus), une quinzaine de composants salivaires pouvant provoquer une réaction allergique ont été identifiés ! En outre, la composition de la salive peut varier d’une espèce à l’autre (tout comme le nombre d’allergènes). Enfin, les réactions varient d’une personne à l’autre, car la sensibilité individuelle à la réaction vis-à-vis de la piqûre n’est pas identique chez tout le monde.
Soulignons que l’histamine n’intervient pas que lors d’une piqûre de moustique. Cette molécule joue également un rôle important lors des réactions allergiques, notamment en réaction au pollen, au latex ou à certains aliments. Elle est ainsi responsable de symptômes allergiques tels que l’écoulement nasal, les larmes, les rougeurs sur la peau, les démangeaisons… Ce qui peut, dans de très rares cas, avoir certaines conséquences après une piqûre de moustique.
De rares complications
La piqûre de moustique s’estompe généralement en quelques jours, elle n’est donc pas réellement dangereuse en soi et provoque majoritairement des démangeaisons. Restant localisées au niveau de la peau, elles peuvent parfois être importantes chez les plus sensibles d’entre nous.
Si les complications sont rares, certaines personnes présentent néanmoins un risque plus élevé de forte réaction allergique, voire de chocs anaphylactiques, notamment les enfants n’ayant pas encore acquis de tolérance naturelle vis-à-vis des piqûres de moustiques.
Dans de très rares cas, les piqûres provoquent un syndrome de Skeeter, une réaction systémique inflammatoire associée avec une fièvre parfois accompagnée de vomissements et de troubles respiratoires. Ce syndrome résulte d’une réaction d’hypersensibilité due à la production d’anticorps (les immunoglobulines E, ou IgE, et G, ou IgG) dirigés contre certains composants de la salive des moustiques.
Atténuer les démangeaisons
Il existe de nombreux produits commercialisés et de nombreuses recettes « maison » pour atténuer la piqûre et les démangeaisons associées. Citons notamment l’utilisation d’un tissu imbibé d’eau chaude sur la piqûre ou à l’inverse d’un glaçon ou encore des compresses alcoolisées et certaines huiles essentielles.
Les pommades antihistaminiques ou les antihistaminiques par voie orale sont bien souvent très efficaces. Les pommades à base de corticostéroïdes sont également utilisées. Elles aident à diminuer les démangeaisons et les gonflements, consécutifs de la réaction inflammatoire.
Mais le problème principal lié à la piqûre ne réside pas dans les rares complications ou dans le désagrément que causent les démangeaisons, même si l’inconfort qui en résulte est indéniable.
En effet, dans certains cas, le moustique ne vient pas seul. Selon les régions du globe et les espèces considérées, il peut transporter en lui d’encombrants partenaires, virus ou parasites plus ou moins dangereux pour l’être humain. Or au moment de la piqûre, ces passagers clandestins peuvent s’introduire dans notre organisme.
Au-delà des boutons, le risque infectieux
Le problème des virus transmis par les arthropodes (arbovirus, de l’anglais ARthropod-BOrne VIRUSes), donc par les insectes tels que les moustiques, n’est pas nouveau. Mais s’il a surtout longtemps concerné les régions tropicales et subtropicales, il s’est déplacé, et s’est désormais installé sous nos latitudes, en même temps que les moustiques vecteurs de ces maladies.
En effet, la répartition géographique de certaines espèces de moustiques, notamment le moustique tigre (Aedes albopictus), s’est considérablement accrue au cours des dernières décennies. Hier cantonnée à l’Asie du Sud-Est, cette espèce invasive s’est répandue sur toute la planète : aujourd’hui seul l’Antarctique est encore préservé de ce moustique et des virus qu’il transmet, comme la Dengue, le virus Zika, ou le virus du Chikungunya. Conséquence : les cas autochtones de maladies virales transmis par les moustiques sont en augmentation sous de nouvelles latitudes, y compris sur le pourtour méditerranéen français.
Or ces virus peuvent s’avérer dangereux. Après s’être répliqués au niveau de la peau suite à la piqûre (principalement après infection de cellules immunitaires de la peau), ils peuvent entrer dans la circulation sanguine, d’où ils peuvent atteindre de nombreux organes. Foie, rate, reins… Les organes touchés sont nombreux. Mais le plus grave survient lorsque certains de ces virus atteignent le cerveau.
En effet, le système immunitaire y étant naturellement assez peu présent, ils peuvent se multiplier à l’envi, s’ils parviennent à franchir les barrières protégeant le cerveau, et induire différentes pathologies graves : encéphalites (inflammation du cerveau), méningites (inflammation des méninges) ou encore méningo-encéphalites (inflammation des méninges et du cerveau).
Se protéger des piqûres
La meilleure façon d’éviter les désagréments et les risques potentiels associés aux piqûres est de veiller à ce que le moustique ne parvienne pas à nous ajouter à la longue liste de ses victimes.
En outre, éviter la piqûre, c’est non seulement se protéger, mais aussi ralentir le cycle reproductif de la femelle, qui devra se mettre en quête d’une nouvelle victime pour pouvoir effectuer sa ponte. Or, une femelle moustique pouvant pondre plusieurs centaines d’œufs à chaque ponte, et les femelles de certaines espèces pouvant effectuer plusieurs pontes durant leur vie (autour de 5 le plus souvent), l’effort n’est pas anodin !
Toutes les précautions sont donc bonnes à prendre : vêtements amples et couvrants, moustiquaires, répulsifs… Il faut également veiller à éliminer dans notre environnement toutes les eaux stagnantes, qui peuvent être propices à la propagation des moustiques, en vidant les coupelles des pots de fleurs, les arrosoirs, en couvrant les réceptacles d’eau de pluie, etc.
En revanche, il faut éviter absolument les gadgets parapharmaceutiques tels que les « bracelets anti-moustiques », car ces accessoires sont au mieux inefficaces, au pire, nocifs. L’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) a en effet alerté en avril 2020 sur les risques de ces dispositifs, qui peuvent notamment entraîner des irritations ou des brûlures.
Mieux vaut donc privilégier les bonnes vieilles méthodes naturelles, dont l’efficacité a été éprouvée, comme les bougies et autres spirales antimoustiques, qui dégagent des arômes de citronnelle, de géranium ou de lavande… Les moustiques sont en effet très sensibles aux odeurs.
Soulignons d’ailleurs que la notion de « peaux à moustiques » est justifiée. En effet, les odeurs dégagées par notre peau ainsi que par les bactéries qui la colonisent (odeurs amplifiées notamment par la transpiration), rendent notre épiderme plus ou moins attractif pour les moustiques. Nous ne sommes donc pas tous égaux face aux risques de piqûres. Heureusement, les moyens de prévention et de lutte contre leur propagation fonctionnent pour tout le monde !
Yannick Simonin, Virologiste, maître de conférences en surveillance et étude des maladies émergentes, Université de Montpellier et Sébastien Nisole, Virologiste – Responsable de l’équipe “Trafic viral, restriction et immunité innée”, Institut de Recherche en Infectiologie de Montpellier (IRIM), Inserm
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.