Covid-19 : pourquoi les consignes sanitaires ne sont pas toujours respectées ?
Se protéger pour ne pas tomber malade et risquer sa vie devrait être le comportement naturel de tout individu. Pourtant si l’on en croit l’enquête que nous avons menée entre les 17 mars et 15 avril auprès de 5800 Français, le jour des élections municipales (c’est-à-dire le 15 mars), seules 23 % des personnes interrogées respectaient toutes les consignes sanitaires fixées par l’État dans le cadre de la pandémie liée à la Covid-19. Après, pendant le confinement, la proportion de ceux qui les suivaient systématiquement ne dépassait pas 37 % – et seules 17 personnes sur les 5800 déclaraient ne pas avoir du tout obéi aux consignes pendant cette période.
Patrice Cottet, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA); Jean-Marc Ferrandi, Université de Nantes; Marie-Christine Lichtlé, Université de Montpellier et Véronique Plichon, Université de Tours
Dans le détail, plusieurs mesures sont peu suivies : l’usage de mouchoirs jetables (seuls 77,1 % disent le faire), le lavage des mains (59,6 %), ou encore le fait d’éternuer dans le pli du coude (76,1 %). À l’inverse, même si un nombre significatif d’individus ne les appliquent pas, d’autres mesures sont mieux respectées : l’obligation de porter sur soi une attestation dérogatoire à chaque sortie (93,6 % le font), la limitation des déplacements (81,3 %), le respect des distances (84,8 %), le fait de n’embrasser personne (86,5 %) et de ne serrer aucune main (96,9 %). Alors que le gouvernement multipliait les messages sur les directives sanitaires, comment expliquer que certains d’entre nous ne respectent pas ces consignes à la lettre ?
Une question de distance psychologique
De nombreux facteurs (sociodémographiques, culturels, environnementaux…) ont été mis en évidence pour expliquer que des consignes sanitaires soient ou ne soient pas respectées. Mais il est possible que cela reflète aussi la priorité donnée par chacun au présent plutôt qu’au futur, notamment en termes de santé : plus la maladie et ses conséquences vous paraissent abstraites et psychologiquement distantes de votre quotidien et de votre vécu, moins vous prenez de précautions pour éviter un risque à venir.
Cette tendance peut s’expliquer par la théorie des niveaux de construit développée par Yaacov Trope et Nira Liberman. Elle permet de mieux comprendre la manière dont les individus pensent, se représentent leurs actions et prennent leurs décisions : ils formeraient des « construits mentaux » qui varient selon la distance psychologique (spatiale, temporelle, sociale, hypothétique) perçue à l’égard des objets.
En clair, d’après cette théorie, plus l’objet maladie paraît distant de votre univers, plus il devient abstrait et moins vous ressentez la nécessité d’agir. Notre enquête le confirme pour la Covid-19 : si aucun de vos proches n’a été touché, s’il n’y a pas de malades près de chez de vous, si la possibilité de contracter la maladie vous parait faible, alors vous serez moins enclin à suivre les directives sanitaires.
Trois types de comportements
Dans les faits, avant et pendant le confinement, cette distance psychologique s’est traduite à l’intérieur de notre enquête par trois types de comportements, soit trois groupes de personnes que nous allons comparer.
Le premier groupe (37,18 % des répondants), qui correspond à des hommes et femmes un peu moins âgés que la moyenne des personnes enquêtées et d’un niveau d’études plutôt élevé, s’est senti plus concerné une fois le confinement décrété. Pour ces personnes, la maladie est alors devenue plus concrète : sa distance psychologique a diminué. Tandis qu’avant, et notamment le 15 mars, elles avaient l’impression de ne rien avoir à craindre, n’avaient pas peur, percevant la Covid-19 comme une maladie ne pouvant pas les toucher. De ce fait, les règles d’hygiène et de distanciation étaient moins respectées que dans les deux autres groupes, et ces individus n’ont pas hésité à quitter leur domicile pour choisir un lieu de confinement plus adapté.
Avec le confinement, la donne a changé. Ayant ressenti des symptômes, certains ont craint d’être porteurs du virus ou d’avoir la Covid-19. Dans leur esprit, cette maladie est devenue plus concrète, mais aussi plus grave. La distance psychologique a donc fortement diminué, et dans ce premier groupe, le risque perçu pour soi et pour autrui se situe au-dessus de la moyenne par rapport à la population de notre échantillon. Ces personnes se tiennent donc davantage informées, évitent les contacts au sein de leur foyer, tout en étant plus stressées et anxieuses.
Dans le second groupe (42,19 % des répondants), au niveau d’étude plus faible, la distance psychologique vis-à-vis de la Covid-19 n’a pas changé avec le confinement. Ces personnes se sentent depuis le début de la crise assez éloignées de la maladie. Si elles ont dans l’ensemble appliqué les consignes sanitaires dès le 15 mars, elles sont moins stressées. En outre, elles n’ont ressenti aucun symptôme de la maladie. Pendant le confinement, elles n’hésitaient pas à pratiquer une activité physique en extérieur ou à avoir des contacts en face à face, estimant à un niveau plus faible que les autres la probabilité d’être porteur du virus ou d’avoir la maladie.
Dans le troisième groupe (20,63 % des répondants), constitué plutôt de femmes moins âgées que la moyenne de l’échantillon, la distance psychologique vis-à-vis de Covid-19 a augmenté avec le confinement. Se considérant comme des sujets à risque, ces personnes étaient au départ les plus anxieuses et les plus stressées. Elles redoutaient la maladie qu’elles percevaient comme concrète et peu distante. Elles ont donc accueilli très favorablement les consignes sanitaires et les ont totalement respectées. Mais si le risque perçu pour soi et pour autrui reste toujours très élevé dans ce groupe (en comparaison des deux autres), aucun symptôme de la maladie n’a été ressenti pendant le confinement – raison pour laquelle la Covid-19 est désormais perçue comme une menace éloignée.
Toutefois, ces personnes continuent de désinfecter leur maison et d’éviter au maximum les contacts, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur du foyer. Mais en raison du respect des consignes et de ce comportement de prévention, elles estiment à un niveau plus faible que la moyenne la probabilité d’avoir la maladie et d’être porteuses du virus.
In fine, cette enquête nous éclaire sur les comportements des uns et des autres face à la Covid-19. Mais on peut étendre son analyse à d’autres maladies. Elle ouvre des pistes en termes de communication, que ce soit pour la mise en œuvre des politiques de prévention en matière de santé publique ou de gestion des risques.
Informer le public, avec une argumentation rationnelle, sur les gestes barrière à adopter n’est pas suffisant en soi : il faut aussi permettre à chacun de sentir que le danger est proche. Pour inciter les personnes à agir, et donc à respecter les consignes, la maladie doit devenir concrète et/ou être perçue comme présente dans l’environnement immédiat.
Cet article a été rédigé à la suite d’un appel à contributions flash de la Revue française de gestion dans le contexte de la crise sanitaire engendrée par le virus responsable de la Covid-19.
Patrice Cottet, Maître de Conférences en Sciences de Gestion, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA); Jean-Marc Ferrandi, Professeur Marketing et Innovation à Oniris, Université de Nantes; Marie-Christine Lichtlé, Professeur des Universités, Université de Montpellier et Véronique Plichon, Professeure des Universités en Sciences de Gestion, Université de Tours
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.