[LUM#16] Dangereux dégel
La température grimpe, et la glace fond, déversant aujourd’hui des centaines de litres d’eau dans les cours d’eau. Mais demain ? Pour mieux anticiper les conséquences de la fonte des glaciers sur la disponibilité de la ressource en eau, les hydrologues cherchent à appréhender plus finement la dynamique de ces immenses masses glaciaires.
De la glace à perte de vue, sur plus de 100 000 km2. Des sommets qui culminent à plus de 8 000 mètres d’altitude. Bienvenue au « troisième pôle », immense étendue glaciaire qui serpente sur 3 600 kilomètres entre l’Afghanistan et la Birmanie. « C’est la troisième masse glaciaire continentale la plus importante au monde après l’Antarctique et le Groenland », explique Pierre Chevallier*. Cette région, l’hydrologue la connaît bien pour l’avoir arpentée à maintes reprises. Des missions de terrain indispensables pour mieux connaître ces glaciers qui alimentent dix cours d’eau majeurs d’Asie dont dépendent plus d’un milliard d’habitants, dans les montagnes comme dans les bassins fluviaux situés en aval.
Un troisième pôle aujourd’hui menacé par le réchauffement climatique. D’après une étude publiée en 2019 par l’International Centre for Integrated Moutain Development (ICIMOD), les deux tiers des glaciers de l’Himalaya et de l’Hindou Kouch pourraient fondre d’ici à la fin du siècle si la planète restait sur la même trajectoire d’émissions de gaz à effet de serre. « Lorsque les températures augmentent, non seulement il y a moins de glace qui se forme au sommet du glacier, mais de surcroît la fonte au bas du glacier s’intensifie. D’ores et déjà dans les montagnes de l’Himalaya et du Karakoram, certains glaciers reculent », précise le spécialiste.
Incertitudes
Pour mieux appréhender ce phénomène, le chercheur du laboratoire Hydrosciences Montpellier et ses collaborateurs ont rassemblé les résultats de plus de 250 articles scientifiques. Leur objectif : mieux comprendre les liens entre réchauffement climatique, changement des précipitations et retrait des glaciers. « La situation est difficile à appréhender et de nombreuses incertitudes subsistent concernant notamment les observations de terrain ou les données de télédétection, mais aussi les outils de modélisation et leurs hypothèses et scénarios », explique Pierre Chevallier.
Le devenir de ces géants de glace est pourtant un paramètre primordial dans la région, en particulier pour le bassin de l’Indus dont 50 % des ressources en eau proviennent directement de la neige et des glaciers, alors que les bassins voisins du Ganges et du Brahmapoutre sont davantage dépendants des pluies de la mousson. « Avec la fonte des glaciers, le débit des cours d’eau augmente et donc dans un premier temps il y a davantage d’eau disponible. Puis quand le glacier diminue et se rétrécit il va restituer moins d’eau et la ressource va alors s’amenuiser », raconte l’hydrologue.
Optimiser la gestion de l’eau
Une inquiétude majeure quand on sait que dans certains pays comme le Pakistan, près de 80 % des ressources en eau disponibles sont utilisées pour l’agriculture. « Une grande partie de l’eau de fonte des glaciers est puisée dans les rivières en aval pour irriguer la production agricole des grandes plaines, véritables greniers à céréales. » Et au-delà des préoccupations liées aux quantités d’eau nécessaires, cet usage pose un important problème de timing : « la fonte de la neige et de la glace intervient normalement au printemps, au moment où les agriculteurs en ont le plus besoins pour la germination des céréales, si l’eau venait à manquer à cette période de l’année cela serait particulièrement critique », alerte l’hydrologue. Face à ce risque, les spécialistes appellent à anticiper cette pénurie pour optimiser la gestion de la ressource en eau et son partage. « Dans un contexte où la disponibilité de la ressource fluctue sur l’année, il faut pouvoir assurer un approvisionnement satisfaisant, notamment grâce à la gestion des barrages qui par exemple ne doivent pas être pleins pour pouvoir stocker l’eau issue de la fonte des glaces », souligne Pierre Chevallier.
Réduire l’incertitude
Mais pour mieux anticiper, les chercheurs manquent encore de données comme l’a mis en évidence leur étude publiée dans Science. . « Pour combler ces lacunes nous recommandons de mettre en place un réseau d’observation étendu qui place des stations météorologiques entièrement automatiques sur des glaciers sélectionnés », explique l’hydrologue. Mais également de développer des projets de comparaison pour examiner la superficie et les volumes des glaciers, leur dynamique, le dégel du pergélisol et la sublimation de la neige et de la glace.
Des données indispensables pour réduire l’incertitude des scénarios de changements futurs. « Ce consensus sur la glacio-hydrologie de la région aidera les décideurs politiques à planifier de manière optimale la gestion de la demande et de l’approvisionnement en eau pour l’agriculture, mais aussi l’hydroélectricité, les usages des ménages et l’assainissement, note Pierre Chevallier. Cette anticipation est d’autant plus importante que les pays concernés sont en pleine croissance économique et démographique, ce qui s’accompagne d’une augmentation de la demande en eau.
© IRD – CNRS – Thibaut Vergoz, PRESHINE 2017
* HSM (UM – CNRS – IRD)
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