De la mer à la lune
Déguster un aïoli de morue avec vue sur le lac de la Félicité… Une scène digne d’un roman de science-fiction qui pourrait, un jour, devenir réalité grâce aux travaux de Cyrille Przybyla. Sa mission : développer un système d’aquaculture autonome en circuit clos pour augmenter la sécurité alimentaire sur Terre, quitte à décrocher la Lune.
En 2015 les astronautes de la station spatiale internationale dégustaient la première laitue cultivée dans l’espace (Sciences et avenir 6/03/2020). Depuis, radis, blé et même piments ont pris racine à plus de 400 kilomètres d’altitude. Un luxe quand la majorité de la nourriture disponible à bord est irradiée, lyophilisée ou en conserve, mais pas de quoi se rassasier non plus, surtout dans la perspective de futurs missions sur la Lune.
Alors comment assurer à ces astronautes leur ration de protéines notamment animales, de vitamines et d’omégas-3 ? Grâce au poisson ! Sauf qu’à moins d’une pêche miraculeuse, il y a peu de chance d’en apercevoir la queue dans la Mer de la Sérénité. C’est pour répondre à cette problématique lunaire que Cyrille Przybyla, biologiste marin au laboratoire Ifremer L-3AS, membre du laboratoire Marbec* et spécialiste de l’aquaculture multi-trophique intégrée (AMTI), a sorti ses mains de l’eau pour les tendre vers le ciel. « Moi je travaille sur le terrestre. Mon objectif est de réussir à élever des poissons en circuit clos en y intégrant plusieurs organismes d’où le terme multi-trophique. C’est un peu le même principe qu’un potager en permaculture. »
Tout se transforme
Dans ce circuit clos et contrôlé, « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » aurait pu déclarer une seconde fois Lavoisier. « Le mot-clé ici est circularité, explique le biologiste, tout ce qui est émis par le poisson sous forme solide et liquide doit pouvoir être récupéré et valorisé en le faisant convertir par d’autres organismes. » Ainsi les vers ou concombres de mer seront utilisés pour dégrader les fèces des poissons tout en constituant une potentielle source de nourriture pour ces derniers.
Le CO₂ rejeté par les poissons, comme l’ammoniac dégagé par leur système digestif, pourra servir de base à la culture de micro-algues. « Ces micro-algues, en plus d’épurer l’eau des bassins, pourront entrer dans la composition des repas et éviter ainsi de pêcher des poissons sauvages pour nourrir les poissons d’élevage. Et ça nous sommes les premiers à le faire » poursuit Cyrille Przybyla. Bref un système gagnant sur tous les plans : économies d’eau, réutilisation de molécules à haute valeur biologique, préservation de la biodiversité et enfin augmentation de la sécurité alimentaire mondiale.
Nourriture terrestre
« La FAO (Food and Agriculture Organization) est très intéressée par ce système biologiquement autonome qui peut donc constituer une excellente source nutritionnelle dans des zones isolées géographiquement ou dans des milieux pauvres et extrêmes. » Et quoi de plus extrême que la Lune ? Vibrations, hypergravité, microgravité, radiations… C’est toute une palette de tests que le chercheur, également titulaire d’un DU de mécanique céleste et diplômé de l’Université Spatiale Internationale, a dû mettre en place pour tester, dans le cadre du projet Lunar Hatch, la résistance des poissons dans l’espace. Ou plutôt des œufs de poissons, « parce que ce qui coûte cher dans l’espace c’est le poids, or on peut mettre 200 œufs dans un petit cube de 10/10 cm là où il faudrait plus d’1 m3 pour envoyer 200 poissons adultes ».
Ce petit cube en question est un CubeSat élaboré en collaboration avec le centre spatial universitaire de Montpellier (CSUM) avec qui le biologiste collabore pour réaliser ces tests de simulation de décollage. « Nous avons exposé des œufs de bar à la même vibration que Soyouz pendant dix minutes, puis nous les avons ramenés à Palavas pour étudier la suite de l’embryogénèse. Au total 162 œufs ont éclos, soit les mêmes résultats que sur notre groupe test, cette première étape a donc été validée » raconte Cyrille Przybyla.
Objectif Lune
Pour tester la résistance à l’hypergravité, autrement dit une accélération de 1G à 5G, , l’Agence spatiale européenne a financé la location d’une centrifugeuse et d’un simulateur de micro gravité. « Nous nous sommes basés sur la courbe d’accélération du décollage de Soyouz et nous n’avons constaté aucune incidence sur le taux d’éclosion des œufs. » Si les tests sur les radiations réalisés en collaboration avec l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) sont encore en cours au commissariat à l’énergie atomique de Cadarache, les premiers résultats sont là-aussi encourageants, mais d’autres questions surviennent à chaque nouvelle étape. « Nous parvenons à faire éclore ces œufs mais nos poissons naissent-ils stressés ? Les radiations occasionnent-elles des dommages sur l’ADN ? Bref, les petites larves que nous mettons au monde sont-elles viables dans un environnement lunaire ? » s’interroge le biologiste.
Autant de questions auxquelles il devra répondre avant 2032, date programmée de la prochaine biomission de l’Agence spatiale européenne qui embarquera vers la Lune près de 2 tonnes d’expérimentations biologiques parmi lesquelles, peut-être, nos 200 petits « fishonautes ». En attendant Cyrille Przybyla s’est envolé pour deux mois vers la Floride sur invitation de la Nasa. Une consécration pour celui qui avoue avoir « toujours eu cette idée en tête. J’ai joint ma passion pour l’exploration spatiale à une conviction et un savoir-faire issus de 20 ans de recherche sur les systèmes de production de poissons en milieu contrôlé. C’est en nous confrontant aux contraintes extrêmes de l’espace que nous relèverons les challenges terrestres. »
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