De l’eau propre grâce au soleil
La contamination des ressources en eau par les micropolluants organiques constitue une préoccupation croissante à l’échelle mondiale, posant des défis significatifs pour la qualité de l’eau et la santé humaine.
Gael Plantard, Université de Perpignan et Julie Mendret, Université de Montpellier
Ces micropolluants organiques, tels que les pesticides, les produits pharmaceutiques et les composés organiques persistants, sont souvent détectés en concentrations infimes dans l’eau (microgrammes, voir nanogrammes, par litre), mais même à ces concentrations leur impact sur les écosystèmes aquatiques et sur la santé publique est avéré.
Le réchauffement climatique aggrave la situation, car les variations de température, les changements de régimes hydrologiques et les phénomènes météorologiques extrêmes peuvent affecter la mobilité de ces substances et entraîner une augmentation de leur concentration dans les réservoirs d’eau.
Les technologies conventionnelles de traitement des eaux usées utilisées dans les stations de traitement des eaux usées (STEU) peuvent se révéler insuffisantes pour éliminer ces substances. Les stations de traitement contribuent donc à la dispersion de ses substances dans l’environnement.
Face à cette réalité, il devient impératif de développer de nouveaux procédés de traitement de l’eau capables d’éliminer efficacement les micropolluants organiques. Des approches innovantes – par exemple, l’utilisation de technologies d’oxydation avancée (TOA), d’adsorption sur charbon actif ou de séparation membranaire – sont nécessaires pour relever le défi croissant de la contamination par les micropolluants.
Les technologies d’oxydation avancées
Les TOA, tels que le procédé d’ozonation et les procédés de photo-oxydation, ont l’avantage d’une destruction non sélective des contaminants organiques, qu’ils soient biotiques (bactérie, agents pathogènes) ou abiotiques (pesticides, produits pharmaceutiques), et répondent donc parfaitement la problématique posée par les micropolluants.
Elles consistent à produire des espèces chimiques extrêmement réactives (appelées « radicalaires » ou « radicaux hydroxyles »), qui sont capables de rompre les liaisons carbone-carbone qui constituent les différentes substances organiques. Ce processus mène à la dégradation des polluants sous forme de dioxyde de carbone, d’eau et de sels : on parle de minéralisation.
Parmi les TOA, certains procédés convertissent l’énergie lumineuse en énergie chimique pour oxyder et dégrader les molécules organiques – on dit que ce sont des procédés photo-oxydatifs. Dans le cas de la photocatalyse hétérogène, les photons sont captés par un matériau photosensible tel que les photocatalyseurs (dioxyde de titane, oxyde de zinc par exemple). Ils induisent la formation de charges à la surface du catalyseur, qui initient la production d’espèces radicalaires via des processus d’oxydo-réduction.
Les technologies de photo-oxydation devraient permettre d’exploiter la lumière du soleil pour dégrader des contaminants. Des installations de type « photo-réacteurs solaires » sont toujours en développement en laboratoire. Le but est d’optimiser les rendements, et aussi de voir comment obtenir des coûts environnementaux et énergétiques (en fonctionnement) les plus bas possibles.
Par exemple, des recherches ont été conduites pour évaluer les capacités de photo-réacteurs solaires pour la décontamination des eaux usées issues d’établissements hospitaliers (produits pharmaceutiques), des effluents agricoles (résidus de biocides), la remédiation de nappe phréatique (résidus de solvants comme le trichloroéthylène), mais également le traitement des eaux usées pour des usages agricoles (irrigation) ou industriels.
Pour envisager le déploiement de ces technologies, il est nécessaire d’intensifier les performances des photo-réacteurs solaires et d’optimiser l’utilisation de la ressource solaire.
La ressource solaire disponible pour la photo-oxydation
L’exploitation de la ressource solaire constitue en effet un enjeu majeur dans le contexte climatique, énergétique et environnemental mondial actuel afin d’assurer la transition énergétique. Pour cela, on cherche à mettre en œuvre des technologies durables, à faible coût énergétique, en fonctionnement, grâce à la ressource solaire.
Cette ressource solaire est variable (à cause des nuages, de l’alternance jour-nuit et des saisons…). Quand on cherche à produire de l’électricité (photovoltaïque), c’est un écueil, car il est coûteux de stocker l’électricité produite jusqu’au moment où on en a besoin.
En revanche, pour le traitement de l’eau, les contaminants peuvent être stockés par adsorption sur des colonnes de charbons ou dans des bassins de rétention d’eau usée, en attendant que le soleil brille.
Ainsi, pour développer des installations solaires de dépollution de l’eau, on conçoit leur capacité de fonctionnement à l’échelle de l’année, ou on optimise leur capacité afin de répondre à des besoins ponctuels – saisonniers par exemple pour les zones touristiques.
Enfin, le rayonnement solaire se répartit en trois grandes familles de longueurs d’onde : le rayonnement ultraviolet, visible et infra rouge. Les photo-catalyseurs actuellement disponibles sur le marché présentent des limites en termes d’absorption du spectre solaire. Aujourd’hui, seule la plage ultraviolette – qui représente seulement 5 % du spectre solaire – est exploitable pour la photocatalyse appliquée au traitement de l’eau.
Depuis trois décennies, des études sont menées pour améliorer les performances des matériaux photosensibles, avec pour objectif d’augmenter les rendements de photo-conversion et leur capacité à absorber le rayonnement visible (45 % du spectre solaire).
Dans ce contexte, les défis sont désormais d’intensifier les capacités des filières existantes, d’améliorer la qualité sanitaire des eaux et de diminuer les coûts énergétiques des installations.
Pour cela, l’avenir des technologies d’oxydations avancées réside dans le couplage avec d’autres procédés : des procédés biologiques (pour éliminer les polluants « biorécalcitrants », c’est-à-dire non dégradables biologiquement), des procédés membranaires (éliminer les polluants de faibles tailles, non filtrés par membrane), ou encore avec le cycle thermodynamique solaire (pour activer thermiquement les catalyseurs).
Le projet Aquireuse
Notre projet Aquireuse explore une filière de traitement unique en France, qui repose sur une première étape de photocatalyse solaire, suivie d’une infiltration dans un sol riche en matière organique, qui contribue à dégrader la pollution.
En effet, pour certains usages, comme la recharge avec des eaux usées traitées d’une nappe phréatique qui servira de réserve pour la production d’eau potable, l’eau doit être exempte de micropolluants.
La recharge de nappe phréatique par des eaux usées traitées est une pratique encore inconnue en France mais est plus répandue, par exemple en Australie ou en Californie. Elle permet notamment de lutter contre un phénomène qui se généralise sur les zones littorales, la « remontée du biseau salé ». Lorsque le niveau des nappes phréatiques situées en bordure de littoral baisse du fait de prélèvements trop intensifs, l’eau de mer s’infiltre et contamine les ressources en eau douce, car l’eau rendue salée devient impropre à notre consommation.
Dans le projet Aquireuse, un effluent issu d’une STEU est utilisé pour alimenter un dispositif pilote de photocatalyse solaire où s’opère une première étape de dégradation totale ou partielle des micropolluants. L’effluent ainsi traité est ensuite envoyé pour une infiltration dans des sédiments où la matière organique du sol va contribuer à l’affinage du traitement en poursuivant la dégradation des micropolluants et des sous-produits issus de la photocatalyse solaire.
Les premiers résultats sont très prometteurs : une grande partie des micropolluants sont totalement dégradés après leur passage dans la filière de traitement. Ces résultats sont en cours de publication.
Une telle filière, associant un procédé durable et une solution fondée sur la nature, est un exemple d’économie circulaire pour le traitement de l’eau.
Gael Plantard, Professeur des universités en chimie des matériaux, Université de Perpignan et Julie Mendret, Maître de conférences, HDR, Université de Montpellier
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.