[LUM#21] Des rois sans forêt
C’est dans la forêt dense au sud du Cameroun que vit une partie du groupe Baka. Depuis les années 50, la sédentarisation forcée et les limitations des droits d’accès à la forêt ont progressivement coupé ces populations de leur moyen de subsistance et des pratiques constitutives de leur identité, au premier rang desquelles la chasse.
Ils sont les mal-nommés. Connus sous le nom péjoratif de Pygmées, signifiant « haut d’une coudée » en grec ancien, ce peuple vivait jusque dans les années 50 dans des campements nomades au cœur des forêts équatoriales entre le Cameroun, le Gabon, la République Centrafricaine et le Congo. Sur d’anciennes gravures datant de l’époque coloniale, on les trouve volontiers représentés, lance à la main, faisant face à un éléphant presque aussi immense qu’ils semblent frêles. « La chasse à l’éléphant était pour les Bakas un rite initiatique, une épreuve permettant aux jeunes de devenir Tūmā c’est-à-dire maître chasseur » explique Laurence Boutinot, anthropologue au laboratoire Forêts et Sociétés1.
Au Cameroun, la vie des Bakas se structure autour de cette pratique cynégétique, comme le souligne la chercheuse : « La chasse est collective, elle fait partie d’un mode de vie, de socialisation, de transmission des savoirs. » Elle est également constitutive d’une identité pour les Bakas, à l’inverse de leurs voisins du groupe bantou avec lesquels ils ont toujours entretenu des liens étroits et complexes. « Ils sont un peu les rois de la forêt et de la nuit quand les Bantous, sédentaires, sont plus familiers des pratiques diurnes de l’agriculture. »
Résistance silencieuse
Aujourd’hui ces campements nomades sont plus discrets, moins nombreux et s’installent en forêt sur des temps plus courts. Le reste de l’année, les Bakas campent en bord de pistes près des villages. « Victimes d’exclusion et de racisme, privés de chasse et de forêt, avec un accès limité à l’école et au marché du travail, les Bakas sont dans des situations de désœuvrement. Certains dépensent le peu d’argent qu’ils ont dans de petits sachets d’alcool que les commerçants à motocyclette leur fournissent à bon prix » déplore l’anthropologue. Pour comprendre cette funeste évolution il faut, comme souvent en Afrique, remonter à l’époque coloniale.
L’arrivée des colonisateurs, missionnaires et administrateurs sur le sol africain nécessitant des approvisionnements importants en nourriture, les occidentaux se sont peu à peu octroyé un droit de chasse exclusif sur les espaces forestiers. « La faune sauvage étant aussi chassée pour ses trophées à l’époque très prisés sur les marchés internationaux, les occidentaux ont établi des règles qui excluaient les peuples indigènes. De chasseur de subsistance ces derniers se sont retrouvés accusés de braconnage2 » (Surveiller sans punir. Un commun de résistance au travers du « braconnage » dans les forêts camerounaises). C’est le début de la résistance silencieuse des Bakas qui, sans exprimer d’opposition manifeste, ne cesseront jamais d’aller dans la forêt pour chasser, s’exposant ainsi à la répression (Parcours d’une résistance silencieuse dans les forêts du Cameroun).
Mise en enclosure
A la même époque, l’administration coloniale quadrille le territoire et ne reconnaît comme ayant-droit sur les terres que les chefs de village bantous déjà sédentaires. La mobilité des Bakas en fait les grands oubliés de cette répartition. Lorsque, dans les années 50, la même administration impose à tous les autochtones de se sédentariser pour pouvoir prélever l’impôt et réquisitionner de la main d’œuvre, « ils se sont retrouvés sans terre, contraints de s’installer au bord des routes. Mais là encore les clans ont continué de se retrouver en forêt à la bonne saison pour chasser sous les radars des autorités » poursuit la chercheuse.
Avec la décolonisation les Bakas n’ont pas retrouvé un usage libre de la forêt. Au contraire, la création d’aires protégées pour la faune, de parcs nationaux pour le tourisme et l’emprise des unités forestières d’aménagement pour l’exploitation du bois d’œuvre, appartenant historiquement à des entreprises françaises, limitent toujours plus l’accès aux territoires de chasse (Les droits des peuples locaux et autochtones à la lumière des politiques forestières et de conservation). « Aujourd’hui, la forêt est découpée et monopolisée de toute part. Les forêts sont mises en enclosures de manière à exclure les paysans et les chasseurs de l’usage de ces biens publics. Les forêts communautaires, que la loi leur laisse en gestion villageoises, sont des espaces déjà dégradés, vidés de leur faune et même de leurs essences précieuses, on n’y trouve plus les chenilles prisées sur les marchés puisque les arbres sont coupés. »
Trois méchants3 lapins
Quant à la chasse, les règles de plus en plus sophistiquées ne sont pas revenues en faveur des Bakas. Si l’usage de la lance traditionnelle leur est encore autorisé, le gibier correspondant à cette arme lui, ne l’est plus. « Cette arme est faite pour tuer le gros gibier, pas des lapins ou des ragondins, mais le gros gibier est désormais protégé par l’UICN ce qui n’empêche pas les gros braconniers de faire leurs affaires. » Les armes à feu sont autorisées mais à condition d’avoir un port d’arme donc des papiers d’identité, « donc de l’argent ! C’est tout un processus qui les exclut » constate Laurence Boutinot.
Sans terre à exploiter, sans accès à la forêt, les Bakas travaillent parfois aux champs pour le compte des Bantous en échange de quelques francs CFA, quand ils ne sont pas exploités gratuitement. « Le plus cynique c’est que les sociétés forestières les emploient maintenant pour surveiller les forêts d’où ils sont chassés et dénoncer les braconniers qui sont parfois leurs propres frères ». L’anthropologue raconte ainsi l’arrivée au village de Mindourou lors de sa dernière mission au Cameroun en 2018 : « A côté de la cahute de la gendarmerie il y avait un terrain grillagé dans lequel était enfermé depuis plusieurs mois un Baka. Il avait été pris avec trois méchants lapins dans son sac. »
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- Le groupe bantou regroupe diverses ethnies, Badjoué, Bayélé, etc qui parlent des langues bantoues partagées par de nombreuses sociétés de l’Afrique centrale, y compris par les groupes Aka de Centrafrique. Les Bakas du Cameroun parlent une langue oubanguienne . Cf.Bahuchet, S., 1989, Les Pygmées Aka et Baka. Contribution de l’ethnolinguistique à l’histoire des populations forestières d’Afrique Centrale. Thèse de doctorat d’Etat, Université René Descartes, Paris V. ↩︎
- Cf. P-A Roulet, 2004, Chasseur blanc, cœur noir ? La chasse sportive en Afrique Centrale, thèse de doctorat, géographie, Université d’Orléans, 563 p. ↩︎
- Issue de la chanson de Gaston Couté « Chanson de braconnier » dans La chanson d’un gâs qu’a mal tourné, Œuvres complètes, premier volume, Saint-Denis, Le Vent du Ch’min, 1976, 131 p. p 61, cité par Mayaux J-L, 2006, p 25. ↩︎