En ville, les écoles « nature » sont-elles possibles ?
Plus de 80 % de la population française est urbaine et, avec elle, l’extrême majorité des établissements scolaires. Comment permettre alors à la plupart des élèves de bénéficier de ces classes en plein air dont on parle de plus en plus ? L’école dans la nature peut-elle vraiment devenir la révolution pédagogique du XXIᵉ siècle ?
Sylvain Wagnon, Université de Montpellier
Cet article a été co-écrit avec Corine Martel, conseillère pédagogique et directrice du centre EducNatu’re de Restinclières et chargée de cours à la faculté d’éducation de l’université de Montpellier.
D’abord, rappelons que, si le terme « nature » implique un endroit où la verdure l’emporte sur le béton, il est aussi important de porter notre attention sur les petits coins végétalisés et les parcs présents en ville. Il est nécessaire de ne pas oublier que, sous le goudron, il y a la terre.
Malgré la densification urbaine, la nature est présente autour de nous, tout le temps, qu’il s’agisse d’un parc, de jardins partagés, d’arbres le long d’une avenue ou plantés sur des toits et même du ciel où vit une biodiversité invisible (bactéries, champignons et levures transportés par les gouttelettes d’eau). La politique actuelle de végétalisation des espaces urbains ouvre de nouvelles perspectives aux enseignants.
Avec la multiplication des projets stratégiques qualifiés de « ville nature », « ville verte » ou « trame verte et bleue », il s’agit de développer une ville plus résiliente, de limiter les conséquences du réchauffement climatique, ce qui se traduit en zones urbaines par la réduction des îlots de chaleur urbains donc par la plantation d’arbres ou la mise en place de toitures végétalisées. Autant d’éléments qui sont des leviers et des ressources pour une école dehors en ville.
L’école dehors en ville, un réel besoin
L’engouement pour l’école dehors ne peut pas être réduit à la période de crise sanitaire et de confinement que nous avons vécu ; l’enseignement en nature et avec la nature est une nécessité et un besoin. En effet, au-delà de l’idée de déficit de nature, les études montrent bien l’intérêt de la nature pour les équilibres psychiques, la santé en général ou la créativité, des éléments fondamentaux pour une éducation harmonieuse et respectueuse des besoins et du rythme biologique des enfants et de adolescents.
La densification des villes a clairement réduit les liens entre les êtres humains et leurs environnements. Conjuguée à une sédentarisation croissante, en confinant les enfants dans des espaces exigus, cette évolution n’a fait qu’accélérer le fossé entre les jeunes enfants et la nature, alors même qu’ils aspirent à bouger, courir et profiter d’espaces de loisirs.
Les programmes, dans la plupart des disciplines, insistent, en particulier par l’éducation à l’environnement, à la connaissance des liens entre les êtres humains et la nature. Marie Jacqué souligne l’importance des conceptions diverses de la nature par les enseignants. Il peut en effet s’agir de la représentation d’une nature sans l’espèce humaine : une nature à respecter, à préserver pour elle-même. Dans cette perspective, c’est une approche sensible de la nature qui est privilégiée.
Mais la nature peut aussi être comme un écosystème à comprendre dans ses relations entre vivants. Cette approche contribue habilement à privilégier les pratiques pédagogiques coopératives, d’échanges avec les pairs et d’entraide.
Dans tous les cas, les enseignants qui pratiquent cette école dehors en ville font le choix d’ancrer leurs apprentissages au plus près du réel, afin que leurs élèves réalisent des observations in situ qui serviront de support pour des apprentissages en classe. Car, paradoxalement, l’impact du bâti humain peut permettre l’observation d’une biodiversité composée de refuges pour certaines espèces animales et végétales suite à la destruction des espaces naturels. C’est ainsi que peuvent s’élaborer en ville des projets, supports de la biodiversité, tels que les Aires Terrestres Éducatives ou les ABC de biodiversité, la labellisation E3D des écoles et établissements.
Cette évolution n’est d’ailleurs pas seulement scolaire mais pensée sur des temps périscolaires avec la création des terrains d’aventures, espaces éducatifs permettant aux enfants de s’approprier des espaces naturels.
Classe promenade et végétalisation
La classe-promenade représente l’une des activités les plus emblématiques et évidentes de l’école à l’extérieur. Elle fait partie de l’histoire scolaire française et d’une école vivante. Au début du XXe siècle, les pédagogues Élise et Célestin Freinet reprennent cette activité pour en faire une pratique emblématique de leur pédagogie en lui donnant une visée pluridisciplinaire et permettre aux enfants d’être réellement les acteurs de leurs apprentissages. Cette promenade est l’occasion de développer avec les enfants leurs sensibilités à l’environnement, et de favoriser l’expérimentation directe avec la nature. Pour les époux Freinet, cette activité est un levier pour transformer radicalement les façons d’enseigner et de faire apprendre en développant l’entraide, les partages et la coopération entre enfants.
Aujourd’hui, elle peut être un outil pour développer cette école avec la nature en ville. Certes, les mesures administratives rendent parfois complexe la sortie d’une classe à l’extérieur, néanmoins l’objectif n’est pas de partir loin, mais plutôt d’observer l’espace proche ou la nature est présente sous toutes ses formes.
Le mouvement actuel de végétalisation des cours de récréation est une occasion de développer l’école dehors au sein même des établissements. Les avantages ne se limitent pas à imaginer une flexibilité des lieux d’apprentissages, mais à développer des espaces plus résilients face au réchauffement climatique. Cela permet en outre de lutter contre les risques d’inondation dans certaines villes et de créer des corridors de déplacements pour les espèces animales.
Passer de la cour asphaltée à la cour naturalisée, amener la nature dans la cour est l’occasion de repenser les pratiques pédagogiques, en élaborant un potager, un jardin, en mettant en œuvre des projets disciplinaires ou pluridisciplinaires à tous les niveaux du premier comme du second degré. L’accès facile, l’absence de mesures administratives spécifiques sont autant de moyens de transformer ces espaces végétalisés en pivots de la construction des apprentissages, avec des temps de lecture mais aussi de calcul ou tout simplement de repos au sein de la nature lors des pauses méridiennes.
Transformer sa façon d’enseigner implique une réflexion de fond sur ce que l’on veut et peut faire. C’est une révolution de velours dans le sens ou finalement, il ne s’agit pas de changements s’inscrivant dans une rupture avec son enseignement précédent mais d’un processus fluide et complémentaire.
Sylvain Wagnon, Professeur des universités en sciences de l’éducation, Faculté d’éducation, Université de Montpellier
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.