“Etre fiers de notre diversité”
A la maison, il a la charge de 5 enfants. Au travail, de tout un parc informatique. Laurent Barrère n’est pas qu’un homme occupé : il a aussi un handicap, impossible à deviner au premier regard. Le quotidien professionnel quand on est sourd, c’est comment ? Suivez le guide…
L’interprète est là. Ma première interview en langue des signes : une interview à trois, où la gestuelle s’envole, aérienne. Une langue universelle s’installe entre nous, belle comme une danse… Regard azur, look de pirate et sourire lumineux, Laurent est arrivé à l’université en septembre 98. Il travaille aujourd’hui à la Faculté des sciences de Montpellier.
“Avec les collègues ça se passe bien. On rigole ! Mais personne ne connaît la langue des signes. Alors, parfois je donne de petits cours… A midi, on va au restaurant administratif, j’essaie de suivre les conversations mais je finis souvent par abandonner : ça demande beaucoup d’attention… Dans ma pratique professionnelle je suis aussi en contact avec des étudiants, des enseignants. Avec les étudiants c’est un peu plus compliqué. Notamment avec les étudiants étrangers qui ne parlent pas français. Pas toujours simple de communiquer dans ce cas… “
“Des effort de sensibilisation à faire”
Comment améliorer le quotidien ?
“L’idéal pour moi, ce serait que d’autres personnes parlent la langue des signes. On pourrait se conseiller, échanger sur la vie au boulot, se raconter nos stratégies professionnelles. Pouvoir échanger sur nos difficultés : ça me libérerait d’un poids. C’est lourd parfois de rester avec les entendants sans rien dire, en ayant du mal à suivre les conversations. Les difficultés de communication, elles viennent souvent d’une forme de peur, la peur d’aller à la rencontre des autres. Il y a encore des efforts de sensibilisation à faire, pour mieux connaître les personnes en situation de handicap.”
Sensibiliser, mais comment ?
“Oui, ce n’est pas simple ! Il ne faut pas avoir peur d’aller vers l’autre, de se parler. C’est à ce prix-là que l’on comprendra mieux ce qu’est le handicap. Dans le cas des sourds, il y a une barrière de la langue qu’il faut franchir. Mais c’est un problème général, qui dépasse d’ailleurs le cadre de l’université. C’est dans la société toute entière qu’il faut faire un effort d’information : comment se rapprocher ? Comment mieux dialoguer ?”
Il faut plus de communication ?
“Bien sûr ! Bien souvent c’est par ignorance que l’on n’ose pas aller au-devant de personnes en situation de handicap. Il ne faut pas avoir peur d’entrer en contact. La communication est possible. Par exemple, on parle souvent des “sourds-muets”. Ce n’est pas une réalité : les sourds ne sont pas muets ! Je parle, les gens peuvent me comprendre.”
“Fiers de notre diversité”
A l’université, la création du service handiversité a changé quelque chose ?
“C’était il y a 5, 6 ans. Oui, il y a pas mal de choses qui ont changé. Quand le service a été créé, j’ai pu me faire entendre, exprimer mes besoins. Certains aménagements importants ont été mis en place : les flashs lumineux en cas d’alertes incendie par exemple. Le plus important pour moi, ça a été la possibilité d’avoir des interprètes pour les réunions : ça n’existait pas. Par contre, il faut les prévenir 3 semaines à l’avance…”
Qu’est-ce qu’il reste à faire ?
“Beaucoup de choses. J’aimerais que les universités embauchent plus souvent les sourds et les malentendants car ils ont du mal à trouver un travail dans des entreprises privées. Et puis, il ne faut pas avoir peur de la différence. Je crois que c’est à chacun de nous de se retrousser les manches, pour aider l’université à être accessible et accueillante. L’université est le lieu du savoir et de la connaissance. Pour moi, c’est une fierté de travailler ici, et d’y exercer un métier à forte valeur ajoutée. J’aimerais m’engager pour faire mieux connaître le handicap, pour sensibiliser les gens. Si les sourds n’étaient pas présents à l’université, il manquerait tout un pan de la société. Nous devons être fiers de notre diversité. J’aimerais aider à ça.”