Innovation : Montpellier a des idées… et des brevets !
Début mars, l’INPI, l’organisme public en charge de l’enregistrement et de la délivrance des titres de propriété industrielle, publiait son traditionnel palmarès des 50 premiers déposants de brevets 2022*. Bonne nouvelle : l’Université de Montpellier y fait son entrée à la 49e place, se classant de facto parmi les 10 premiers établissements d’enseignement supérieur de l’hexagone ayant déposé le plus de brevets (21). Entretien avec Philippe Combette, vice-président en charge de l’innovation et des partenariats à l’Université de Montpellier.
Ce classement 2022 marque l’entrée de l’Université de Montpellier à la 49e place du nombre de brevets publiés, entreprises privées comme organismes d’état confondus, est-ce qu’on peut dire que cette distinction est un indicateur d’innovation ?
L’Université de Montpellier entre dans le top 50, c’est une première. Nous sommes même dans le top 10 des universités françaises. Montpellier regroupe un grand nombre d’organismes de recherche, avec près de 5 000 chercheurs et chercheuses… Mais aucun grand groupe n’est présent sur le territoire. Ce qui a longtemps été considéré comme un inconvénient, c’est-à-dire une recherche orpheline de ses applications industrielles, nous a apporté une grande agilité et une appétence pour une innovation en rupture.
Quel est l’intérêt de déposer un brevet pour un établissement d’enseignement supérieur ?
Certains pensent que ce n’est pas nécessaire de breveter. Pourquoi ? Le quotidien des chercheurs et chercheuses est de faire de la science ouverte, de mettre leurs découvertes à disposition d’une communauté, de produire de la connaissance. Ce n’est pas la même philosophie qu’un brevet qui sert à protéger, à négocier et à capter des ressources financières.
Un brevet n’est donc pas une fin en soi ?
Selon moi, l’innovation est une idée qui a trouvé un marché. Avec la notion d’exploitation de la recherche académique ou d’exploitation de la recherche industrielle en vue de la vente d’un objet, d’un logiciel, d’un transfert de technologie employé à la production de… Nous parlons ici de choses concrètes et monnayables. C’est une chose de rédiger des brevets, c’en est une autre que ces brevets débouchent sur des licences d’exploitation. Sans licence d’exploitation, le brevet ne sert à rien, sauf à protéger une idée. Une idée peut être séduisante sur le papier mais ne jamais pouvoir être exploitée commercialement. Par exemple, un concept décliné en objet peut être si compliqué à fabriquer que d’un point de vue financier cela ne sera jamais rentable.
Comment se passe le processus de dépôt de brevet ?
Quand un chercheur ou un enseignant-chercheur a une idée pour laquelle il trouve intéressant de déposer un brevet, il fait une déclaration d’invention (une DI) auprès de la direction de l’innovation et des partenariats (DIPA) de l’Université de Montpellier. Notre interlocuteur direct pour la transformation de la déclaration d’invention en brevet est la Satt AxLR (société d’accélération et de transfert de technologie) AxLR qui décide ou non de cette transformation d’idée en brevet. Cela peut aussi se faire à travers d’autres organismes de transfert de technologie tels que CNRS Innovation, Inserm Tranfert ou Inrae Transfert ou toute autre structure de valorisation. Il s’agit dans tous les cas d’amener un brevet à une exploitation commerciale, soit par la création d’une société, soit par un transfert de technologie. Soit par les deux.
Un brevet rapporte combien en moyenne ?
Cela dépend fortement de la communauté concernée. Pour exemple, en chimie : il suffit d’une molécule, une formule, une formulation, et c’est breveté. Admettons que ce brevet soit associé à la fabrication d’un médicament, par exemple contre le diabète, la licence d’exploitation peut amener beaucoup d’argent, parfois des millions d’euros. Mais sur cent brevets déposés, seuls deux ou trois vont rapporter de l’argent. Dans la partie technologie ou micro-technologie, une licence d’exploitation d’un brevet rapporte quelques milliers d’euros seulement. Mais par contre elles seront plus nombreuses. Ce qui est important c’est le couple brevet-licence d’exploitation. Les licences d’exploitations déterminent le montant des revenus qui seront générés au profit de l’Université, de l’organisme de recherche, du laboratoire et naturellement du chercheur ou de la chercheuse.
Dans ce contexte, quelle est la stratégie en matière d’innovation de l’Université de Montpellier ?
Ce classement montre qu’il y a une dynamique en marche qu’il nous faut pousser et accélérer. Pour cela, l’Université a mis en place de nombreux outils, notamment pour former et acculturer l’ensemble des personnels universitaires en faisant du capacity building. Cela passe aussi par l’accueil des entreprises au sein des laboratoires à travers le programme “Companies on Campus“. Ce que font depuis des années des pays comme le Japon, les USA, l’Allemagne, la Suisse… Comme il y a peu d’industries sur le territoire montpelliérain, il s’agit donc d’attirer les talents industriels pour qu’ils viennent s’implanter dans un premier temps dans un laboratoire, avec des conditions financières et intellectuelles extrêmement intéressantes. On est dans un cercle vertueux. Cela permet une amélioration de la compétitivité tout en générant des opportunités d’embauche pour nos étudiants et étudiantes (lire aussi : « L’innovation ne peut pas exister sans la confiance »).
Depuis 2021 l’UM a été sélectionnée pour devenir un pôle universitaire d’innovation (PUI), quelle manière ce PUI contribue-t-il à cette dynamique ?
La spécificité de Montpellier est liée à la présence sur le campus de beaucoup d’organismes de recherche. Notre gouvernance, et donc notre mode opératoire collectif, était déjà actif à travers Muse, il suffisait de le décliner pour la partie innovation. Toutes les actions que j’ai citées précédemment sont des actions du PUI. Les trois piliers de l’i-site Muse « soigner, nourrir, protéger » sont désormais au cœur du projet-phare de Montpellier Métropole : Medvallée. Nous venons d’avoir la première bourse Frenchtech de BPI France sur un projet issu du PUI, la société Terratis pour lutter contre le moustique tigre, et ce parce que tout le monde s’est associé pour faire en sorte qu’une idée sortie d’un laboratoire amène à la création d’une société qui a déjà des marchés colossaux. Le PUI est là pour mettre en œuvre, coordonner, mais c’est avant tout un collectif. C’est pourquoi je ne me satisfais pas encore de ce classement, qui selon moi est incomplet. Il faut pousser, il y a un potentiel faramineux à Montpellier. Le pôle universitaire d’innovation va nous inciter à le faire.
L’université est un établissement de formation : la jeunesse est-elle moteur d’innovation ?
Je constate que les étudiants et étudiantes sont de plus en plus intéressés par l’entrepreneuriat, ils ont envie de trouver du sens dans ce qu’ils font. Mais côté académique, il y a toujours des freins au niveau de la prise en considération des activités de valorisation et de recherche appliquée. La moyenne d’âge de ceux et celles qui déposent des brevets est autour de 40-45 ans, voire 50 ans. Pourquoi ? Parce qu’ils doivent d’abord faire carrière dans le monde académique, publier pour être reconnu par sa production scientifique. Mais les choses sont en train de bouger, les courbes s’infléchissent et montrent que les mentalités changent. Nous misons beaucoup sur les jeunes, notamment à travers les projets d’étudiants-entrepreneurs… À Montpellier, nous avons aussi un booster de l’innovation (BIM), financé par le PUI, qui nous permet d’accompagner les projets d’étudiants et étudiantes, mais aussi de chercheurs, chercheuses ou de salariés… C’est en associant la jeunesse, le monde académique et le monde socio-économique, que nous allons augmenter notre nombre de brevets et notre nombre de création de startups. Tout en contribuant à aider les étudiants et étudiantes à donner sens à leurs études.
INPI : « Une position confortée de la recherche publique
En novembre 2021, l’Université de Montpellier a été sélectionnée comme l’un des cinq sites pilotes de l’hexagone destinés à développer un pôle universitaire d’innovation (PUI) sur son territoire. Une stratégie gouvernementale qui vise à favoriser les retombées économiques et sociales de la recherche en favorisant le développement d’écosystèmes innovants. L’INPI estime que ce classement permet de mieux identifier les organisations, privées comme publiques, qui investissent dans l’innovation. Et note « la position confortée de la recherche publique ». Il faut toutefois préciser que cette édition 2022 est fortement marquée par la crise du Covid-19 puisqu’’elle prend en compte les demandes de brevets effectuées entre le 1er juillet 2020 et le 30 juin 2021. Durant cette période, l’Université de Montpellier a déposé 21 brevets.