[LUM#17] Innover de la tête aux pieds
Sur le campus Saint-Priest des roboticiens, informaticiens et électroniciens mettent leurs savoir-faire au service de la chirurgie. Qu’ils travaillent sur des prothèses intelligentes comme l’équipe RFEF à l’Institut d’électronique et des systèmes (IES)* ou sur des robots chirurgiens comme l’équipe Dexter au Laboratoire d’informatique, de robotique et de microélectronique de Montpellier (Lirmm)**, leur motivation est la même : donner à l’innovation un impact social fort.
En France chaque année, 100 000 personnes se font poser une prothèse de genou. Pour améliorer le suivi des patients, le chirurgien orthopédique Stéphane Naudi, fondateur de la start-up Bonetag, a imaginé une prothèse intelligente munie d’un capteur d’adhérence pour anticiper un descellement de l’os et traçable pour assurer une bonne continuité des soins.
Techno jusqu’à l’os
« Stéphane Naudi est venu nous voir dès 2013 parce qu’il avait entendu parler de nos compétences en capteurs et en tag RFID » se souviennent Brice Sorli et Arnaud Vena, chercheurs à l’IES et collaborateurs scientifiques de Bonetag. Le tag RFID est une technologie de radio identification utilisée pour la traçabilité des vêtements, des emballages, et mêmes de nos chiens et chats. « C’est un dispositif qui contient un microprocesseur, une mémoire et une antenne mais qui ne requiert pas de batterie, explique Arnaud Vena. Pour Bonetag il fallait une technologie qui fonctionne pendant toute la durée de vie de la prothèse sans avoir à réopérer le patient pour changer une pile. » Le tag inactif dans le genou émet un signal radio-fréquence lorsqu’il est activé grâce à un lecteur au cours de la consultation.
Le challenge de cette innovation a résidé dans la miniaturisation de l’implant. « Les projets de prothèses électroniques qui existent n’ont pas percé en raison de leur complexité, explique Brice Sorli, alors que l’implant de Bonetag est facile à intégrer dans n’importe quelle prothèse grâce à un système d’encoche pour lequel la société a d’ailleurs déposé un brevet. » Les électroniciens sont parvenus à développer un micro dispositif contenant le tag RFID, muni d’une antenne miniature, elle aussi brevetée, et d’un capteur mesurant l’adhérence entre l’os et la prothèse. Ils se sont même offert le luxe d’ajouter un capteur de température « pour détecter une éventuelle infection des tissus » précise Arnaud Vena. Avec déjà 4 brevets à son actif, le micro implant Bonetag c’est petit… mais costaud !
Compas dans l’oeil
Costauds aussi, les robots chirurgiens. Entrés pour la première fois au bloc en 1985 en Californie, leur précision n’a cessé depuis de s’affiner comme le confirme Philippe Poignet, directeur du Lirmm : « Nous réalisons des opérations à moins de 10 microns. C’est une précision multipliée par dix par rapport à la main du chirurgien ». En 2020, ce roboticien fonde avec son confrère Yassine Haddab et l’ingénieur zurichois Christophe Spuhler la start-up AcuSurgical. Leur crédo ? La robotique appliquée à la chirurgie rétinienne, « une microchirurgie tellement précise qu’elle reste réservée à une élite de chirurgiens ». Associés à deux chirurgiens de Saint Etienne, ils lancent le projet Retinoct combinant imagerie et robotique. Dans la main du chirurgien pas de scalpel mais un joystock intégré dans une console et relié à un bras robotique reproduisant instantanément ses gestes sur le patient. Premiers essais sur l’homme prévus en 2023…
Dans la peau
Autre exemple: le projet Astrid Blockprint qui redonne vie au robot Dermarob, développé dans les années 2000 par le LIRMM, pour réaliser des prélèvements de peau lors des chirurgies reconstructrices pour les brûlés. Sa version actualisée reprend du service dans le cadre d’un projet avec la start-up lyonnaise LabSkinCreations fabricante de derme artificiel sous forme liquide. « Sa mission, explique Philippe Poignet, sera d’effectuer une bio-impression robotisée in situ de peau en contrôlant précisément la géométrie et l’épaisseur de l’impression ».
Les reins solides
L’ergonomie est aussi un enjeu d’amélioration central dans la pratique chirurgicale. Depuis 2015 Philippe Poignet, Nabil Zemiti (LIRMM) et Stéphane Droupy du CHU de Nîmes collaborent avec la société STERLAB pour mettre au point un robot d’assistance pour le traitement des calculs rénaux par laser. Une intervention longue et délicate consistant à insérer dans l’uretre du patient une caméra flexible munie d’un laser pour la faire pénétrer jusqu’au rein.
« Pour traiter un calcul de 1 cm, il faut environ 1 heure pendant laquelle le chirurgien reste dans une position inconfortable, debout entre les jambes du patient » décrit Philippe Poignet. Avec le robot ILY qui reproduira tous ses gestes à distance, il pourra désormais être assis devant une console et profiter d’un système d’imagerie et d’un environnement augmenté. Grâce à des algorithmes extrêmement sophistiqués, ILY pourra compenser les mouvements physiologiques naturels du patient et du chirurgien et apporter là aussi une précision supplémentaire. Actuellement 80 opérations ont déjà eu lieu et deux ventes sont prévues cette année.