JO 2024 : surveillance renforcée pour le moustique tigre et la dengue !

Au fil des années, le virus de la dengue fait de plus en plus parler de lui en France métropolitaine.

Le 8 juillet 2024, l’Agence régionale de santé (ARS) d’Occitanie a déclaré avoir identifié le premier cas d’infection autochtone de l’année, dans l’Hérault, à proximité de la ville de Montpellier. La personne malade n’avait pas voyagé récemment dans un pays où le virus circule de façon endémique.

Yannick Simonin, Université de Montpellier

Crédits Freepik

La situation est particulièrement surveillée cette année, pour deux raisons : non seulement le changement climatique favorise la prolifération des moustiques, mais de plus, le risque d’importation de cas depuis l’étranger est très élevé, notamment durant les grands rassemblements internationaux tels que les Jeux olympiques.

Que faut-il savoir sur cette menace, et comment s’en prémunir ?

La dengue, majoritairement asymptomatique, mais parfois mortelle

Le virus de la dengue est transmis par les moustiques tigres (Aedes albopictus), une espèce invasive qui s’est bien implantée sur le territoire européen. Le plus souvent asymptomatique, entre 50 % à 90 % suivant les études et les 4 sérotypes, cette maladie peut être fortement invalidante lorsqu’elle est associée à des symptômes (forte fièvre, douleurs, nausées, vomissements, douleurs rétro-orbitaires, articulaires et musculaires…). La dengue peut aussi se manifester par une forme sévère. Potentiellement mortelle dans 1 à 5 %, elle s’accompagne alors de saignements multiples, notamment gastro-intestinaux, cutanés et cérébraux.

Chaque année, entre 100 et 400 millions de personnes contractent la dengue dans le monde, ce qui en fait la maladie arbovirale la plus répandue (l’adjectif « arboviral » dérive de l’anglais « arthropod born virus », maladie virale transmise par des vecteurs arthropodes, un embranchement d’animaux regroupant notamment les insectes et les arachnides). On estime qu’environ 500 000 personnes par an sont hospitalisées pour des formes graves, et qu’entre 10 000 et 15 000 en décèdent.

Le virus de la dengue n’est pas endémique dans l’Hexagone : les foyers de cas locaux (dit autochtones) qui apparaissent sont toujours liés à l’importation du virus par des voyageurs provenant d’autres zones géographiques. La transmission se fait lorsqu’une femelle de moustique tigre pique un animal ou un être humain infecté (c’est ce qu’on appelle le repas sanguin, nécessaire à la ponte des œufs). Le virus l’infecte et se multiplie dans son organisme.

Une fois les glandes salivaires du moustique infectées, chaque piqûre réalisée lors d’un repas de sang pourra contaminer un autre individu, ce qui permet le cycle de transmission des arbovirus dans la population humaine. Par conséquent, plus le nombre de cas importés augmente, plus le risque d’avoir des transmissions autochtones de dengue est important.

Ce risque augmente aussi avec l’abondance saisonnière du moustique tigre, qui est croissante et atteindra son maximum entre juillet et octobre, favorisé par l’augmentation des températures et les précipitations.

2024, une année record

Au moins de juin dernier, le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) avait alerté : cette année, le risque en matière de dissémination des maladies par les moustiques est particulièrement élevé. En effet, en Europe « le changement climatique crée des conditions plus favorables à la propagation des moustiques invasifs dans des zones auparavant épargnées ».

En outre, l’année 2024 a débuté sur une tendance inquiétante, avec un nombre de cas de dengue importés beaucoup plus élevé que les années précédentes. Entre le 1er janvier et le 30 avril, 2 166 cas importés de dengue ont été identifiés (contre 128 cas importés en moyenne à cette même période). Ces cas importés correspondent à des personnes revenant de voyage, principalement depuis les Antilles françaises : plus de 80 % des cas revenaient de Martinique ou de Guadeloupe, suivi par l’Indonésie, le Brésil et l’île Maurice.

Par ailleurs, entre le 1er mai et le 2 juillet, 719 cas importés supplémentaires ont été identifiés en France hexagonale (dont 58 % concernaient des personnes revenant de Guadeloupe ou de Martinique). Pour mémoire, pour l’ensemble de l’année 2023, 2524 cas importés avaient été recensés.

Ce nombre record de cas importés survient très tôt dans la saison. Il est attribué à la circulation intensive du virus de la dengue dans de nombreuses régions tropicales du globe, notamment aux Amériques (plus de 7,5 millions de cas depuis le début de l’année, notamment au Brésil), en Asie (Malaisie et Thaïlande notamment) et en Afrique de l’Ouest (plus de 30 000 cas identifiés au Burkina Faso).

Cette situation n’est pas une surprise : l’Organisation panaméricaine de la santé (OPS) avait prévenu que l’Amérique latine et les Caraïbes devaient s’attendre en 2024 à la pire saison de dengue jamais enregistrée, notamment en raison du phénomène El Niño. Les Antilles ne sont pas épargnées, et la fréquence élevée des voyages aériens entre les Antilles et l’Hexagone favorise tout naturellement l’importation de cas de dengue.

Le problème principal de l’importation d’un si grand nombre de cas est le risque qu’ils soient à l’origine, en France hexagonale, dans les semaines et mois à venir, de foyers locaux de transmission dans les régions colonisées par le moustique tigre. Or, de nombreuses régions sont désormais concernées…

Des transmissions autochtones en augmentation dans l’Hexagone

Depuis 2010, quelques transmissions autochtones de la dengue avaient lieu chaque année en France hexagonale. Ces transmissions dues au moustique tigre, considéré comme une espèce invasive, ont drastiquement augmenté depuis 2022, les records de cas autochtones s’enchaînant non seulement en France (66 cas en 2022), mais aussi en Europe (130 cas en Italie, France et Espagne en 2023).

Sur les années 2022 et 2023, le cumul des cas de dengue transmis sur notre territoire (110 cas symptomatiques) a représenté plus de deux fois le cumul des 20 dernières années !

Les foyers de transmission se multiplient en particulier dans le sud de la France, mais le nord du pays n’est plus épargné par les transmissions locales : un premier cluster a ainsi été identifié l’an passé en région parisienne.

Cette situation s’explique notamment par la répartition du moustique tigre. Introduit à Menton en 2004, il avait réussi à coloniser 20 départements début 2014. Dix ans plus tard, il est implanté dans 79 départements de France hexagonale, et même dans quelques communes de Belgique.

Cette progression rapide et croissante des territoires colonisés a été rendue possible par la capacité de ce moustique à s’adapter aux climats tempérés, ainsi que par l’intensité de la dissémination par l’être humain de ses œufs (pondus dans les récipients) et des femelles fécondées (tous transportés dans les véhicules).

Les Jeux olympiques, amplificateurs de transmission

Les Jeux olympiques et paralympiques se tiendront entre le 16 juillet et le 8 septembre, soit en pleine période d’activité du moustique tigre ! Or, on sait que les grands évènements internationaux, qui génèrent de très forts flux de voyageurs en provenance de nombreux pays différents, sont susceptibles de favoriser l’importation d’arbovirus.

De telles conditions augmentent non seulement le risque de survenue d’épisodes de transmission locale de dengue, mais aussi ceux d’autres arboviroses, comme celles causées par les virus chikungunya ou Zika. La circulation de la dengue étant très active cette année dans le monde, le nombre de cas importés pourrait flamber.

S’il est toujours difficile et hasardeux d’anticiper la circulation de ces virus transmis par les arthropodes, on peut s’attendre à ce que le nombre de cas autochtones de dengue batte de nouveaux records dans l’Hexagone en 2024. Et ce, d’autant plus que le moustique tigre est désormais bien implanté dans la grande majorité des endroits où se tiendront les épreuves, notamment en région parisienne…

Une surveillance sous tension croissante

La situation exceptionnelle que nous vivons en 2024 risque de saturer le dispositif de lutte antivectorielle existant, depuis les acteurs de la santé responsables de la surveillance épidémiologique aux opérateurs de démoustication en charge des interventions insecticides.

Actif entre mai et novembre, ce dispositif avait déjà été mis sous forte tension les deux dernières années, approchant localement de sa capacité maximale. À titre d’exemple, la charge d’interventions de lutte antivectorielle avait été multipliée par 30 entre 2021 et 2023 entre août et octobre dans les régions Occitanie et Nouvelle-Aquitaine.

Les acteurs de la lutte antivectorielle doivent ainsi, chaque année, anticiper au mieux le dimensionnement de leurs actions en fonction du risque, malgré l’aspect aléatoire de la survenue des cas et des épisodes de transmissions autochtones dans le temps et l’espace.

Or, malgré les records de ces deux dernières années, le nombre de cas de dengue reste probablement bien en deçà de ce qui nous attend. En effet, le changement climatique risque d’amplifier encore le phénomène, des températures plus chaudes augmentant non seulement la période d’activité du moustique tigre, mais favorisant aussi la multiplication des arbovirus en son sein.

Comment lutter, en 2024 et dans les années à venir ?

Pour relever les défis qui nous attendent, il faudra agir à plusieurs niveaux. L’organisation et le dimensionnement des outils de surveillance et de lutte devront être consolidés. Les mairies devront mettre en place de véritables politiques de lutte préventive contre le moustique tigre. Mais ce n’est pas tout : les citoyens eux-mêmes devront s’impliquer. Le moustique tigre ne se déplaçant que de 100 à 200 mètres de son lieu de ponte, les actions locales restent les plus efficaces !

Cette année, les premiers moustiques tigres adultes ont émergé fin mars 2024 dans le sud de la France. La dynamique observée jusqu’à présent ne diffère pas de celle de 2023. Si le moustique tigre a gâché vos journées l’an dernier, cette année risque fort de ressembler à la précédente ! À moins que vous ne vous mobilisiez, avec vos voisins, pour neutraliser ses gîtes de développement larvaire…

La lutte contre les larves de moustiques est essentielle d’avril à octobre : le moustique tigre pondant quasi exclusivement dans des récipients artificiels, il s’agit de l’empêcher d’accéder à l’eau, en couvrant hermétiquement les réservoirs d’eau de pluie, en isolant les pièges à sable en descente de gouttières avec une moustiquaire solide, en vidant tous les 7 jours cache-pots, seaux, soucoupes (ou à défaut en y versant de l’eau bouillante), etc.

Enfin, pour limiter la propagation des virus transmis par les moustiques, il est également essentiel de se protéger contre leurs piqûres, en installant des moustiquaires aux fenêtres. À l’extérieur, il faut veiller à porter des vêtements longs et amples, et à utiliser des répulsifs efficaces sur les parties du corps non couvertes.


La version initiale de cet article a été co-rédigée avec Guillaume Lacour, entomologiste médical et responsable R&D, et Antoine Mignotte, chargé de recherche, tous salariés d’Altopictus, opérateur privé de lutte antivectorielle.

Yannick Simonin, Virologiste spécialiste en surveillance et étude des maladies virales émergentes. Professeur des Universités, Université de Montpellier

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.