La RSE peut être efficace même quand elle n’est que pur Greenwashing

Beaucoup d’entreprises mettent en œuvre des politiques de responsabilité sociale et environnementale (RSE) afin de se présenter sous une belle image et de gagner ainsi en légitimité aux yeux de leurs parties prenantes. Certaines ne sont toutefois pas à la hauteur de leurs prétentions.

Ouidad Yousfi, Université de Montpellier et Maha El Kateb, Université de Montpellier

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Beaucoup n’entreprennent des projets écologiques qu’à des fins de marketing ou pour donner une image de marque à leurs produits. Ou bien ne font-elles que ce que la législation et la pression des parties prenantes les obligent à faire. D’autres utilisent la RSE pour obtenir des avantages concurrentiels à long terme. Elles considèrent ces « stratégies durables » comme un élément essentiel de leur stratégie d’entreprise globale. Les engagements sociaux sont alors alignés sur les objectifs commerciaux.

Pour mieux comprendre la responsabilité sociale stratégique des entreprises, nous avons analysé les études et théories pertinentes sur les stratégies de RSE. Il en ressort deux types de stratégies de RSE : celles introduites pour faire face à la législation environnementale et sociale et à la pression des parties prenantes (ou RSE réactive) ; et celles considérant la RSE comme un processus de différenciation organisant les performances sociales, environnementales et financières.

Nous avons ainsi examiné comment de grandes entreprises dans le secteur de l’énergie semblent utiliser la RSE pour légitimer de mauvaises pratiques. Des messages trompeurs ont pu être observés sur les médias sociaux concernant l’investissement dans des projets à faible émission de carbone, l’exploration des gisements augmentant en parallèle. Le secteur de l’énergie est l’un des plus grands pollueurs au monde. Il a produit 47 % des émissions mondiales.) de gaz à effet de serre dans le monde en 2019. À partir de scandales d’« écoblanchiment » (c’est-à-dire de tromperie du public sur les réalisations environnementales ou « greenwashing »), nos travaux expliquent également pourquoi et comment la société civile peut jouer un rôle actif dans la promotion de pratiques durables.

Une RSE purement stratégique ?

Sur la base d’une analyse de la littérature qui passe en revue les différentes méthodologies de plus de 100 études, nous concluons qu’il est fréquent que les entreprises de différents secteurs utilisent des stratégies élémentaires pour se conformer aux réglementations sociales et environnementales. Elles cherchent à gagner en légitimité aux yeux des parties prenantes sans faire de la responsabilité sociale des entreprises une pierre angulaire de leur stratégie globale.

Les entreprises énergétiques de 55 pays se sont engagées à respecter l’accord de Paris et un monde à émissions nettes nulles, visant à maintenir le réchauffement climatique sous la barre des 1,5 ℃. Mais une enquête du Congrès américain qui a analysé 200 pages de notes internes d’entreprises a révélé que les géants du pétrole tels que Shell, Chevron et ExxonMobil se contentaient d’une adhésion de pure forme à l’accord.

On peut lire, par exemple :

« Shell ne prévoit pas dans l’immédiat de passer à un portefeuille d’émissions nettes nulles sur notre horizon d’investissement de 10 à 20 ans. »

Selon Richard Wiles, président du Centre for Climate Integrity, ces révélations constituent « la dernière preuve que les géants pétroliers continuent de mentir sur leurs engagements à résoudre la crise climatique et que les décideurs politiques ne devraient jamais leur faire confiance ».

Des affirmations ambiguës, des euphémismes sophistiqués ou des mensonges purs et simples semblent être devenus fréquents dans la communication des entreprises, en particulier en ce qui concerne les activités liées à la responsabilité sociale des entreprises et au développement durable.

Quand cela soulève des accusations d’écoblanchiment, il y a néanmoins matière pour les entreprises à repenser leurs stratégies sociales et environnementales et introduire des changements efficaces.

Des retombées parfois positives au greenwashing

Les effets négatifs de l’écoblanchiment, tels que la tromperie et la manipulation des consommateurs, l’évitement d’actions concrètes et le blocage de la transition écologique, peuvent être importants. De cette situation peuvent cependant aussi naître des changements positifs. C’est notamment le cas lorsque les parties prenantes, les décideurs politiques et commerciaux et les chercheurs sensibilisent à ces pratiques. Les consommateurs peuvent réclamer plus de transparence et demander des comptes aux entreprises lorsqu’elles se comportent mal.

L’affaire Volkswagen de 2015 est instructive. Le gouvernement américain avait découvert des « irrégularités » dans les tests mesurant les niveaux d’émissions de dioxyde de carbone affectant des milliers de voitures produites par l’entreprise allemande. L’accord conclu avec l’Agence américaine de protection de l’environnement a poussé l’entreprise à investir dans l’infrastructure et la technologie des véhicules électriques. Par la suite, Volkswagen est devenu un acteur clé sur le marché des véhicules électriques.

L’engagement public pris par les entreprises peut également inciter les employés à travailler à la réalisation de ces objectifs et contribuer à établir une norme de durabilité pour les entreprises.

La société civile, motrice de changements

Autre exemple, en février 2023, l’ONG internationale Global Witness a par exemple accusé l’une des plus grandes compagnies pétrolières, Shell, d’avoir trompé les autorités américaines et les investisseurs sur sa transition écologique.

Shell a révélé dans son rapport annuel 2021 que 12 % de ses dépenses d’investissement étaient consacrées au développement de solutions énergétiques renouvelables et vertes. Cependant, seulement 1,5 % a été utilisé pour développer des sources et des centrales solaires et éoliennes. Global Witness a constaté que l’entreprise entreprenait en fait des projets gaziers nuisibles au climat. L’ONG a déposé une plainte auprès de la Securities and Exchange Commission aux États-Unis pour qu’elle enquête sur les affirmations du géant mondial de l’énergie.

Ce n’est pas le seul scandale dans lequel Shell s’est retrouvée impliquée. En 2021, un tribunal néerlandais a jugé la filiale de Shell responsable des déversements de pétrole survenus entre 2004 et 2007 au Nigeria. Il a ordonné à l’entreprise de verser des indemnités aux quatre agriculteurs nigérians qui ont intenté le procès. La réputation de Shell a été gravement entachée. La société s’est engagée à dédommager les agriculteurs nigérians à hauteur de 15 millions d’euros et à installer un système de détection des fuites.

Shell s’est également associée à un groupe de réflexion militant pour l’environnement, British Cycling, afin de donner une image verte et d’améliorer l’acceptation et la désirabilité de ses produits et services. Mais très vite, British Cycling a été accusée d’écoblanchiment.

Comme nous le montrons dans notre étude, lorsque les consommateurs prennent conscience d’un comportement socialement irresponsable, leur identification positive à l’entreprise est interrompue. Des citoyens ordinaires ont ainsi participé à la prise de conscience de cas d’écoblanchiment au travers de campagnes de dénonciation. En juillet 2020, une communication trompeuse d’Air France sur ses vols neutres en CO2 a par exemple été largement retweetée.

Des annonces abritées par une certaine complexité

L’empreinte carbone ne peut être évaluée que si les conséquences et les émissions associées à une série de technologies sont prises en compte. Celles-ci vont de l’extraction des matières premières à l’élimination ou au recyclage. Or, de nombreuses technologies liées aux énergies renouvelables dépendent encore, dans une certaine mesure, des combustibles fossiles. De nombreuses entreprises profitent de cette complexité et du marketing pour écologiser leurs modèles d’entreprise sans procéder à des changements significatifs.

Pour lutter contre ce phénomène, il s’agirait alors, pour les pouvoirs publics, d’imposer une certaine transparence, d’implémenter une réglementation efficace et de développer des mécanismes de contrôle.

Ouidad Yousfi, Associate Professor of Finance, Université de Montpellier et Maha El Kateb, Ph.D candidate, Université de Montpellier

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.