L’apprentissage dans l’enseignement supérieur, oui mais pas à n’importe quel prix

L’action en faveur de l’apprentissage est-elle allée trop loin, notamment dans l’enseignement supérieur ? Pour éviter l’effet d’aubaine, il est important de s’assurer d’un véritable encadrement des jeunes.

Marion Polge, Université de Montpellier et Sarah Mussol, Université de Montpellier

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L’État n’a jamais autant soutenu l’apprentissage. Malgré les fortes tensions budgétaires, un communiqué de presse du ministère du travail (30 décembre 2024) annonçait une aide à l’embauche de 5 000 € pour les entreprises de moins de 250 salariés et de 2 000 € pour les autres en 2025. Depuis la réforme de 2018, l’aide à l’embauche s’élevait à 6 000 €.

D’après le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, le nombre d’apprentis est passé de 51 000 en 2000 à plus de 600 000 en 2024 avec un rythme de croissance qui semble se ralentir. Le coût important des mesures engagées (25 milliards d’euros en 2022 à la charge de l’État) doit être confronté aux résultats en termes d’insertion professionnelle et surtout de reconfiguration du paysage de la formation, comme le pointait déjà la Cour des comptes dans un rapport de juin 2022. Le récent rapport publié par l’Inspection générale des finances en mars 2024 propose des pistes sur les évolutions à donner aux soutiens financiers de l’apprentissage, compte tenu des résultats contrastés des mesures.

Un bilan de professionnalisation contrasté

L’immense espoir fondé sur l’amélioration de l’insertion professionnelle des étudiants reste à nuancer. Alors que dans les années 1990, le développement de l’apprentissage permettait notamment d’associer plus fortement les entreprises aux formations), aujourd’hui, il semble nécessaire de relativiser l’impact de l’alternance sur l’insertion professionnelle). Les résultats d’une étude du Cereq portant sur les étudiants de master concluent que la relation entre l’embauche stable à 30 mois et l’apprentissage n’est pas évidente.

En revanche, d’autres effets positifs comme la responsabilité ou encore la rémunération témoignent d’enjeux moins objectifs que l’embauche elle-même. L’alternance est ainsi une situation qui met en perspective les liens entre travail, emploi et qualité de vie. Pour Laura Gérardin,(responsable HSE, France TV studio, maître d’apprentissage):

« L’apprentissage sert surtout à leur mettre un pied dans le pro, à savoir vraiment ce qu’ils attendent de leur futur métier. »

La qualité de certaines formations contestée

Le soutien financier à l’apprentissage a surtout ouvert l’appétit de nombreuses structures privées, en recherche d’un nouveau modèle économique. S’appuyant sur une politique commerciale offensive, elles offrent aux étudiants des études quasi financées par l’apprentissage et aux employeurs, des apprentis peu coûteux aux agendas en école très allégés. Comme l’a largement développé l’émission Complément d’enquête (24 avril 2024, France2), l’opacité créée par le système profite à certaines écoles, parfois soutenues par de grands groupes, au détriment d’une vraie formation de qualité.

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Côté entreprise, Muriel Fournier, dirigeante d’Espace Propreté note :

« J’ai des apprentis dans différentes écoles. Dans des établissements reconnus, ils sont moins disponibles, les calendriers sont plus rigides. Mais les étudiants ont une vraie formation, ils reviennent chez nous avec de nouvelles idées et, au final, ils nous apportent l’essentiel : de la connaissance et de l’esprit critique. »

Alors que montent les mécontentements de certains employeurs et des étudiants, le système s’enfonce dans un régime à deux vitesses (formation en priorité versus travail en entreprise) dans la plus grande opacité.

Un accompagnement complexe

La formule magique de l’alternance cache un système d’accompagnement complexe que les universités ont mis en place avec de lourds programmes afin de valider les missions des étudiants, de lier ces missions au contenu pédagogique des programmes mais aussi pour accompagner l’étudiant tout au long du contrat. Ainsi un étudiant en apprentissage en master management hôtellerie tourisme ne doit pas faire le service. Il peut y participer à titre exceptionnel, mais sa mission est avant tout managériale.

Il doit par ailleurs être suivi au quotidien par un maître d’apprentissage qui s’assure qu’il acquiert de nouvelles compétences en entreprise qui répondent à la formation en école.

L’apprenti ne peut pas, ne doit pas être considéré comme un « salarié au rabais ».

Quand il est dans l’entreprise, l’apprenti est aussi, il faut insister, en formation. « Il faut lui consacrer du temps pour accompagner sa montée en compétences, créer son savoir-être et lui montrer la réalité du terrain », précise Laura Gérardin, maître d’apprentissage. https://www.youtube.com/embed/i3y8q6j55hM?wmode=transparent&start=0 Figaro TV, 2024.

Tous les accompagnants ont-ils bien mesuré l’enjeu de leur rôle pour l’avenir des futurs diplômés ? A-t-on réellement les moyens de les suivre dans leurs missions d’encadrement ? Les ressources humaines manquent parfois et faute de temps, les suivis des apprentis peuvent se relâcher. Les universités n’ont pas été bâties autour de ces formations professionnalisantes : elles doivent adapter leur culture.

Un risque de superficialité ?

La mise en place de soutiens financiers incitatifs a profondément remanié le système de formation, mais aussi ses modalités pédagogiques. Le suivi en alternance élargit les domaines de connaissance, mais il en réduit l’approfondissement. Il requiert un engagement des tuteurs académiques et des maîtres d’apprentissage pour compenser la discontinuité des rythmes pédagogiques.

Cette articulation entreprise-université permet également de développer un cadre nécessaire au développement de nouvelles compétences et au savoir-faire accompagné. L’apprentissage correspond donc à un projet de formation ambitieux : mais en a-t-on les moyens ? A-t-on véritablement repensé en profondeur le sens de la formation acquise en alternance ?

Trop d’écoles transforment ce cadre de formation collaboratif innovant en « business case » rentable, au prix de jeunes mal formés qui feront des futurs collaborateurs désimpliqués. Parfois peu scrupuleuses, mais souvent par manque de connaissance des métiers de l’enseignement, ces structures nous rappellent que nos étudiants apprentis portent en germe les compétences de demain.

Marion Polge, Maitre de conférences HDR en sciences de gestion, Université de Montpellier et Sarah Mussol, Maitresse de conférences en sciences de gestion, Université de Montpellier

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.