[LUM#20] L’autonomie à portée de main

Redonner à des personnes atteintes de tétraplégie un usage fonctionnel de leurs mains et de leurs poignets, c’est le miracle que Christine Azevedo et ses collègues de l’Inria1 ont accompli grâce à l’électrostimulation neurale sélective. Quand la science avance la main sur le cœur.

Voilà plus de deux ans que Maxime n’avait pas tenu un verre de bière dans une main ou remonté le moulinet de sa canne à pêche. Bientôt, il tournera avec avidité les pages de son roman et pourra utiliser seul, la sonde qui lui permet d’évacuer ses urines. Car Maxime est tétraplégique. Depuis quelques semaines, il participe à l’essai d’électrostimulation neurale mené par la chercheuse Christine Azevedo, directrice de l’équipe Camin, et retrouve avec eux des gestes devenus impossibles depuis son accident.

Grâce à l’équipe du chirurgien orthopédique Jacques Teissier à la clinique Saint Jean de Montpellier, les scientifiques ont implanté dans son bras deux petites électrodes enroulées autour de ses nerfs. « Ce sont des électrodes epi-neurales, explique la chercheuse. Elles vont envoyer une stimulation électrique aux nerfs qui vont actionner les muscles de la main et du poignet pour générer un mouvement. » Le process a l’air simple, il est pourtant le fruit de dix ans de recherche.

Laissés pour compte

Tout commence lorsque l’entreprise américaine qui a développé le système Freehand dans les années 2000 décide de cesser son activité. « Ce système consistait à implanter dans les muscles de l’avant-bras des électrodes reliées à un implant permettant d’ouvrir et de fermer la main en bougeant l’épaule par exemple », résume la chercheuse. Du jour au lendemain les 250 personnes tétraplégiques porteuses de l’implant se retrouvent laissées pour compte. Parmi elles certaines ont été opérées par Jacques Teissier et sont suivies par Charles Fattal, médecin-chef du centre de rééducation fonctionnelle Bouffard-Vercelli de Perpignan. Avec Christine Azevedo et les deux chercheurs de l’Inria, David Andreu et David Guiraud, ils forment le quintet à l’origine d’une nouvelle méthode d’électrostimulation neurale.

« Un des défauts du système Freehand était d’implanter une électrode dans chacun des huit muscles de l’avant-bras. Nous voulions quelque chose de moins invasif, se rappelle la chercheuse. Au sein de l’équipe, David Guiraud avait déjà travaillé sur la stimulation neurale pour la restauration de la marche chez des personnes paraplégiques » ( lire : Un pas de géant pour les prothèses). Adaptée aux membres supérieurs, celle-ci offre la possibilité d’activer tous les muscles de l’avant-bras en implantant seulement deux électrodes : une sur le nerf radial et l’autre sur le médian. Problème : puisque ces nerfs contrôlent tous les muscles, comment spécifier la stimulation pour ne générer que le mouvement choisi ?

28 jours…

« Le défi était de réussir à activer des sous-parties de nerf pour obtenir des gestes utiles » confirme Christine Azevedo. La particularité des électrodes épi-neurales fabriquées par la société allemande Cortec est de s’enrouler autour du nerf pour offrir divers points de contact. Après une première phase d’expérimentation réussie sur le lapin, neuf patients en chirurgie orthopédique acceptent que l’équipe profite de leur opération du bras pour leur implanter des électrodes, les tester et les retirer avant leur réveil. « On a vu qu’en activant différents contacts autour du nerf on générait des mouvements très spécifiques : fermer tous les doigts, étendre le poignet… »

Nous sommes en 2020, l’équipe Camin et ses partenaires préparent alors la phase 3 du projet qui s’appellera Agilis puis Agilstim : implanter les électrodes neurales sur quatre patients pendant 28 jours. Entre temps le covid explose et seulement deux patients participent à cet essai avant que deux autres les suivent en 2023. Afin qu’ils déclenchent eux-mêmes le mouvement, les électrodes sont reliées par deux câbles à un stimulateur situé à l’extérieur de leur corps. « Les patients le pilotent grâce à différents types de commandes : des boutons sur lesquels ils appuient avec le coude ou la tête, un capteur situé sur l’épaule qui transforme les mouvements ou la contraction musculaire en signal, une commande vocale… »

Sur les doigts de la main

Pendant 28 jours, chercheurs et patients se voient trois ou quatre fois par semaine pour tester le dispositif. Il faut d’abord paramétrer le stimulateur pour observer quels muscles sont activés par chacun des points de contact de l’électrode car la configuration des nerfs diffère d’un patient à l’autre. Viennent ensuite les séances visant à produire des mouvements spécifiques : cinq tâches imposées et cinq tâches choisies par les patients eux-mêmes. « Le premier voulait se brosser les dents seul et surtout actionner la poignée d’une porte parce qu’il s’était déjà retrouvé bloqué. Un autre souhaitait pouvoir signer des documents ou brancher une clé USB. Tout le monde ne met pas le même sens dans ces gestes mais ce qui est en jeu c’est une forme d’autonomie. » Et tous y sont parvenus ! « Ce sont des moments très forts. Scientifiquement on se fait plaisir mais le cœur c’est eux, c’est l’humain » souligne Christine Azevedo.

En 2025, quatre nouveaux patients seront implantés. La start-up montpelliéraine Neurinnov, lancée en 2018 par David Andreu et David Guiraud pour valoriser et concrétiser leurs recherches sur la stimulation neurale sélective, travaille au développement d’un stimulateur implantable dans le corps des patients cette fois. En 2026 de nouveaux essais seront menés pour valider cet implant et aller jusqu’au marquage CE et à la mise sur le marché. Pour Maxime, les 28 jours se sont depuis écoulés et les électrodes ont été retirées de son bras mais il sait que les années qui le séparent d’une implantation pérenne de ce dispositif se comptent désormais sur les doigts de la main.


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  1. *Lirmm (UM, CNRS, Inria, UPVD, UPVM)
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