Le mystère de la résistance extrême des tardigrades enfin résolu ?
Septembre 2007. Une fusée russe décolle du Cosmodrome de Baikonur au Kazakhstan et emporte de drôles de petites bêtes d’un millimètre de long pour un voyage de dix jours autour de la terre. Il s’agit de tardigrades qui participent au programme spatial Foton-M3 de l’Agence spatiale européenne (ESA).
Simon Galas, Université de Montpellier et RICHAUD Myriam, Université de Montpellier
Drôle de destin pour ces tardigrades astronautes qui étaient lors de leur apparition sur Terre (probablement depuis le Cambrien il y a environ 500 millions d’années) tous aquatiques.
Les tardigrades, également appelés oursons d’eau, possèdent quatre paires de pattes et une paire de petits yeux. Avec 1 400 espèces connues aujourd’hui, on peut les trouver partout sur la Terre, depuis les sommets de l’Himalaya jusqu’au fond des océans.
Les tardigrades peuvent perdre 95 % de leur eau
Les espèces de tardigrades terrestres gardent une mémoire de leurs origines aquatiques. Dès que la fine pellicule d’eau qui recouvre son corps disparaît, le tardigrade engage une transformation active qui va lui faire perdre 95 % de son eau et diminuer sa taille de près de 40 %. Dans cet état, le tardigrade ressemble à un petit tonnelet d’où le nom de « tun » utilisé par les Anglo-saxons pour le désigner dans cet état particulier qui est un état d’anhydrobiose.
L’anhydrobiose est un état de vie ralentie induit par une déshydratation. Dans cet état particulier, les tardigrades sont capables de résister à des conditions extrêmes.
Durant ce séjour en orbite basse autour de la Terre (altitude 258–281 km au-dessus du niveau de la mer), ces tardigrades en état de vie suspendue ont été exposés à l’action combinée du vide spatial, des rayons cosmiques et des rayonnements ultraviolets extrêmes.
Revenus sur Terre, 12 % de ces tardigrades astronautes ont été réveillés avec succès en déposant simplement une goutte d’eau sur leur corps. Ce réveil spectaculaire, qui prend moins de cinq minutes chez certaines espèces, a étonné les scientifiques et a installé les tardigrades comme les seuls animaux capables de survivre à l’action combinée du vide spatial, des radiations cosmiques et des rayons ultra-violets en situation réelle.
On pourrait penser que cet état de vie ralentie anhydrobiotique ou « tun » permet aux tardigrades de résister seulement au vide spatial et à sa faible pression (10 -6 Pascal) mais il n’en est rien. Des tardigrades dans le même état anhydrobiotique ont été soumis à des pressions jusqu’à 7,5 Gigapascals. Cette pression correspond à la pression de la roche sur vos épaules si vous descendiez à 180 km de profondeur dans le manteau terrestre !
Que se passe-t-il dans les cellules de tardigrades déshydratés ?
Jusqu’à aujourd’hui, personne n’avait essayé d’aller voir ce qui se passait à l’intérieur d’un tardigrade lorsqu’il se transforme en « tun ».
En associant deux laboratoires du CNRS et de l’Université de Montpellier, nous avons réalisé pour la première fois des images avec des techniques de microscopie haute résolution. Les images collectées à l’aide de la microscopie électronique à transmission nous ont permis d’effectuer un voyage à l’intérieur d’un anhydrobiote de tardigrade.
Un microscope électronique utilise des électrons pour éclairer l’objet à observer et peut grossir jusqu’à 5 millions de fois tandis qu’un microscope optique, qui éclaire l’objet à observer avec la lumière (photons), ne peut grossir au maximum que 2 000 fois. Les microscopes électroniques sont par exemple capables de prendre en photo des virus.
L’observation de ces images de tardigrades a fait l’objet d’une communication scientifique dans la revue internationale Nature Scientific Reports.
Tout commence par une déshydratation de l’animal qui va aboutir à une perte de la quasi-totalité de son eau. Dans le même temps, l’intérieur du tardigrade s’organise et toutes les structures qui composent une cellule de tardigrade restent inchangées, par exemple le noyau des cellules qui contient les chromosomes ou encore les mitochondries qui fabriquent l’énergie de la cellule. L’ensemble des cellules apparaît en fait comme une version miniaturisée par rapport à l’original. Une miniaturisation globale des cellules de près de 40 %.
Quelque chose d’inattendu apparaît sur les images
Un rempart moléculaire entourant toutes les cellules du tardigrade se fabrique progressivement pour atteindre par endroits 100 nanomètres d’épaisseur. Cela est très très gros comparé à une membrane entourant normalement une cellule y compris pour l’Homme. Ce rempart intercellulaire, inconnu jusqu’à aujourd’hui, est peut-être le secret de la résistance du tardigrade lui permettant de ne pas être pulvérisé par les hautes pressions alors qu’aucun autre organisme vivant ne pourrait y résister. La recherche sur ce rempart pourrait peut-être permettre de découvrir de nouveaux matériaux ultrarésistants pour une industrie du futur et respectueuse de l’environnement.
Une piste pourrait permettre d’expliquer de quoi est fait ce rempart si particulier. Le Professeur Takekazu Kunieda de l’Université de Tokyo a récemment découvert chez les tardigrades l’existence d’une classe particulière de protéines qui sont capables de vitrifier le tardigrade déshydraté comme l’a montré un laboratoire de l’Université de Caroline du Nord aux États-Unis.
Mais que devient ce rempart intercellulaire lorsque l’on dépose une goutte d’eau sur le dos du tardigrade anhydrobiotique ? Les images obtenues en microscopie électronique montrent que le rempart disparaît progressivement à mesure que le tardigrade sort de son état de vie ralentie pour disparaître totalement au bout de seulement 24 heures.
Nous ne savons pas encore si ce rempart de protection, tout juste découvert, est seulement fabriqué par l’espèce de tardigrade (Hypsibius exemplaris) élevée dans notre laboratoire ou bien par d’autres espèces de tardigrades.
Les données récentes de séquençage des premiers génomes de tardigrades nous ont livré quelques surprises avec, par exemple, la présence d’un ensemble de gènes inconnus chez les autres espèces vivantes et dont les fonctions commencent à peine à être étudiées par les biologistes. Cette découverte éclaire encore un peu plus sur les capacités des tardigrades à se prémunir contre les agressions de toutes sortes et à atteindre ces hauts degrés de résistances qui font leur renommée.
Simon Galas, Professeur de Génétique et de Biologie moléculaire de l’Aging, CNRS – Faculté de Pharmacie, Université de Montpellier et RICHAUD Myriam, Docteur en biologie moléculaire et cellulaire, Université de Montpellier
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.