Les défis que le vol acrobatique impose aux corps des pilotes
Notre espèce est acclimatée à un monde placé sous le joug d’une gravité constante – en l’occurrence, une force d’accélération omniprésente née de l’attraction terrestre (l’unité de pesanteur terrestre, notée g, valant 9,81 m/s2). Il existe toutefois des circonstances où notre corps est soumis à plus fort que la gravité terrestre classique… C’est là encore une affaire d’accélération.
Stéphane Perrey, Université de Montpellier
En aéronautique ou dans l’automobile, les spécialistes se réfèrent au G (pour Gravitationnel), ou facteur de charge, comme unité d’accélération. Et ses effets peuvent être redoutables.
En tant qu’enfants apprenant à marcher, nous découvrons très vite qu’un faux pas finira par entraîner un douloureux impact avec le sol dû, précisément, à la gravité. Quand nous montons dans un avion, sans aller jusqu’au crash cette fois, tout ce que nous avons appris sur la gravité et avec quoi nous sommes habitués change brutalement. Il n’est qu’à voir les dernières circonvolutions aériennes de Pete « Maverick » Mitchell dans le dernier Top Gun pour s’en convaincre.
Le vol consiste en effet à vaincre la gravité pour s’élever dans les airs, et la vitesse y est essentielle. Toute manœuvre aéronautique peut dès lors exposer notre corps à des accélérations importantes, avec des répercussions notables tant sur le plan cardiovasculaire que cérébral ou encore articulaire. Certains avions sont ainsi capables d’atteindre 12G, avec des vitesses de montée en accélération supérieures à 15 G/s !
Combien de G subit-on au quotidien ?
De tels chiffres sont bien sûr des extrêmes. En restant immobile au sol, l’accélération ressentie est de 1G. Tout va bien. À 2G, par exemple en prenant un virage incliné de 60 degrés, on a déjà une sensation de compression modérée sur notre siège, une difficulté à se mouvoir. Une personne de 80 kg sur Terre (en considérant que c’est une situation égale à 1G) aura la sensation de peser 160 kg si elle subit 2G. À partir de 8-9 G, il est impossible de mobiliser ses membres, à l’exception des extrémités.
En fait, il existe trois grands types de G présents dans trois axes de l’espace. Nous pouvons subir des G latéraux (Gy) lors d’un virage résultant de l’accélération centrifuge qui nous pousse vers l’extérieur. Pour une accélération ou une décélération horizontale, on parle de Gx. Enfin, Gz se produit lors d’une descente de l’avion ou suite à une montée brutale. Nous sommes plus particulièrement sensibles à ces accélérations subies dans l’axe vertical (Gz), c’est-à-dire de la tête aux pieds, puisque c’est là que nous ressentons la force de la pesanteur terrestre nécessaire au maintien de son équilibre.
Pour compliquer encore la situation, pour les trois axes, des G positifs mais aussi négatifs sont possibles… Que ce soit en virage pour une voiture ou en vertical pour un avion, une résistance opposée au mouvement, la force d’inertie, s’ajoute au poids réel dû à la gravité pour donner le poids « apparent » de l’avion en vol. Lorsque le poids apparent en mouvement est supérieur au poids réel, le facteur de charge est supérieur à +1G. Par contre, si l’avion vole sur le dos par exemple, le facteur de charge s’exprime en négatif, -G.
Pour calculer les G auxquels ils sont soumis, les pilotes d’avion, particulièrement exposés, sont équipés d’accéléromètre trois axes : ils peuvent ainsi savoir en temps réel ce qu’ils subissent.
Comment notre corps gère la gravité en temps normal
Le pilote d’avion est en effet soumis en vol à une large variété d’effets physiologiques dus aux combinaisons de l’accélération et de la gravité. Ils sont inhérents aux forces d’inertie engendrées par les accélérations et s’appliquent à tous les organes du corps, et en particulier à l’appareil cardiovasculaire : le cœur (la pompe), les vaisseaux (le circuit), le sang (le fluide).
Or la circulation sanguine assure le transport de l’oxygène, indispensable au bon fonctionnement des organes. Le cerveau est tout particulièrement exigeant dans ce domaine, tant en termes de consommation (il est gourmand) que de régularité de son approvisionnement. Il n’aime ni les à-coups, ni les surplus, ni les manques !
Sur Terre, il existe un mécanisme complexe de contrôle et d’adaptation de toute la machinerie qui assure une circulation sanguine régulière et bien oxygénée à débit constant jusqu’au cerveau, qu’il soit au repos ou en plein effort : c’est l’autorégulation cérébrale. Toute variation de la pression artérielle est ainsi sans conséquence. Mais ce bel équilibre a toutefois des limites… Une accélération en virage, un freinage ou a fortiori la pratique de la voltige aérienne vont venir le perturber grandement.
La capacité de maintenir une irrigation sanguine cérébrale, résiliente face à des expositions répétées à des facteurs de charge accrus, est donc un problème critique pour les pilotes qui sortent des conditions normales du quotidien.
Quand nos adaptations physiologiques ne suffisent plus
Les risques ont été identifiés, quoique mal expliqués, il y a plus d’un siècle. En 1918, le premier trouble induit par l’accélération était ainsi ressenti lors de la course aérienne de la Coupe Schneider où un virage serré devait être pris. D’abord décrit comme un « malaise en l’air », il est désormais connu sous le nom de « perte de conscience induite par les G », ou G-LOC et se traduit par une confusion et des troubles du jugement suite à une abolition temporaire de la circulation cérébrale. Un état qui se produit à partir de +4,5-6G chez le pilote entraîné.
Comme le cœur est dans le thorax, en position verticale (debout ou assise), la vascularisation du cerveau, positionné au-dessus de lui, impose au flux sanguin de lutter contre son propre poids (pression hydrostatique) pour monter de l’un à l’autre. En présence de +Gz, la force d’inertie orientée sur l’axe tête-pieds va s’ajouter à la force hydrostatique et aggraver la situation en s’opposant au déplacement du sang du cœur vers la tête.
Au-delà de +3Gz maintenu plus de dix secondes, nos mécanismes d’autorégulation sont dépassés avec pour conséquence immédiate une baisse de la vision et des performances mentales. Ce qui peut se traduire par des troubles visuels comme le « voile gris » (dès 3-4,5G, dû à la diminution de la circulation sanguine dans la rétine et la vision périphérique) et le « voile noir » (dès 4,5-6G, avec arrêt du flux sanguin).
Les accélérations négatives (-Gz) provoquent des mécanismes d’adaptation inverses à ceux des +Gz, accompagnées d’un ressenti plus désagréable et d’une fatigue perçue plus importante.
Mais le problème essentiel réside dans la succession rapide de -G et de +G à des valeurs élevées (effet « push pull », ou piqué-cabré), comme en voltige aérienne, qui est particulièrement mal tolérée. Cela découle de la perturbation de nos mécanismes d’adaptation et de notre plus grande sensibilité aux phénomènes de voile et/ou de perte de conscience qui peuvent survenir dès +2Gz.
Identifier les limites…
Si la réponse du système cardiovasculaire ne suit pas le rythme d’apparition des G, les performances du pilote seront dégradées au point de provoquer une perte de conscience. Pour éviter cette extrémité dangereuse, des études ont contribué à mieux cerner les limites de nos capacités d’adaptation et de mettre au point des techniques pour les dépasser.
L’établissement de courbes de tolérance +Gz-temps a permis de comparer les individus asymptomatiques et symptomatiques. La limite supérieure de ces courbes, marquée par la perte de conscience (LOC-G), est un facteur essentiel de notre réponse physiologique aux accélérations.
Il est apparu que si l’augmentation de l’accélération est graduelle, les symptômes visuels précèdent les symptômes cérébraux. Toutefois, pour des accélérations supérieures à +7Gz atteintes rapidement, la perte de conscience n’est pas précédée par des signes avant-coureurs. En effet, si la vitesse de montée en accélération est suffisamment basse, les réflexes cardiovasculaires peuvent, au moins partiellement, compenser les modifications de la circulation. Le seuil de tolérance est ainsi augmenté.
De façon générale, il a aussi été constaté que la sensibilité de chacun à ces effets est variable et peut être modifiée avec la pratique. Plusieurs facteurs peuvent jouer sur la tolérance aux accélérations.
Si la chaleur n’est pas trop importante, un pilote bien reposé, hydraté et en bonne forme physique sera capable de tolérer des +5Gz. Ceci s’explique par le fait que le volume de sang circulant dans le corps est plus important et disponible : il est alors plus facile pour le système cardiovasculaire de maintenir le cerveau perfusé avec du sang oxygéné.
… Pour les dépasser : l’entraînement des pilotes experts
Les pilotes experts utilisent en complément des mouvements musculo-respiratoires : tête rentrée dans les épaules penchée en avant pour diminuer la hauteur de la colonne hydrostatique, contraction des muscles abdominaux et des membres inférieurs pour ralentir l’écoulement du sang, surpression intrathoracique en expulsant l’air ou à glotte fermée avec le diaphragme et les muscles du cou très contractés.
Un programme régulier d’entraînement physique comprenant un mélange d’exercices d’endurance et de force augmente également la tolérance du pilote aux effets des G. Les facteurs importants à considérer sont la force du tronc et la capacité aérobie. Toute activité d’endurance aérobie (même en apnée ou en altitude) est bonne pour le système cardiovasculaire.
Les exercices de renforcement du tronc (gainage, pompes, tractions, redressements assis) et, surtout, ceux qui renforcent les muscles du cou sont incontournables : les G élevés font que la tête pèse plus que la normale, et avec un casque, cela fait beaucoup de poids à supporter. Les pilotes des avions les plus rapides et agiles doivent constamment surveiller leurs repères extérieurs et modifier leur position de tête au cours de leurs manœuvres.
La voltige aérienne est responsable de l’apparition et/ou de l’aggravation de douleurs rachidiennes. Un renforcement musculaire pour faire face aux fortes accélérations répétées s’avère primordial chez ces pilotes considérés comme des sportifs de haut niveau évoluant qui plus est dans des environnements extrêmes.
Plusieurs outils peuvent en outre améliorer la tolérance individuelle aux accélérations. Développé très tôt lors des guerres mondiales, le pantalon anti-G, en appliquant une contre-pression sur la partie inférieure du corps en réponse aux accélérations, permet d’assurer un retour veineux suffisant. Cependant, ces dispositifs ne traitent que les +Gz et sont inappropriés dans des avions de voltige du fait de leur poids.
D’autres dispositifs innovants sont en développement dans les centres de recherche et les entreprises du secteur. C’est le cas des travaux menés par EuroMov Digital-Health in Motion et la société Semaxone, qui développent des algorithmes et capteurs afin de mesurer l’oxygénation cérébrale en direct pour anticiper l’évolution de la tolérance des pilotes aux accélérations.
L’auteur remercie M. Jacky Montmain, Professeur des Universités (IMT Mines Alès, EuroMov Digital Health in Motion), pour sa relecture ; M. Gérard Dray, Professeur des Universités (IMT Mines Alès, EuroMov Digital Health in Motion) pour sa relecture ; et M. Guilhem Belda, ingénieur (CEO Semaxone), pour les données apportées et sa relecture.
Stéphane Perrey, PR, Directeur Unité Recherche EuroMov Digital Health in Motion, Université de Montpellier
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.