Les tardigrades résistent à (presque) tout, grâce à des gènes d’espèces disparues

Les tardigrades sont petits mais costauds : rayons X, températures extrêmes, pression gigantesque, ils font preuve d’une résistance incroyable. Une nouvelle étude montre qu’au fur et à mesure de leur évolution, ils ont acquis des gènes d’autres espèces leur conférant ces « super-pouvoirs ».

Simon Galas, Université de Montpellier et Myriam Richaud, Université de Montpellier

Mue de tardigrade “Hypsibius exemplaris” hébergeant des embryons, vue en microscopie confocale à balayage laser (vue de côté). Les tardigrades sont des animaux mesurant environ 1 mm de long, pourvus de huit pattes et, pour certaines espèces comme celle-ci, d’une paire d’ocelles (organes sensibles à la lumière). Cette espèce effectue deux opérations en même temps : pondre des œufs et muer (changer de peau). Sur l’image, six embryons ont été pondus et abandonnés dans la mue (ancienne peau) par l’adulte. On observe aussi les extrémités des pattes de l’adulte, coiffées par des griffes caractéristiques de l’espèce. Présents sur Terre depuis près de 500 millions d’années, vivant dans tous les milieux, les tardigrades possèdent les capacités de résistance les plus élevées de la planète. Ils survivent à la déshydratation, à des pressions et des températures extrêmes, aux rayonnements. Le projet GigaTardi explore l’intérieur des tardigrades au moyen de plusieurs techniques, afin de révéler leurs stratégies de résistance au stress. UMR5247 Institut des Biomolécules Max Mousseron

Imaginez un tout petit organisme présent partout sur notre planète autour de nous et qui transporte avec lui une mémoire génétique disparue. Les tardigrades sont des invertébrés de 0,2 à 1,2 millimètre maximum qui ressemblent à des mini oursons avec 4 paires de pattes, des muscles, des neurones et un microbiote. On peut les trouver partout sur notre planète, depuis les fonds océaniques jusqu’au sommet de l’Himalaya.

Les tardigrades sont aussi appelés oursons d’eau, car ils évoluent toujours dans un environnement où de l’eau est présente tels que les océans, glaciers, rivières ou dans les gouttières des maisons mais aussi, dans les mousses et les lichens sur les arbres ou les rochers. On en connaît déjà près de 1 500espèces et ce sont les champions de la survie de notre planète et les rois incontestés d’un club très sélect appelés extrêmophiles, ces organismes capables de survivre aux environnements les plus extrêmes.

En effet, les tardigrades sont capables de résister à la température la plus basse mesurée dans l’univers (-272 °C) ou encore à une température proche de celle mesurée sur la planète Mercure (+151 °C). Ils réussissent même à survivre à une température proche du zéro absolu (-273,16 °C) qui n’existe pas dans l’Univers mais seulement dans les laboratoires de physique. Lors d’une récente expérience de physique, un individu sur les trois tardigrades de l’espèce Ramazzotius varieornatus, photographiée ci-dessous, a pu être réanimé avec succès après une exposition à une température proche du zéro absolu.

Comparaison entre un tardigrade de l’espèce « Ramazzottius varieornatus » (A) à l’état hydraté et (B) en cryptobiose (après déshydratation). Image en microscopie électronique à balayage. Simon Galas,Myriam Richaud,Basile Gerbaud — Université de Montpellier — CNRS IBMM, Fourni par l’auteur

Les tardigrades peuvent également survivre à un séjour de dix jours dans le vide de l’espace exposés directement aux rayons cosmiques et sont devenus un modèle de travail pour des recherches en astrobiologie. Côté rayonnements, nous savons qu’ils peuvent survivre à des doses de rayons X 1 000 fois supérieures aux doses mortelles pour l’humain. Leur résistance à des pressions gigantesques a également été testée durant plusieurs heures et, surprise, ils survivent à l’écrasement du poids équivalent à un immeuble de… 60 000 étages.

La cryptobiose : une vie suspendue

Une première découverte des tardigrades remonte au XVIIIe siècle. Après des études chez les jésuites de Reggio (Calabre, Italie), le biologiste et philosophe Lazzaro Spallanzani (1729-1799) publie en 1776 une première étude sur ces petits animaux dans son ouvrage « Opuscules de physique animale et végétale ». Il va leur donner le nom de tardigrade et observer leur capacité à pouvoir se déshydrater totalement pour ensuite « ressusciter après la mort » en présence d’eau et décrire, pour la première fois, le phénomène de cryptobiose.

La cryptobiose est un « état de vie suspendue » au cours duquel aucun indicateur de vie n’est détectable. Dans cet état, des tardigrades, collectés en Antarctique, ont été réveillés avec succès après trente ans. D’autres données ont montré que les tardigrades en cryptobiose sont en « état de vie suspendue » mais également « hors du temps ». En effet, le temps passé dans cet état de cryptobiose n’est pas décompté de leur durée de vie normale (le temps de vie moyen d’une espèce de tardigrade en élevage contrôlé est de 60 jours environ). En bref, qu’il entre en cryptobiose ou pas, un tardigrade ne verra pas son espérance de vie active normale modifiée. Les Anglosaxons dénomment ce phénomène « Sleeping Beauty » ou « la Belle au bois dormant » indiquant qu’un organisme stoppe son vieillissement tant qu’il demeure dans cet état.

Notre laboratoire du CNRS de Montpellier a été le premier à observer avec succès ce qui se passe à l’intérieur d’une espèce de tardigrade (Hypsibius exemplaris) lorsqu’elle entre en cryptobiose. Dans cet état, cette espèce se miniaturise en perdant 38 % de son volume et fabrique une sorte de rempart visible autour de chacune des cellules qui composent son corps. Cette structure disparaît progressivement au cours de la réanimation de l’animal.

Des stratégies de survie qui diffèrent selon les espèces

Mais le plus surprenant provient d’une récente étude de notre laboratoire concernant une espèce apparentée à la première (Ramazzottius varieornatus) également issue de nos élevages. Lorsqu’elle entre en cryptobiose, cette espèce se miniaturise seulement de 32 %. Encore plus surprenant, impossible d’observer la présence de ce rempart spécifique de la cryptobiose qui entourait les cellules de l’espèce précédente. Ces expériences indiquent que les différentes espèces de tardigrades sont capables de résister à des stress mortels pour les autres espèces vivantes mais qu’elles le font de manières différentes et en utilisant des outils qui ne leur sont pas tous communs.

À partir de 2016, cet ensemble d’outils génétiques leur permettant de résister aux environnements extrêmes a commencé à être identifié à l’occasion des premiers séquençages de leurs génomes. Ces outils intéressent déjà les scientifiques pour de futures applications biomédicales révolutionnaires comme la conservation de médicaments et de vaccins sous une forme déshydratée ou encore la protection des cellules contre les rayonnements mortels qui serait utile pour les futures missions spatiales.

Les généticiens pensent que ces gènes ont été acquis par les tardigrades pour leur permettre de résister à la déshydratation mais ils proposent également que ce soient ces mêmes outils génétiques qui leur permettent de résister à tous les types d’environnements mortels. En étudiant leurs équipements génétiques, les scientifiques ont été surpris d’observer que près de 40 % des gènes de tardigrades sont inconnus chez les autres espèces vivant actuellement sur notre planète.

Mais d’où viennent ces gènes appelés « gènes uniques de tardigrades » ?

Une explication fait intervenir le mécanisme de transfert horizontal de gènes (ou HGT pour Horizontal Gene Transfert). Comme schématisé ci-dessous, un organisme vivant hérite classiquement des gènes de ses parents de façon verticale.

Illustration des possibilités de transferts de gènes chez les organismes vivants. Fourni par l’auteur

Acquérir les gènes de ses voisins

Dans le cas d’un transfert horizontal de gènes, l’organisme a une option supplémentaire qui est la capacité d’acquérir les gènes de ses voisins et de les conserver s’ils s’avèrent avantageux pour la survie de son espèce. Cela a déjà été observé chez une espèce de puceron chez laquelle les individus verts sont mangés par les coccinelles tandis que les rouges sont parasités par des guêpes. Un puceron a eu « la bonne idée » d’acquérir un gène de champignon par transfert horizontal de gènes et d’adopter une couleur jaune qui le protège très efficacement contre ces deux prédateurs.

Plus récemment, une nouvelle espèce de tardigrade identifiée en Chine a révélé qu’elle avait acquis le gène d’une espèce de bactérie lui permettant de se protéger contre des doses mortelles de rayons X. Pour ces deux exemples, l’organisme à l’origine de ce cadeau génétique a été identifié car il est encore vivant mais, pour les gènes uniques de tardigrades, cela n’est pas possible.

Il semblerait que les tardigrades, qui peuplent notre planète depuis 600 millions d’années environ, aient eu le temps d’acquérir de nombreux gènes par transfert horizontal à partir d’espèces aujourd’hui disparues pour se constituer une véritable bibliothèque. Cela est d’autant plus envisageable que les tardigrades ont résisté aux 5 extinctions majeures d’espèces vivantes que notre planète a connu au cours de son histoire. La plus récente ayant emporté les dinosaures. Un petit nombre de ces gènes uniques de tardigrades ont déjà été identifiés et affublés de noms bizarres tels que Dsup, TDR1, CAHS, SAHS, MAHS, TDPs, LEA, Doda1 ou encore Trid1.

Placés dans des cellules humaines ou d’autres organismes de laboratoires (drosophile, bactéries, levures, végétaux, etc.), ces gènes ont été capables d’augmenter leurs résistances de manière spectaculaire face à des traitements normalement mortels comme les rayons X, ultraviolets ou des oxydants puissants. Mieux, des protéines issues de certains de ces gènes ont été capables de protéger des médicaments de la déshydratation et de permettre ainsi leur conservation à température ambiante révélant ainsi un potentiel énorme pour la diffusion de vaccins sans avoir recours à des congélateurs coûteux. L’utilisation future de ces gènes uniques de tardigrades dans le domaine biomédical fait déjà l’objet de nombreux dépôts de brevet annonciateurs de nouvelles technologies biomédicales révolutionnaires qui pourraient en découler bientôt et qui s’étendent de la protection de l’épiderme des astronautes contre les rayons cosmiques jusqu’à la possibilité de conserver par déshydratation médicaments, tissus ou organes en attente de leur utilisation.

Un « parfum d’ADN »

Mais d’où proviennent ces ADN qui peuvent être incorporés par les tardigrades ? La réponse se situe autour de nous. Nous sommes en permanence baignés dans un « parfum d’ADN » libéré par tous les organismes vivants autour de nous. Cet ADN est appelé ADNe pour ADN environnemental. Un échantillon de terre peut permettre, après séquençage de l’ADN qu’il contient, de déterminer quelles espèces vivantes habitent à un endroit donné et cela, même sans les avoir vues. Il s’agit d’une technique très performante permettant d’évaluer la biodiversité d’un milieu terrestre ou marin. Récemment, des scientifiques ont réussi à identifier la signature ADN d’éléphants d’Asie et de girafes à partir d’échantillons prélevés sur une toile d’araignée distante de près de 195 mètres dans le zoo de Perth en Australie.

Les scientifiques ont imaginé un scénario possible permettant d’expliquer comment ces morceaux d’ADNe peuvent se retrouver dans des espèces de tardigrades ainsi que chez certains vers ou quelques autres invertébrés. Ces organismes partagent tous la capacité de survivre à une déshydratation plus ou moins longue.

Lorsqu’ils sont en cryptobiose suite à une déshydratation, on observe l’apparition progressive de cassures de leurs chromosomes.

Les tardigrades seront capables de réparer ces dommages dès leur réhydratation. L’eau est potentiellement capable de transporter des fragments d’ADNe jusqu’au noyau des cellules où se situent les chromosomes. Leur présence au milieu des chromosomes fragmentés de tardigrades permet d’envisager l’intégration possible de ceux-ci en même temps que les mécanismes de réparations sont à l’œuvre.

Avec leur pouvoir de capter de nouveaux gènes présents dans leur environnement, les tardigrades ont accumulé des gènes aux propriétés exceptionnelles issus d’espèces disparues depuis longtemps de notre planète. Ces gènes uniques de tardigrades renferment peut-être les secrets de futures révolutions biomédicales en offrant de nouvelles possibilités de protection et de transport pour des médicaments et tissus fragiles, de nouvelles protections pour les futures missions déjà programmées par les agences spatiales ou encore en dermocosmétique pour combattre les effets de l’âge.

Simon Galas, Professeur de Génétique et de Biologie moléculaire de l’Aging, IBMM CNRS UMR 5247 – Faculté de Pharmacie, Université de Montpellier et Myriam Richaud, Docteur en génétique et biologie moléculaire de l’aging, faculté de pharmacie, Université de Montpellier

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.