[LUM#3] Récifs coralliens en danger

Ils sont menacés partout dans le monde. Comment mieux préserver les récifs coralliens, irremplaçables refuges de la vie marine ? Une expédition scientifique apporte quelques pistes nouvelles.

© TP Hughes

Nouvelle-Calédonie, îles Tonga, Polynésie Française : ce n’est pas une liste de destinations idylliques pour vos prochaines vacances, mais les terrains de recherche du projet Pristine. Dans ces îles de rêve où se trouvent quelques-uns des derniers refuges océaniques de la planète, une équipe de biologistes marins a plongé à la rencontre d’une vie foisonnante. Son objectif : diagnostiquer l’état de santé des écosystèmes coralliens.

Protéger la vie marine

Car ces havres de vie sont en danger. « Les derniers bilans scientifiques sont alarmants : 75% des récifs mondiaux sont aujourd’hui menacés, dont 60% sous une menace directe et immédiate. A l’horizon 2050, ce chiffre passe à 100% » alerte David Mouillot, du laboratoire Marbec.

Pour protéger la vie marine, encore faut-il la connaître. « Les sites quasi-vierges ont l’intérêt d’apporter un point de référence : on peut y mesurer l’état de la biodiversité en l’absence de toute intervention humaine ». Cette référence servira ensuite d’étalon pour mesurer l’impact de la présence humaine partout dans le monde mais aussi pour mesurer l’efficacité des aires marines protégées.

En plongeant sur les îles Actéon en Polynésie, les récifs de Minerve à Tonga ou encore sur l’archipel de la Nouvelle-Calédonie, les chercheurs ont eu leur lot d’étonnement. Sous les flots du Pacifique, ils ont assisté à un spectacle oublié… « Requins en abondance, mérous gigantesques, poissons napoléons, perroquets à bosse : une vie abondante anime ces fonds marins. Certaines espèces ici foisonnantes sont ailleurs en voie d’extinction » décrit David Mouillot.

Une biomasse hors norme : plus d’une tonne de poissons par hectare. Soit à peu près 70% de plus que ce que l’on peut rencontrer dans les autres zones protégées de la planète. L’écart est spectaculaire. Pourquoi cette explosion de vie ? Ou plutôt, quelle est la raison pour laquelle les poissons sont si peu présents dans d’autres aires pourtant protégées ?

Humain, trop proche humain

Pour les scientifiques du projet Pristine, la réponse est claire : c’est la proximité de l’homme qui est responsable de la disparition des poissons. Un facteur qu’ils ont soigneusement mesuré. « Les récifs coralliens sont plus proches de l’homme qu’on ne le pensait. La moitié des récifs du globe sont situés à moins de 30 minutes de trajet d’un village, d’un marché… Des récifs qui subissent donc une très forte pression. C’est 90% des grands prédateurs, thons et requins, qui ont ainsi disparu de ces zones ».

Seuls les récifs suffisamment éloignés des communautés humaines seraient en sécurité, indique l’étude, qui situe le seuil critique autour de 12 heures de trajet. Or, de tels récifs sont aujourd’hui très rares. « Dans le monde, à peine 1% des récifs coralliens se situent à l’abri, c’est-à-dire au-delà des 12 heures de trajet. C’est l’autre enseignement majeur de l’étude : la rareté de ces refuges naturels. On les rencontre surtout au milieu de l’Océan indien et dans le Pacifique ».

Ces zones vitales pour la biodiversité, ce sont les pays occidentaux qui ont la responsabilité de les protéger. Car la plupart de ces derniers refuges de la vie marine appartiennent à l’Angleterre, aux Etats-Unis, à la France : la Nouvelle-Calédonie, à elle seule, comptabilise un quart des récifs isolés de la planète…

Une biodiversité mal protégée

Une responsabilité particulièrement lourde, au vu de l’état de dégradation de la biodiversité marine. Car s’il existe des aires marines protégées un peu partout dans le monde, leur efficacité est partiellement remise en cause par les conclusions du projet Pristine. « Ces aires sont utiles, notamment pour permettre à la petite faune de reconstituer ses stocks. Mais elles sont insuffisantes. Elles protègent mal certaines espèces, les grands prédateurs notamment ». Principal problème, leur trop grande proximité avec l’activité humaine. Leur taille également : trop restreintes, elles ne couvrent pas l’ensemble du territoire vital des espèces menacées.

Si des efforts sont aujourd’hui accomplis pour créer de nouvelles aires de protection, ils restent selon David Mouillot très insuffisants. D’autant qu’on a tendance à créer ces aires le plus loin possible des zones pouvant susciter des conflits d’intérêt avec les utilisateurs du littoral : pêcheurs, touristes… « Les pouvoirs publics créent ainsi des réserves sur des sites ne nécessitant pas vraiment de protection » résume le chercheur.

Des pouvoirs publics d’ailleurs mal informés, et parfois peu conscients de la valeur d’un patrimoine naturel pourtant irremplaçable. « Les scientifiques que nous sommes ont un rôle d’information et de sensibilisation pour faire bouger les lignes politiques ». Une action qui peut s’avérer efficace : en Nouvelle-Calédonie, après le passage du projet Pristine, les récifs d’Entrecasteaux ont été classés en zone protégée.

Quelles solutions pour préserver la vie marine ?

Demander un plus grand investissement à tous les pays concernés ? « On peut difficilement demander des efforts supplémentaires aux pays en développement. Comment interdire l’accès à la mer à des villages qui vivent de la pêche ? Par contre, il faut que les pays industrialisés proposent sur leurs territoires des niveaux de protection drastiques ».

Quels types de protection ? « Créer des zones “No entry” où il sera interdit de pénétrer. Ou même inverser la logique, en créant des aires autorisées à la pêche, et sanctuariser par défaut les autres espaces. Une expérience qui pourrait faire ses preuves à l’échelle d’une région, pourquoi pas la Nouvelle-Calédonie ou la Corse qui pourraient servir d’exemple. Et démontrer que les pêcheurs eux-mêmes bénéficieront à terme de ces mesures, seules à même de reconstituer les stocks de poissons ».

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