[LUM#6] Après le trauma

La vie nous inflige parfois des événements brutaux… Loin d’être anodins, ils engendrent des séquelles traumatiques dans le cerveau. Il existe heureusement des moyens pour guérir.

Attentat, agression, combat, accident grave… Ces expériences ont un point commun : elles nous confrontent à la mort. Soudain, dans le flot de la vie, l’événement traumatique surgit, et nous voici face à notre propre destruction ou à celle d’une autre personne.

La moitié d’entre nous vivrons un trauma au cours de notre vie. Une blessure psychique qui engendre bien souvent des symptômes. En journée, des flash-backs ou hallucinations. La nuit, des cauchemars… La scène ressurgit sans qu’on ait cherché à se la remémorer. Pour éviter d’être replongé dans l’horreur, on évite certaines situations : conduire, sortir la nuit, par exemple. Les émotions s’émoussent, pouvant conduire à l’indifférence avec l’entourage. En état d’alerte, on devient irritable, sursautant au moindre bruit.

Maladie de la mémoire

Si ces stigmates durent plus d’un mois après l’événement, on parle de trouble de stress post-traumatique (TSPT). Selon l’organisation mondiale de la santé, on estime que 3,9% de la population mondiale ont souffert de TSPT au cours de leur vie. La moitié des personnes agressées sexuellement en souffre, ou encore un combattant sur cinq. Pour un tiers de tous ces malades, le trouble va durer plus de six mois, et potentiellement des années.

« La maladie est liée à une mémoire traumatique qu’on n’arrive pas à métaboliser », explique Isabelle Chaudieu, neurobiologiste à l’Inserm. Quand nos souvenirs sont normalement archivés, ils font partie de notre mémoire autobiographique. Chez les personnes souffrant de TSPT, le souvenir reste bloqué dans la mémoire émotionnelle. Il ressurgit  sans qu’on le cherche… Pour guérir cette maladie de la mémoire, une seule solution : « Il faut déconditionner le patient pour permettre une extinction de la peur  », explique Isabelle Chaudieu.

Paliers progressifs

Pour ce faire, les thérapies cognitivo-comportementales (TCC), ont fait leurs preuves. « En TCC, on agit sur les pensées erronées, comme la culpabilité, très fréquente chez les personnes traumatisées, mais aussi sur les comportements inadaptés », explique Nadia Sourdril, psychiatre au CHU Lapeyronie. Pour retrouver une vie normale, le patient va s’exposer par paliers progressifs à la situation qui l’angoisse.

Après l’attentat de Nice en 2016, certaines personnes ne sont pas sorties pendant une semaine. « Le principe de la TCC est d’élaborer ensemble des programmes d’exercices par étape. Par exemple, quelqu’un ne pouvant pas sortir de chez lui commencerait d’abord par descendre en bas de son immeuble accompagné, puis seul. Deuxième étape : aller jusqu’à la boulangerie accompagné, puis seul, et ainsi de suite jusqu’à pouvoir retourner dans une foule, décrit Nadia Sourdril. On voit avec lui ce dont il se sent capable ». En douze ou quinze séances, il est ainsi possible de sortir du TSPT. Autre type de psychothérapie à l’efficacité largement démontrée : l’EMDR, basé sur des mouvements oculaires ou des tapotements bilatéraux (voir encadré). Le taux de guérison après une psychothérapie est d’environ 75% (EMDR pour traiter le stress post traumatique, vraiment ? Inserm).

Benzodiazépines contre-indiquées

Mais ces séances ont un coût… qui dissuade de nombreux traumatisés. D’ailleurs, nombreux sont ceux qui ne veulent pas raconter ce qu’ils ont vécu. « Forcer à parler les patients qui ne le souhaitent pas est contre-productif : cela les traumatise une seconde fois », rapporte Nadia Sourdril. Ceux qui disent « je ne veux pas en parler, je ne veux pas y penser, je fais comme si ça n’avait jamais existé », sont dans une attitude de déni qui ne permet pas non plus la guérison…», indique la responsable de la cellule d’urgence médico-psychologique (CUMP) régionale.

Pour espérer guérir, il faudra un jour verbaliser ses émotions. En attendant que cela soit possible, les médicaments offrent un secours. « Les benzodiazépines sont contre-indiquées suite à un événement traumatique : elles augmentent le risque de développer un TSPT. En revanche, les antidépresseurs sont relativement efficaces sur le long terme. Certains anxiolytiques et antihistaminiques diminuent l’anxiété », explique Nadia Sourdril.

Et quand, enfin, ça va mieux ? Bien sûr, le souvenir de l’événement traumatique ne disparaît pas. « Tout ce qu’on peut faire, c’est superposer à un souvenir traumatique un souvenir neutre émotionnellement, qu’on aura pu créer en thérapie », explique Isabelle Chaudieu. La trace du trauma se maintient toujours dans le cerveau. « Le risque de rechute existe donc », tempère la neurobiologiste (Facteurs prédictifs biologiques et psychologiques de l’apparition et de la chronicité du trouble de stress post-traumatique. Une étude prospective d’un an, in Neurobiologie du stress, 2016). Le but, de toute façon, n’est pas d’oublier. Mais plutôt d’abaisser la charge émotionnelle et les retentissements de l’événement. Pour que le patient puisse intégrer sa propre histoire. Et se remettre dans le flot de la vie.

EMDR : la thérapie par les yeux

Mise au point en 1987, l’EMDR (eye movement desensitization and reprocessing) est une psychothérapie à l’efficacité largement démontrée pour traiter les traumas. « Le patient commence par raconter la scène, les pensées, émotions et sensations qui y sont liées. Puis il suit du regard les doigts du thérapeute faisant des mouvements de droite à gauche – ou bien ce dernier lui tapote les genoux en alternance. Le patient, ensuite, s’exprime à nouveau », décrit Nadia Sourdril.
Pendant environ six séances, on retravaille ainsi le souvenir traumatique pour qu’il soit débloqué et métabolisé. Rapidement, la charge émotionnelle liée au souvenir diminue.
Si le fonctionnement de l’EMDR reste quelque peu mystérieux, les mouvements oculaires de droite à gauche évoquent ceux qui se produisent pendant le sommeil paradoxal, moment où l’on rêve et où les souvenirs sont archivés dans le cerveau.

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