[LUM#6] Soulager la fin de vie
Dans un monde marqué par le vieillissement des populations, soulager la fin de vie devient un problème crucial. Depuis une vingtaine d’années, le droit s’est emparé de la question, mettant l’accent sur l’autonomie du mourant. Quand un cas de conscience se pose, c’est face à chaque personne, dans sa spécificité, que l’on peut trouver la voie vers une fin bien vécue.
« Celui des maux qui fait le plus frémir n’est rien pour nous, puisque tant que nous existons, la mort n’est pas, et que la mort est là où nous ne sommes plus ». Si, comme le disait Epicure, la mort n’est rien puisque nous ne sommes plus, nous ne pouvons que tenter d’avoir une bonne vie, jusqu’au bout.
Depuis plusieurs décennies, la mort est mise de côté. Intimement mêlée à la vie durant de longs siècles, elle est désormais taboue et perçue comme une rupture intolérable. Parallèlement, la société a demandé au droit de s’emparer du sujet. En cause, la possibilité d’être maintenu en vie plus longtemps qu’auparavant. Une ultime phase de l’existence relativement nouvelle, qui découle des évolutions médicales récentes.
« Droit de dormir »
Afin de soulager les personnes en fin de vie, la loi Leonetti est donc venue encadrer en 2005 l’utilisation de la sédation pour apaiser les souffrances. Onze ans plus tard, la loi Claeys-Leonetti crée un droit à une sédation « profonde et continue » jusqu’au décès pour les personnes en phase terminale, accompagnée d’une analgésie et de l’arrêt de tous les traitements. Une sorte de « droit de dormir avant de mourir pour ne pas souffrir », selon les termes de Jean Leonetti.
Comme pierre angulaire de cette loi : la recherche de la volonté de la personne mourante. Quand celle-ci n’est plus en mesure d’exprimer sa volonté, si elle n’a pas indiqué de directives anticipées ou de personne de confiance, l’équipe médicale consulte l’entourage. Les tiers ne peuvent de toute façon qu’assumer le rôle de porte-paroles du patient. La décision ultime appartient toujours au médecin, au terme d’une procédure collégiale précisément encadrée par les textes.
La France réaffirme donc cet interdit absolu : on ne donne pas la mort intentionnellement. La frontière peut pourtant sembler ténue. Car la sédation profonde et continue est accompagnée de l’arrêt des traitements, y compris de l’alimentation et de l’hydratation artificielles. Et même si elle n’a pas pour intention de provoquer la mort, elle peut contribuer à abréger la vie. Le décès peut survenir dans les jours, voire les heures qui suivent. « Mais l’intentionnalité et la temporalité permettent de la distinguer de la mort médicalement administrée. La loi protège ainsi les vivants. Le texte évite un geste très lourd pour la conscience de ceux qui l’accomplissent », explique François Vialla, professeur de droit et directeur du centre droit et santé de l’Université de Montpellier. D’autres pays ont fait des choix différents. En Belgique, aux Pays-Bas, au Luxembourg, en Colombie, l’administration d’une substance létale est autorisée.
Accompagnement humain
Mais l’euthanasie représente-t-elle finalement le cœur du débat ? Le sujet nécessite peut-être d’être repensé… Quand une personne en fin de vie réclame une aide au suicide ou une euthanasie, il exprime avant tout qu’il a besoin d’être pris en charge. « C’est l’expression que quelque chose ne va pas pour la personne mourante, explique Camille Abettan, philosophe à l’espace régional de réflexion éthique (ERE) du Languedoc-Roussillon. Quand les soignants prennent le temps d’accompagner, avec les techniques modernes d’apaisement de la souffrance, la demande d’euthanasie disparaît presque toujours ».
Être entouré, soulagé de ses douleurs physiques, de ses difficultés respiratoires… la palette des soins palliatifs est vaste et les soignants s’adaptent aux besoins de chaque personne mourante. Avec toujours pour guider leur action des principes éthiques fondamentaux : la bienfaisance et son corollaire la non-malfaisance. Parmi les besoins centraux pour les personnes mourantes, encore et toujours : l’accompagnement. « Tout le monde, en général, s’accorde à dire qu’une bonne fin de vie est une fin de vie où les équipes médicales et soignantes ont du temps pour un accompagnement humain », résume le philosophe.
La moins mauvaise solution
Quant aux affaires liées à la fin de vie qui ont été portées devant la justice et médiatisées, elles sont finalement rares. « Dans l’immense majorité des situations, le lien de confiance entre les soignants, la personne en fin de vie et l’entourage est assez fort pour éviter les contentieux, explique François Vialla. Les rares procès – deux depuis la loi de 2016 et, bien entendu, la très médiatique affaire M. Vincent L. – découlent d’une méconnaissance des textes et d’un non-respect des procédures par des soignants, pas d’un manque de bienveillance ou d’humanité ».
Que les équipes médicales puissent s’approprier la loi, voilà donc une priorité… « Dans cette optique, le centre droit et santé de l’Université de Montpellier délivre des formations depuis l’entrée en vigueur de la loi de 2005 », indique François Vialla. « Des formations existent, mais il faudrait dégager du temps dans le quotidien surchargé des soignants pour qu’ils puissent en bénéficier », enjoint Camille Abettan.
Et quand des désaccords sur la « bonne décision à prendre » surgissent au sein de l’équipe médicale ? Pour obtenir un accompagnement éthique, ils peuvent consulter le comité local d’éthique de l’hôpital. Cette équipe multidisciplinaire de médecins, soignants, juristes, philosophes, spécialistes d’éthique, propose ses pistes de réflexion, permettant généralement de débloquer des situations. « Il s’agit de réfléchir, pour une situation précise, à ce qui serait la moins mauvaise solution. Il est très rare qu’une solution s’impose comme évidente. Ce n’est jamais idéal », résume le philosophe.
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