[LUM#7] De quoi les lanceurs d’alertesont-ils le nom ?
Héros pour les uns, renégats pour les autres, les lanceurs d’alerte sont aujourd’hui installés dans le paysage judiciaire. Que nous disent-ils de notre société et quelle place leur accorder dans l’exercice de la justice ? Un casse-tête, entre exigence de transparence et risques de manipulations.
Ils se nomment Julian Assange, Edward Snowden ou Irène Frachon et doivent leur célébrité aux révélations de pratiques de torture en Irak (Wikileaks révèle la vérité sur la guerre en Irak, Youtube AFP, 2011), d’écoutes illégales de la NSA ou des dangers du Mediator (Scandale du Médiator, Le Monde, 2021).
Derrière ces quelques têtes d’affiche, ils sont de nombreux autres, anonymes, à avoir alerté le public sur une situation qu’ils estimaient nuisible pour la société. Tous ont en commun d’avoir sacrifié leur carrière, bien souvent leur vie sociale et pour certains jusqu’à leur liberté au nom d’un intérêt qu’ils jugeaient supérieur au leur : le droit du public à connaître une vérité qui, sans eux, n’aurait jamais provoqué ni scandale, ni ouverture d’enquête.
Chevaliers blancs, fake news et effet boule de neige
« Les pouvoirs publics ont depuis longtemps recours à des personnes privées, explique Marie-Christine Sordino, professeur de droit pénal à la Faculté de droit et de science politique. Autrefois on parlait de délation ou de dénonciation. Mais à ces termes, évoquant des heures sombres de l’Histoire, on préfère aujourd’hui celui de signalement ».
Une pratique qui a pris un tour inédit depuis quelques années. En 2010, l’organisation Wikileaks orchestrait la fuite de dizaines de milliers de câbles diplomatiques confidentiels. Un véritable séisme, à l’origine d’une prise de conscience : à l’heure où les secrets les mieux gardés peuvent tenir sur une clé USB et fuiter sur les réseaux, personne n’est plus à l’abri de révélations à l’écho planétaire. « Il faut se poser la question de la circulation des révélations estime la pénaliste. Nous vivons dans une société de l’information dans laquelle tout va très vite et où une réputation peut être ruinée en seulement quelques heures ». Dans la guerre de l’information que se livrent états ou entreprises, un lanceur d’alerte peut vite se transformer en arme de déstabilisation massive.
Pour prévenir les dérives, le législateur s’évertue à cadrer le statut de ces lanceurs d’alerte. Un exercice qui a tout d’une gageure : depuis 2001, une dizaine de lois se sont penchées sur la question. Dernière en date, la loi Sapin II du 9 décembre 2016, relative à la transparence et à la lutte contre la corruption, place au cœur de son dispositif les notions de désintérêt et de bonne foi. Sont déclarés hors-jeu les signalements visant à nuire à un concurrent, ou tentant de draper dans les habits de la vertu un intérêt personnel. Une distinction pas toujours évidente. « Dans un scandale sanitaire, la notion d’intérêt général peut sembler claire. C’est plus compliqué dans le cas du droit comptable et financier » note Marie-Christine Sordino.
Crise démocratique
La question est aussi celle des moyens dont dispose l’appareil judiciaire pour s’emparer d’affaires complexes et coûteuses à investir. « Le recours aux lanceurs d’alerte révèle une certaine impuissance des pouvoirs publics face à une exigence toujours plus forte de transparence de la part des citoyens. Le parquet ne peut pas suivre » résume la juriste.
Au-delà de sa dimension juridique, la figure du lanceur d’alerte symbolise la défiance vis-à-vis des institutions. Défiance envers la justice, à qui 45 % de citoyens déclarent ne plus faire confiance, défiance à l’égard de la presse à l’ère des fake news… « Les lanceurs d’alerte nous alertent au fond sur un profond malaise social » analyse Marie-Christine Sordino, qui s’inquiète tout autant de l’injonction de transparence absolue : « Cet idéal peut aboutir à une dictature, à une société du soupçon permanent ». D’autant plus inquiétant que, souligne-t-elle, transparence et vérité sont loin d’être synonymes : « les personnes qui révèlent ont souvent des comptes à régler, des problèmes personnels… La bonne foi et le désintérêt sont rares ! La transparence sur tout impliquerait que ce soit au citoyen de faire le tri… Est-on prêt pour cela ? » ¤
Petit guide du lanceur d’alerte
Si la loi Sapin II énonce que « n’est pas pénalement responsable la personne qui porte atteinte à un secret protégé par la loi, dès lors que cette divulgation est nécessaire et proportionnée », encore faut-il respecter un certain nombre de commandements pour rester dans la légalité et bénéficier d’une protection. Le premier d’entre eux : agir de manière désintéressée. Le lanceur d’alerte doit être motivé par le sens de l’intérêt général et non par des considérations personnelles. Autre condition, la plus controversée, l’obligation d’alerter en premier lieu un supérieur hiérarchique (ou le référent désigné par l’entreprise) qui devra, dans un « délai raisonnable », agir pour le règlement du problème. La confidentialité de l’auteur du signalement étant, à ce stade, théoriquement assurée par sa hiérarchie. C’est seulement en l’absence de réponse de ses supérieurs que l’auteur du signalement sera fondé à rendre l’affaire publique, devenant ainsi un authentique lanceur d’alerte.
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