[LUM#15] One Health
Depuis une quinzaine d’années, l’approche One Health – pour « une seule santé » – se développe dans les projets de recherche associant le Sud et le Nord pour lutter contre les risques émergents, dont les zoonoses. Explications avec Aurélie Binot, anthropologue et agronome au laboratoire Astre*.
Pour commencer, pouvez-vous nous définir cette approche One Health ?
One Health c’est une approche holistique de la santé qui intègre la santé humaine, animale et végétale (voir le power point du Cirad). Elle naît au début des années 2000 et a été officiellement lancée par les Nations Unies en 2008 dans l’objectif de faire face aux zoonoses qui représentent 75 % des maladies infectieuses humaines. C’est l’idée d’une intersectorialité qui met en lien la santé avec les autres secteurs du développement : l’agriculture, l’environnement, le développement rural, l’aménagement du territoire…
C’est la première fois que l’on pense la santé de manière intégrée ?
Non, on en parle dès 1987 dans le rapport Brundtland ou au Sommet de la terre de Rio en 1992. En parallèle de ce mouvement One Health, il y a eu aussi les courants de pensée Ecohealth, One medecine, Global Health et plus récemment encore Planetary Health, qui mettent tous le focus sur les relations entre la santé des hommes et des animaux et l’état des écosystèmes (lire : De One Health à Ecohealth, cartographie du chantier inachevé de l’intégration des santés humaine, animale et environnementale, Serge Morand (CNRS-Cirad), Jean-François Guégan (INRAE-IRD), Yann Laurans (Iddri), Décryptage, Mai 2020)… Ce foisonnement d’écoles traduit la créativité dont nous avons besoin aujourd’hui pour concevoir et mettre en œuvre des actions destinées à gérer les risques sanitaires.
C’est une approche préventive ?
L’objectif est de passer d’un paradigme pathogène à un paradigme salutogène. Comment faire en sorte de rester en bonne santé dans un territoire sain ? Je ne parle pas uniquement de la santé biologique des humains, des animaux et des végétaux. On peut s’intéresser aussi à la justice sociale, à la lutte contre la pauvreté dès l’instant où les acteurs des territoires considèrent que cela contribue vraiment à la santé de leur territoire.
Vous parlez des Nations Unies, la dimension institutionnelle est importante ?
Oui, le succès de One Health tient à cette gouvernance internationale forte qui lui donne sa légitimité. Dès 2008, le cadre One Health a rassemblé dans une convention tripartite l’Organisation mondiale de la santé (OMS), de la santé animale (OIE), et l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Elles ont été rejointes ensuite par le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNU.E). C’est ce qui a permis de faire avancer les choses en termes de politiques publiques et d’actions locales.
Ces programmes concernent-ils autant le Sud que le Nord ?
Les premiers programmes, dans le cadre Ecohealth notamment, visaient plutôt les pays en développement, les zones très rurales où l’État est déficient pour assurer les systèmes de soins. Trente ans après, l’intensification agricole, l’érosion de la biodiversité, la globalisation… se traduisent en problèmes sanitaires dramatiques et les pays du Nord ne sont pas épargnés. Au final, nous sommes dans un apprentissage mutuel. C’est très fertile en termes de pollinisation croisée.
Justement, vous participez depuis le 20 juillet dernier à un nouveau programme One Health dans le Sud.
Il s’agit du programme « santés-territoires », porté par le Cirad et qui rassemble, pour 5 ans, toute une grappe de projets autour du lien entre transition agro-écologique et santé globale en Asie du Sud-Est et en Afrique de l’Ouest. On souhaite voir comment, en modifiant les pratiques agricoles (au niveau des systèmes de production, des filières et des modalités de gestion des ressources), il est possible d’agir sur la santé du territoire.
Vous pouvez nous donner un exemple ?
Au Bénin, nous travaillons avec l’Institut national des recherches agricoles (Inrab) sur la durabilité des pratiques liées à la production de coton, et au Sénégal avec l’Institut supérieur de formation et de recherche appliquée (Isfra). Là-bas il est plus question d’enjeux liés à la tension foncière dans un contexte où agriculteurs, éleveurs et firmes agro-alimentaires dialoguent difficilement. Nous voulons co-construire des cadres de concertation entre ces différents acteurs de la transition agro-écologique pour les accompagner dans des activités qui amélioreront l’état de santé global de leur territoire.
Vous êtes à la fois agronome et anthropologue, qu’est-ce que vous permet cette double casquette ?
La casquette d’agronome me permet de comprendre de quoi il est question quand on parle de système de production agricole mais mon travail aujourd’hui est essentiellement anthropologique. J’analyse les représentations locales, j’accompagne les acteurs du territoire pour définir ce qui, selon eux, constitue leur santé, dans le but de traduire cela en changements de pratiques, agricoles notamment.
Il y a également une posture d’accompagnement dans votre démarche ?
Oui et c’est le deuxième axe du travail d’anthropologue. L’émergence de ces nouvelles approches s’est très vite accompagnée de l’idée qu’il fallait associer les populations. Cela ne peut pas se faire de façon top down, il faut mobiliser les éleveurs, les chefs de villages, les agriculteurs, élaborer de manière participative un cadre conceptuel de la santé du territoire en identifiant les attributs de cette santé et les transformer en indicateurs de mesure du changement.
Concrètement comment travaillez-vous avec les acteurs locaux ?
Nous travaillons dans le cadre d’ateliers collaboratifs pour accompagner la mise en place de « living lab » avec des cartes participatives, des jeux sérieux ou du théâtre forum. Notre méthodologie combine modélisation, théorie du changement, prospective. Nous constituons un support au dialogue et à la dynamique de co-apprentissage… Il ne s’agit pas de mettre tout le monde d’accord, ou de lisser la réalité sociale mais d’appréhender la santé comme un commun.