Planifier pour mieux soigner, l’exemple de l’infarctus du myocarde

Selon l’Organisation mondiale de la santé, chaque année 17 millions de personnes décèdent des suites d’infarctus du myocarde et d’accidents vasculaires cérébraux.

Jérôme Azé, Université de Montpellier; Jessica Pinaire, Université de Montpellier; Paul Landais, Université de Montpellier et Sandra Bringay, Université de Montpellier

Les trajectoires de soins des patients victimes de problèmes cardiaques peuvent être optimisées. – Shutterstock

L’institution souligne que la part des décès dus aux maladies cardiovasculaires représente approximativement 31 % de l’ensemble des décès dans le monde : il s’agit de la première cause de mortalité. Le fardeau de ces maladies devrait augmenter pour atteindre 11,06 % d’ici 2030, portant le nombre de cas à environ 36,2 millions. Les maladies cardio-vasculaires constituent un enjeu majeur de santé publique, qui pèsent lourd sur les ressources du secteur.

Dans un tel contexte, la lutte contre les facteurs de risques modifiables (tabagisme, sédentarité, surpoids ou obésité, hypertension artérielle, diabète de type 2, taux trop élevé de cholestérol ou de triglycérides, etc.) est évidemment essentielle. Mais il existe également un autre axe d’exploration important : l’amélioration de la planification sanitaire, l’ensemble des mesures qui permettent d’améliorer l’efficacité du système de santé.

Démonstration avec la caractérisation des flux de patients hospitalisés pour infarctus du myocarde en France.




À lire aussi :
Les facteurs de risque cardiovasculaires, une découverte révolutionnaire pas si ancienne


Des inégalités aux conséquences graves

La planification sanitaire vise à assurer l’efficience du système de santé mais aussi à réduire les inégalités et les disparités géographiques d’accès aux soins.

Lesdites inégalités commencent par les disparités territoriales dans l’offre de soins, les plus fortes concernent la répartition des médecins spécialistes. L’Île-de-France et la région PACA présentent par exemple des densités médicales importantes, alors que celles-ci sont beaucoup plus faibles dans le Nord ou le Centre de la France. L’offre de santé est en particulier moins importante et répartie de façon très inégale dans les milieux ruraux. Par ailleurs, 20 à 30 % des postes de médecins hospitaliers sont vacants, 30 % des généralistes ont plus de 60 ans et ne trouvent pas de remplaçants.

Ces inégalités peuvent avoir d’importantes conséquences sur l’état de santé : à cause d’elles, un tiers des Français, éloignés des services de santé, renonce à des soins. Plus la distance à parcourir pour se faire soigner est importante, plus la baisse dans la fréquence des consultations peut s’accroître, tout comme le refus de pratiquer certains examens. On constate également des difficultés en cas de nécessité d’hospitalisation d’urgence (maternité, infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral, traumatologie, etc.).

Retracer les trajectoires de soins pour mieux planifier

Les inégalités concernent également le risque de mortalité. Par exemple, la France est le pays de l’Europe où les différences de risque de décès avant 65 ans entre personnes exerçant des métiers manuels ou non manuels sont les plus élevées.

Une manière efficace de contribuer à améliorer cette planification est de mieux connaître l’historique des soins du patient : quels soins a-t-il reçus, à combien de reprises, etc. Considérées comme des indicateurs des besoins réels des patients, ces « trajectoires de soins » renseignent également sur les délais et les coûts de prise en charge. Nous avons cherché à mieux appréhender ces trajectoires dans le contexte d’une hospitalisation pour des affections cardiaques.

L’originalité de notre approche est d’avoir étudié les bases nationales de données médico-économiques issues du Programme de médicalisation du système d’information (PMSI). Le PMSI est géré par l’agence technique de l’information sur l’hospitalisation. Cet établissement public, dépendant du ministère de la Santé, constitue un pôle d’expertise sur les quatre « champs » de l’activité hospitalière : médecine, chirurgie, obstétrique, odontologie ; soins de suite ou de réadaptation ; psychiatrie ; hospitalisation à domicile.

En France, chaque hospitalisation entraîne la production d’un résumé de séjour. Ce document décrit les diagnostics, principal et associés, d’un patient, certaines caractéristiques du séjour (mode d’entrée/sortie, durée,..), ainsi que les actes réalisés. Ces données médico-administratives sont enregistrées dans les bases de données du PMSI. Celles-ci n’ont pas vocation à être utilisées pour des applications médicales, mais sont précieuses pour la planification sanitaire.

Rendre visible l’information

À l’ère de la numérisation des systèmes de santé, de nombreux chercheurs s’intéressent aux méthodes de fouille de données. Ces dernières ont déjà montré leur efficacité dans le secteur de la santé, qu’il s’agisse d’identifier des patients sous-diagnostiqués, de réduire les coûts du système d’assurance maladie ou de détecter des fraudes à l’assurance.

Un défi associé à l’utilisation de ces données est de réussir à concevoir des outils permettant à la fois de traiter une telle masse de données, et d’en extraire une information pertinente.

Dans le cas qui nous préoccupe, l’infarctus du myocarde, nous avons extrait des motifs spatio-temporels caractérisant des trajectoires de soins afin de mieux décrire et comprendre les flux de patients. Concrètement, en utilisant une technique d’intelligence artificielle, nous avons repéré dans les données des ensembles d’individus ayant vécu des évènements médicaux similaires au cours du temps.

L’originalité de la méthode consiste à rapprocher les patients en considérant la proximité des pathologies présentes dans les bases du PMSI. Par exemple, si un patient est admis pour un infarctus aigu de toute l’épaisseur (transmural) de la paroi inférieure du myocarde, et un autre est admis pour un infarctus aigu du myocarde transmural mais de la paroi antérieure, on considérera qu’ils ont vécu un évènement médical « proche », car ces deux diagnostics font partie du même sous-groupe de la maladie « infarctus aigu du myocarde ».

Les motifs ainsi identifiés ont ensuite été intégrés dans un outil de visualisation. De cette façon, il devient possible de reconstituer les différentes évolutions possibles d’une maladie. Voici l’exemple des flux de patientes de plus de 65 ans hospitalisées pour des troubles cardio-vasculaires.

Représentation des flux de patients atteints par un infarctus du myocarde (AP : angine de poitrine ; ISC : ischémie ; IM : infarctus du myocarde ; DC : décès ; TRY : troubles du rythme et de la conduction cardiaque ; IC : insuffisance cardiaque).
DR, Author provided

Nous avons ainsi pu identifier trois flux, dont les évènements initiaux sont respectivement angine de poitrine, cardiopathie ischémique et infarctus du myocarde. Ces flux se séparent ensuite en plusieurs branches dont les évènements ultérieurs sont ceux déjà cités, auxquels s’ajoute le décès. À partir de la troisième hospitalisation, on constate qu’apparaissent deux nouveaux évènements : les troubles du rythme cardiaque et l’insuffisance cardiaque. Nous remarquons par ailleurs que les flux de patientes sont de plus en plus réduits au fur à mesure du temps (une partie des patientes étant décédée par rapport au flux initial).

Ce type de visualisation permet d’identifier trois étapes clés dans les schémas de flux de patients : l’infarctus du myocarde, l’angine de poitrine et la cardiopathie ischémique.

La majorité des patients manifeste des signes de récidive de l’insuffisance coronarienne sous la forme d’une angine de poitrine. Beaucoup d’entre eux font, par ailleurs, de nouveau un infarctus et/ou développent une cardiopathie ischémique. D’autres sont concernés par des affections telles qu’un anévrisme, une ischémie, un trouble du rythme ou de la conduction, ou une insuffisance cardiaque. En outre, les données indiquent que 21 % des hommes et 32 % des femmes hospitalisées décèdent, le plus souvent lors de la première hospitalisation.

Ces résultats sont cohérents avec certaines des évolutions possibles de l’infarctus du myocarde.

Un outil prévisionnel puissant

Par ailleurs, nous avons groupé ces trajectoires de soins pour identifier des tendances dans les délais inter-séjours et l’évolution des tarifs. L’association de ces profils de délais et de tarifs permet d’envisager une aide pour la mise en œuvre de nouvelles stratégies d’organisation des soins.

À l’échelle de l’établissement, ces trajectoires sont précieuses pour planifier les lits et les personnels. Au niveau national, cette méthode permet d’envisager une analyse territoriale. En effet, des études préalables ont mis en évidence un gradient Nord-Sud non seulement pour les hospitalisations ou les réadmissions, mais aussi pour la mortalité liée à l’infarctus du myocarde. L’exploration des flux en intégrant le paramètre de la région d’origine du patient permettrait de comparer soins et évolution de la pathologie en tenant compte de ce contexte.

Enfin, les résultats obtenus grâce à ces analyses de flux pourront désormais être intégrés dans un outil d’aide à la décision pour le clinicien. Ce dernier pourra ainsi orienter ses recommandations et mettre en garde son patient sur les risques potentiels, en comparant son profil à celui de patients ayant des trajectoires de soins similaires.The Conversation

Jérôme Azé, Professeur des Universités, Université de Montpellier; Jessica Pinaire, Ingénieure de recherche, Université de Montpellier; Paul Landais, , Université de Montpellier et Sandra Bringay, Professeur des Universités, Université de Montpellier

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.