Pourquoi si peu de femmes dans la recherche française ?
L’égalité entre les femmes et les hommes dans le domaine de la recherche et de l’innovation figure parmi les principes majeurs du projet européen.
Julie Mendret, Université de Montpellier et Martine Lumbreras, Université de Lorraine
Un défi primordial car si au départ les femmes sont plus diplômées de l’enseignement supérieur que les hommes parmi les 25 à 34 ans de l’Union européenne, la proportion d’hommes scientifiques ou ingénieurs dans la population active dépasse largement la proportion des femmes.
Dans de nombreux pays de l’Union européenne, les femmes chercheuses sont réellement sous-représentées, avec en bas de tableau les Pays-Bas (25 % en 2016) alors que la Roumanie fait figure d’exemple avec 46 %. La France quant à elle, avec ses 28 % de femmes chercheuses, se situe sous la moyenne européenne : 33 %. Au sein de l’Union européenne, comme en France, seuls 20 % des chercheurs en entreprise sont des femmes, avec une plus forte représentation en Espagne (31 %).
Dans ces conditions, il n’est guère surprenant qu’à peine un brevet sur sept soit déposé par une femme. Malgré la tendance à la hausse positive de la participation des inventrices au système international des brevets par rapport à leurs homologues masculins, la situation est encore loin d’être équilibrée. La proportion de femmes utilisant le système des brevets reste faible par rapport au nombre d’articles scientifiques qu’elles publient chaque année, on parle à ce sujet de phénomène du « tuyau percé ». Sur la base des taux de progression actuels, la parité hommes-femmes dans le domaine des brevets ne sera pas atteinte avant 2070.
Pas encore assez d’étudiantes scientifiques
Alors que filles et garçons font preuve de performances similaires dans les matières scientifiques au lycée, les jeunes filles s’écartent progressivement des matières scientifiques au cours de leur cursus. En France, en 2017, 55 % des étudiants de l’enseignement supérieur étaient des femmes. En seize ans, depuis 2001, leur nombre a progressé dans les écoles d’ingénieurs (+ 4,9 points) et dans les formations universitaires de santé (+ 6,8 points). Pourtant, elles restent minoritaires dans les formations les plus sélectives (42,8 % en Classe préparatoire aux grandes écoles) et, surtout, dans les filières à caractère scientifique (37 %). En 2017, 10 600 sur 38 000 diplômés ingénieurs étaient des femmes, soit 28 %. Une progression de 32 % en 10 ans mais qui reste lente.
Parmi les étudiantes scientifiques, le choix d’option reste très sexué : en 2017, on comptait 61 % de femmes en sciences de la vie contre 28 % en sciences fondamentales. Cette spécialisation sexuée dans les filières de formation se poursuit dans l’entreprise. En 2015, dans le domaine des mathématiques et conception de logiciel, 14 % des chercheurs en entreprise sont des femmes. Dans le domaine des sciences médicales, elles représentent 61 % de l’effectif des chercheurs.
Autre constat, à l’issue d’un diplôme, les conditions d’emploi des femmes sont systématiquement moins favorables (taux d’emploi, stabilité, salaire…) que celles des hommes. Le plafond de verre est encore très présent au sein de l’Union européenne et particulièrement dans le milieu académique. Il désigne l’ensemble des obstacles que rencontrent les femmes pour accéder à des postes élevés : tout se passe comme si un plafond invisible empêchait les femmes de grimper les échelons. Ainsi, au cours d’une carrière universitaire par exemple, les inégalités hommes femmes ne cessent de se creuser.
La France ne fait pas figure d’exemple en Europe
Le cas du milieu universitaire français est parlant : il n’y a pas assez de femmes dans les universités françaises (37 %) et leur progression jusqu’aux fonctions de professeures est faible (25 % des chercheuses en université). Le recrutement des enseignants chercheurs tend pourtant à se féminiser, mais les femmes se portent moins souvent candidates lors du recrutement. La parité dans les instances de direction a progressé grâce aux dispositifs législatifs et réglementaires qui l’imposent, notamment la loi ESR du 22 juillet 2013 qui inscrit la parité dans toutes les instances de gouvernance. Malgré tout, les femmes restent très minoritaires aux postes les plus élevés. À peine 17 % des universités sont ainsi dirigées par des femmes en 2019.
Cette tendance pourrait être liée au poids de la tradition : les femmes doivent s’occuper de leur famille et de la vie quotidienne. Aussi certaines renoncent à avoir plus d’ambition, reculant devant la somme de travail à réaliser pour y parvenir. Par exemple, la nécessité de se déplacer aussi bien en France qu’à l’étranger pour des collaborations ou des participations à des conférences de niveau international, de manière à élever son niveau de recherche, peut poser de sérieux problèmes si la chercheuse n’a pas d’aide « souple » pour la garde des enfants.
Vers une nouvelle génération plus libre
Cependant, les nouvelles générations s’affranchissent petit à petit de ce poids. En outre, celles qui franchissent cet obstacle obtiennent de très bons résultats, ainsi la recherche d’excellence dans le secteur public réalisée par des femmes (qui représentent 39 % des chercheurs dans le public) est désormais largement reconnue puisque, ces dernières années, les organismes publics de recherche ont décerné 42 % des plus hautes distinctions à des femmes.
L’objectif du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation est de parvenir à 40 % de femmes dans les filières scientifiques dès la rentrée 2020. Pour cela, il s’appuie en particulier sur des initiatives comme celles proposées par notre association Femmes & Sciences qui a pour objectifs d’inciter les jeunes filles à s’orienter vers les carrières scientifiques et techniques et de renforcer la position des femmes dans ces métiers.
Parmi les moyens mis en œuvre, un programme de mentorat de femmes scientifiques destiné à accompagner les doctorantes dans la construction de leurs carrières. Ce programme est fondé notamment sur la formation de binômes : un.e mentor.e accompagne une mentorée étudiante. Les binômes se forment par affinité lors d’un speed-meeting en veillant à ce que mentor.e et mentorée n’appartiennent pas à la même entité.
Les échanges peuvent porter sur les objectifs de carrière de la mentorée, ses interrogations, les difficultés rencontrées, ou tout autre thème qu’elle souhaite aborder en fonction de ses besoins. Notre groupe pionnier de Montpellier F&S a lancé le mentorat en 2015, en s’appuyant sur une école doctorale (15 binômes).
Depuis, ce programme a pris de l’ampleur, il est soutenu par l’université de Montpellier, le CNRS et, depuis cette année, par une école d’ingénieurs en agriculture. Le champ de discipline s’élargit, et le nombre de volontaires (femmes et hommes) désirant être mentor aussi. Ce mentorat s’est déjà montré utile dans des situations difficiles (harcèlement par exemple) où le mentor a pu aider, avec les instances universitaires, à apaiser les tensions.
En France, les pouvoirs publics ainsi que les industriels ont bien pris en compte le déséquilibre du nombre de femmes scientifiques. Le fossé se comble progressivement, mais malheureusement très lentement, et nous sommes encore en retard par rapport à d’autres pays européens. Des témoignages dans les établissements scolaires, des journées proposées par les industries (Girl’s Day), des concours, et les actions comme le mentorat ont pour objectif de combler la différence existante.
Julie Mendret, Maître de conférences, HDR, Université de Montpellier et Martine Lumbreras, Professeure émérite, Université de Lorraine
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.