Protéger la mer, nourrir les hommes
Comment concilier l’impérative protection des récifs coralliens sans pénaliser les nombreuses populations humaines vivant des ressources de la mer ? La mise sous protection dite “partielle” de certains récifs associée à une bonne gestion de la pêche pourrait être un compromis intéressant selon une étude menée par des chercheurs de l’UM, de l’IRD, du CNRS et de l’Université de Nouvelle-Calédonie et publiée dans Science le 17 avril dernier.
Depuis les années 80, environ 2 000 aires marines protégées (AMP) ont été mises en place pour préserver les récifs coralliens de la pression exercée par les activités humaines et en particulier la surpêche. On y trouve plusieurs niveaux de protection, depuis les AMP dites “no-take” ou intégrales, interdisant tout prélèvement, jusqu’aux AMP “partielles” où les activités de pêches sont seulement restreintes. Si elles ne couvrent actuellement que 6% des récifs coralliens dans le monde l’ONU envisage de multiplier par cinq ces AMP d’ici 2030. Une nécessité quand on sait qu’elles abritent 6 000 espèces de poissons et regroupent 70% de la biodiversité marine connue.
État des lieux des récifs coralliens
C’est donc sur cet objectif de développement durable que se sont penchés les chercheurs d’un consortium international rassemblant des laboratoires américains, canadiens, australiens, anglais et français. Parmi eux, des spécialistes du CNRS, de l’IRD, de l’Université de la Nouvelle-Calédonie et de l’Université de Montpellier, avec le laboratoire Marbec (biodiversité marine, exploitation et conservation). Le but de cette étude ? Dresser un état des lieux des récifs coralliens et simuler leur mise sous protection afin de déterminer où placer ces AMP pour les rendre à la fois efficaces pour la protection de la biodiversité et compatibles avec la survie des nombreuses populations humaines pour qui la mer est une source de nourriture et de revenus.
Les chercheurs ont ainsi étudié les populations de poissons vivants sur 1 800 récifs coralliens (dont 106 en AMP) en mer des Caraïbes, dans les océans Indien et Pacifique et situés à des distances plus ou moins grandes des côtes. Trois conditions indispensables au maintien de la biodiversité et au service à l’homme ont été retenues : le maintien d’une biomasse importante d’espèces commerciales telles que le mérou, la conservation d’une pression d’herbivorie, autrement dit la présence d’espèces telles que le poisson perroquet qui, en mangeant les algues qui se développent sur les coraux, favorisent leur croissance. Enfin la présence d’espèces assurant des fonctions écologiques différentes (diversité fonctionnelle) et contribuant ainsi à la résistance et la résilience du fonctionnement des écosystèmes coralliens.
Des AMP efficaces loin des hommes
Premier constat, seuls 5 % des récifs observés affichent de bons résultats sur les trois conditions de références. “Ceux-là sont situés à plus de 1 000 kilomètres des côtes, explique David Mouillot, chercheur au laboratoire Marbec, ils sont encore en bon état et représentent les derniers refuges pour de nombreuses espèces marines, notamment les grands prédateurs tels que les requins, les espadons ou les thons” (cf. article Trop proches humains, magazine LUM n°8). Pour Laurent Vigliola, chercheur à l’IRD et co-auteur de l’étude, “Il faut impérativement sanctuariser ces récifs isolés très rares. C’est le cas du Parc Naturel de Mer de Corail, qui a placé en AMP intégrale tous les récifs isolés au large de la Nouvelle Calédonie.”
Seconde conclusion de cette étude : l’inefficacité des aires marines protégées sur les récifs ayant subi une trop forte pression humaine en raison de leur proximité. “Ces récifs vont très mal et la création des aires marines protégées n’apportent qu’un gain marginal constate David Mouilllot. Quand la pression anthropique est trop forte autour, même la sanctuarisation intégrale ne suffit pas. Il faut donc revoir les objectifs à la baisse dans ces zones.”
Un compromis possible
Plus positif, la moitié des sites étudiés et actuellement situés hors AMP pourrait bénéficier d’une véritable amélioration grâce à une mise sous protection. “Il s’agit des récifs situés à 5 ou 6 heures de navigation des côtes. Ils sont touchés par l’activité humaine mais leur dégradation est réversible. C’est dans ces zones qu’il faut vraiment se battre” déclare David Mouillot. Si une protection totale serait évidemment souhaitable, la nécessaire prise en compte des enjeux sociétaux et en particulier la sécurité alimentaire de nombreux pays en difficultés économiques oriente vers une protection partielle qui, associée à une bonne gestion de la pêche, pourrait ouvrir la voie à un véritable équilibre entre l’homme et la biodiversité marine.