Rouages : “A l’interface entre la conservation et la recherche”
Marie-Angeline Pinail et Caroline Loup travaillent au service du patrimoine historique. La première est régisseuse des collections universitaires et chargée des collections à la Faculté de médecine. La seconde est responsable scientifique de l’herbier. Ce mois-ci, dans le cadre de la série vidéo « Rouages », elles nous racontent leur métier.
C’est au premier étage de l’Institut de botanique, tout au bout d’un long couloir décoré de photos naturalistes et d’anciens mobiliers de laboratoire que nous retrouvons Caroline Loup et Marie-Angeline Pinail. Avec leur collègue Audrey Theron, elles composent le service du patrimoine historique sous la direction de Véronique Bourgade. Leur mission : conserver, gérer et valoriser les collections de l’Université de Montpellier.
A l’interface entre la conservation et la recherche
A quelques mètres de là se trouve la porte de l‘herbier. Un des plus importants de France, « il est dans les trois premiers après Paris qui fait partie du top mondial et après celui de Lyon » précise Caroline Loup. Bâti sur six étages, il comprend entre deux et trois millions d’échantillons classés sur plus de cinq kilomètres de rayonnage. « Des échantillons que je dois donc ranger, inventorier, classer pour les rendre accessibles aux chercheurs pour qui l’herbier est un outil scientifique. Ils peuvent faire des prélèvements sur ces échantillons, les analyser, les comparer. Je me situe vraiment à l’interface entre la conservation et la recherche. »
[*écouter notre podcast sur l’herbier]
Et en effet, avant d’occuper ce poste Caroline Loup est passée par la recherche : « Je suis docteur en botanique. J’ai travaillé dans un laboratoire de mécanique du bois à Montpellier avant de venir travailler à l’herbier. » Une formation qu’elle continue de valoriser en participant à des colloques, en contribuant à des publications et en s’impliquant fortement dans le réseau national Recolnat, un groupement d’intérêt scientifique animé par le muséum d’histoire naturelle. « Recolnat est national mais nous travaillons en relation constante avec les collections du monde entier. Grâce à ce réseau, nous avons bénéficié d’un financement entre 2013 et 2019 pour numériser tous nos échantillons. »
Convoyeuse d’art
En tant que régisseuse des collections à l’Université, Marie-Angeline Pinail est elle aussi amenée à interagir avec de nombreux corps de métiers. Des scientifiques bien sûr mais aussi, des conservateurs, des restaurateurs d’art, des transporteurs, ou des scénographes qu’elle rencontre lors de ses déplacements. « En tant que régisseuse, je coordonne sur le plan administratif, juridique et matériel la logistique des mouvements des collections. Soit lors de prêts vers des institutions extérieures, soit lors de déplacements in situ donc les transferts avant les travaux ou les montages d’expositions. »
Les travaux actuellement en cours au conservatoire d’anatomie ont ainsi mobilisé Marie-Angeline pendant de nombreux mois : « Faire sortir les collections pour les mettre en réserves représente un gros travail. Il faut garder à portée de main les pièces les plus régulièrement demandées par des chercheurs ou pour des prêts ». Pour pallier la fermeture du conservatoire qui ne rouvrira ses portes qu’à la rentrée 2022, Marie-Angeline Pinail, avec l’aide de Caroline Loup, a également monté l’exposition « Corps à cœur » qui présente un florilège de cette collection d’anatomie.
A côté de ces déplacements intra muros, Marie-Angeline accompagne chaque œuvre d’art lors de prêts à des musées. Des prêts d’autant plus importants qu’ils permettent de financer la restauration des œuvres. Parmi ses meilleurs souvenirs, elle cite ce « convoiement, mémorable dans ma carrière, au MET de New York en 2018 pour y accompagner le bêcheur d’Alphonse Lamy ,la mascotte du conservatoire. » Un conservatoire qu’elle connait d’autant mieux qu’elle en est la responsable au titre de sa deuxième casquette : chargée des collections à la Faculté de médecine.
Apprendre « sur le tas »
Marie-Angeline Pinail est recrutée à l’UM en 2015, après un passage au musée de la mode à Marseille. « J’ai une formation en histoire de l’art et en gestion et conservation du patrimoine, mais l’anatomie je n’y connaissais vraiment rien. » Et pourtant avec ces 13 000 pièces naturelles, en cires, en terres cuites ou en fluides, le conservatoire d’anatomie de Montpellier dispose d’une des plus grandes collections françaises. « Je considère que c’est un privilège d’y travailler, parce qu’il s’agit d’un lieu de prestige mais aussi parce qu’il s’en dégage un caractère presque sacré lié à la présence de ces nombreux restes humains et animaux. »
*[écouter notre podcast sur le conservatoire]
Un sentiment de privilège également ressenti par Caroline Loup dans les rayonnages de son royaume de papier : « Dans l’herbier, je voyage tous les jours. Je peux passer la matinée en Afrique du Nord et l’après-midi dans les îles. Je peux aller faire un tour au 18e siècle et revenir en 2020. » Un métier polyforme qui lui demande de se plonger aussi bien dans la botanique que dans l’histoire ou dans la géographie, de décrypter des écritures allant du chinois au latin en passant par le russe. « Cela demande finalement une grande technicité que j’ai apprise sur le tas avec curiosité et plaisir. C’est réellement un métier où je ne m’ennuie jamais. »
L’échantillon préféré de Caroline Loup
Mon échantillon préféré est une feuille de lotus qui a été prélevée dans le Jardin des plantes de Montpellier. La personne qui l’a récoltée a injecté de l’encre dans deux des six canaux qui traversent la feuille pour essayer de voir s’il y avait des échanges entre les vaisseaux. Pour moi cet échantillon illustre idéalement le lien entre la conservation et la recherche.
La pièce préférée de Marie-Angeline Pinail
Ma pièce préférée est un poumon en papier mâché de la collection Louis Auzoux qui date du 19e siècle. Lorsque je suis arrivée à l’UM en 2015 j’ai été amenée à ouvrir des cartons et dans le premier que j’ai ouvert, j’ai trouvé une préparation naturelle : un poumon humain. C’est la première fois que j’avais dans les mains de vrais poumons humains et cela m’a beaucoup marqué. Quand j’ai vu la pièce de Louis Auzoux, j’ai été tellement frappée par la ressemblance que cette pièce est devenue mon coup de cœur.