Sous les océans, la Terre
Et si les secrets de fabrication de la Terre se trouvaient sous la mer ? En mai dernier le géologue Benoît Ildefonse a participé à la campagne Arc-en-Sub organisée par la flotte océanographique française. Destination Rainbow, un dôme sous-marin formé sur la dorsale Atlantique dont la dynamique échappe encore aux chercheurs.
« En géologie marine on travaille sur les océans mais sans l’eau parce que ce qui nous intéresse, c’est ce qu’il y a dessous. » Et pour aller creuser une fois de plus « ce qu’il y a dessous », Benoît Ildefonse a participé en mai dernier à la campagne Arc-en-Sub. 26 jours de mer à bord du Pourquoi pas ?, un des quatre navires de la flotte océanique française. « Nous étions une vingtaine de scientifiques à bord : des géophysiciens, des pétrologues, des gens qui s’intéressent aux cailloux, d’autres aux séismes mais uniquement des géologues » déclare le directeur de Géoscience Montpellier qui ne compte plus les campagnes réalisées en mer depuis la toute première effectuée en 1997.
Et pour cette mission, cap sur le massif de Rainbow, un dôme sous-marin culminant à 1 500 mètres sous le niveau de la mer, situé sur la dorsale Atlantique à deux jours de mer à l’ouest des Açores. « Ce qu’on appelle les dorsales océaniques, c’est une chaîne de montagnes essentiellement volcaniques de 60 000 kilomètres de long, située entre environ 1 000 et 4 000 mètres de profondeur, et qui correspond aux limites des plaques tectoniques » explique le géologue. Des plaques qui peuvent s’affronter ou s’écarter à des vitesses pouvant varier d’un centimètre par an pour les plus lentes, comme la dorsale Atlantique, à quinze centimètres par an pour la plus rapide, dans l’est du Pacifique.
Une usine à croûte terrestre
Véritables usines à fabriquer de la croûte terrestre grâce au magma qui s’échappe de leurs failles, les dorsales sont également des zones d’intense activité hydrothermale. « L’eau froide de l’océan va se glisser dans les failles et au contact du magma, se réchauffer à plusieurs centaines de degrés, poursuit Benoît Ildefonse. Quand cette eau, qui au passage s’est chargée d’un certain nombre d’éléments chimiques, atteint des conditions supercritiques, elle remonte et ressort sous forme de panaches. Des panaches qui, au contact de l’eau de mer plus froide et de composition chimique différente, précipitent des minéraux comme le manganèse ou des sulfures de fer. »
En plus de la biodiversité unique qu’elles abritent et du gisement de minerais précieux qu’elles contiennent, ces dorsales jouent un rôle capital dans le refroidissement de la planète. « On estime que le volume intégral de l’océan est recyclé dans cette circulation plus de 100 fois en 80 millions d’années. En une journée cela représente plus d’1 million de piscines olympiques ou 45 lacs du Salagou. »
Si le site de Rainbow est connu depuis 25 ans, son fonctionnement n’a pas encore été totalement décrypté par les scientifiques d’où cette dernière mission. « La topographie du site correspond plutôt à celle d’une zone peu active sur le plan volcanique pourtant nous constatons une activité hydrothermale qui implique la présence de poches de magma ponctuelles en dessous mais nous ne savons pas exactement où elles se trouvent » résume le chercheur. Autre élément : les scientifiques ont découvert à proximité de ce site à haute température, un site plus ancien à basse température avec des roches différentes. « Cela indique donc une variabilité géographique et temporelle de ce système et cette campagne visait à explorer cette complexité. »
Changement d’échelle
Et pour y arriver les géologues ont remonté des profondeurs de la mer plus de 320 échantillons de roches et réalisé près de 200 heures de vidéos. Victor, un sous-marin téléopéré, et IdefX, un véhicule sous-marin autonome, ont également été utilisés pour réaliser une carte micro-bathymétrique de la zone à l’échelle de quelques centimètres, ainsi qu’une couverture photographique systématique du fond. « Cette cartographie détaillée nous a révélé des choses extraordinaires. L’exploitation des données et des échantillons va maintenant nous permettre de resituer tout cela dans un schéma intégré complet associant magmatisme, hydrothermalisme et tectonique » se réjouit Benoît Ildefonse.
Depuis leur retour de mission, les scientifiques font donc parler les échantillons dans la langue de leurs spécialités propres : composition et variabilité chimique, changements minéralogiques liés aux réactions avec les fluides hydrothermaux… Le géologue montpelliérain s’intéresse pour sa part à leur déformation en mesurant, au microscope électronique et sur des lames d’une épaisseur de 30 microns, l’orientation des cristaux. « Ces microstructures donnent des indications sur la température à laquelle ces roches se sont déformées » explique Benoît Ildefonse avant de conclure : « En géologie nous travaillons très souvent à toute petite échelle pour comprendre des dynamiques qui s’exercent elles, à très grande échelle. »
En mer avec la FOF
« La flotte océanographique française (FOF) est un outil que je connais bien, explique Benoît Ildefonse directeur de Géoscience Montpellier. Dans le paysage scientifique français, c’est ce qu’on appelle une très grande infrastructure de recherche comme le synchrotron Soleil ou certains télescopes ». C’est en 2000 qu’il monte pour la première fois sur l’Atalante, un des quatre navires hauturiers de la FOF qui opèrent sous la direction de l’Ifremer, du CNRS, de l’IRD et du réseau des universités françaises marines auquel l’Université de Montpellier appartient. Benoît Ildefonse préside depuis 4 ans la Commission nationale de la flotte hauturière de la FOF et participe à ce titre à la sélection et à l’évaluation des différentes campagnes menées. « J’adore être en mer. J’aime cette routine qui s’installe, le travail en quart, surtout le 4/8 (4h-8h/16h-20h) parce qu’on y voit les levers et les couchers de soleil. Les campagnes en mer sont toujours des aventures humaines extraordinaires. »
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