“Stealthing” : quand le droit pénal se fige aux portes de l’intime…
A l’ère du tout numérique et du développement considérable des réseaux sociaux, la sécurité juridique, jusqu’alors objet de toutes les attentions, se trouve désormais confrontée à l’inventivité débordante et galopante des utilisateurs pernicieux de ces nouvelles technologies qui supplantent en trois clics la réactivité de notre système législatif et absorbent sans protection aucune une jeunesse impulsive, proie idéale pour les nombreux prédateurs qui encombrent la Toile.
Cécile Lefrançois et Clémence Vialatte, Université de Montpellier
Face à cette course effrénée aux buzz, et en l’absence de texte législatif, le juge pénal se trouve souvent confiné à défendre les vieux bastions de notre droit tel que le sacro-saint consentement dont l’absence est si difficile à démontrer pour la victime.
De plus, le droit pénal français est strictement encadré par de grands principes généraux au rang desquels se trouve le principe de légalité criminelle. Ce dernier impose que tout acte considéré comme répréhensible soit préalablement et précisément défini par la loi stricto sensu pour être pénalement sanctionné.
La revanche pornographique, tardivement punie
Ainsi a-t-il fallu attendre la loi pour une République numérique du 7 octobre 2016 pour que soit enfin punie la revanche pornographique ou « revenge porn ». Celle-ci consiste, pour un amant éconduit, à diffuser, sans le consentement exprès de l’intéressé, une image intime à caractère sexuel de son ancien partenaire prise ou acquise de manière consentie du temps de la relation, dans le seul but de l’humilier voire de le salir.
On peut cependant reprocher au législateur d’avoir omis de définir clairement la notion très subjective de « caractère sexuel », qui obligera certainement le Conseil constitutionnel à se prononcer sur la question au détour d’une question prioritaire de constitutionnalité.
Car jusqu’alors, le juge refusait de sanctionner pareils agissements, considérant de façon discutable que le consentement donné au moment de la prise du cliché s’étendait implicitement voire automatiquement au droit de le diffuser, alors même que l’abus de consentement paraissait manifeste.
Les limites du droit français face à la pratique du « stealthing »
Quel sera donc sa position quand la première affaire de « stealthing » – pratique qui consiste à retirer son préservatif sans l’accord de son partenaire au cours d’un rapport sexuel consenti – se présentera devant lui ? Le consentement à l’acte sexuel étant conditionné à l’utilisation de protection, son retrait volontaire constitue donc un véritable abus qu’il conviendrait de sanctionner. Et pourtant, le droit pénal ici encore se heurte à ses propres limites.
Alors que le Tribunal correctionnel de Lausanne a qualifié le « stealthing » de viol et condamné à ce titre un Français de 47 ans à 12 mois d’emprisonnement avec sursis en droit français, au nom du principe d’interprétation stricte de la loi pénale, cette qualification serait rejetée. En effet, le viol consistant à pénétrer sexuellement autrui par violence, menace, contrainte ou surprise, implique nécessairement une absence de consentement à l’acte sexuel lui-même – ce qui n’est pas le cas ici.
Les juges pourraient certes envisager le « stealthing » comme un « acte ou comportement de nature à causer sur la personne de celle-ci une atteinte à son intégrité physique ou psychique caractérisée par un choc émotif ou une perturbation psychologique » (Chambre criminelle, 2 septembre 2005, n°04-87046) et sanctionner l’auteur pour violence volontaire.
Mais est-ce véritablement la tromperie résultant du retrait non consenti du préservatif lors d’une relation de confiance que les juges considéreraient être à l’origine du choc émotif ou bien la peur inhérente aux risques encourus lors d’une relation sexuelle non protégée telle qu’une grossesse non désirée ou la transmission d’infections sexuellement transmissibles ?
Quelle qu’en soit la cause, il reviendra aux juges de trancher de manière casuistique, voire subjective, sur la réalité de ce choc émotif, en vertu de leur pouvoir souverain d’appréciation.
L’obstacle de la preuve
Doit-on alors ici encore espérer que le législateur intervienne pour créer une nouvelle infraction spécifique qui donnerait une définition juridique extrêmement précise de ce comportement à risque singulier qui ne peut se manifester que d’une seule façon, sous un comportement unique dans un cadre donné ?
Or, comme l’a souligné à plusieurs reprises la Cour européenne des droits de l’homme, un excès de précision ne semble pas souhaitable car cela reviendrait à édicter une norme qui ne s’appliquerait qu’à un fait de société donné – ce qui perpétuerait l’éternelle « boulimie législative » donc l’inefficacité a plus d’une fois été démontrée.
Si l’une ou l’autre de ces solutions paraît théoriquement viable, la réalité pratique soulève une problématique majeure souvent délaissée, à savoir celle de la preuve. Il apparaît en effet très difficile pour une personne de prouver non seulement qu’elle avait consenti à l’acte sexuel sous la stricte condition qu’il soit protégé, mais de surcroît que son partenaire a retiré ladite protection à son insu.
Sensibilisation, information et éducation
Cette difficulté probatoire, commune à tous les faits relevant de la vie intime, révèle intrinsèquement les limites du droit pénal qui a du mal à appréhender l’abus – absence ou dépassement – de consentement dans les relations charnelles (tels que pour le sadomasochisme ou les relations sexuelles consenties avec mineurs) et à trouver le juste équilibre entre liberté individuelle et nécessité de réprimer certains comportements pouvant être qualifiés de déviants.
Devant le machisme nauséabond de certains se révélant au travers des différents forums ou réseaux sociaux et devant une société quelque peu conservatrice, on aboutit vite soit à déconsidérer la victime pour sa naïveté voire sa légèreté, soit à mettre en doute la sincérité de son discours. La sensibilisation, l’information et l’éducation sont les seules armes utiles à éradiquer ce fléau.
Pour le comprendre, il aura fallu attendre que la parole se libère, avec une certaine virulence, sans doute à la hauteur de ces années à subir sans être cru…
Cécile Lefrançois et Clémence Vialatte, Doctorantes, chargées de travaux dirigés à la faculté de droit, Université de Montpellier
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.