[LUM#18] Thau, miroir du futur
Avec ses 6 900 hectares d’eau salée, le bassin de Thau est la plus grande lagune côtière d’Occitanie et un haut lieu de la culture de coquillages. Une activité aujourd’hui sous haute surveillance à cause des effets du changement climatique qui a déjà impacté l’équilibre fragile de cette petite mer intérieure.
L’été 2018 restera longtemps gravé dans la mémoire des conchyliculteurs de la lagune de Thau. Cette année-là, des pluies anormalement élevées en hiver et au printemps, suivies de températures caniculaires et d’une absence de vent ont provoqué ce qu’on appelle une « malaïgue », mauvaise eau en occitan. Privée d’oxygène pendant plusieurs jours, la lagune étouffe et les coquillages avec. « 100 % des moules cultivées dans le bassin sont mortes, et 30 % à 40 % des huîtres, soit 6 millions d’euros de perte sèche », détaille Franck Lagarde.
Un phénomène d’une intensité exceptionnelle, qui met en lumière la fragilité de cet écosystème unique. « L’étang de Thau, cette petite mer intérieure, est un véritable laboratoire à ciel ouvert dans lequel on lit un peu le futur », explique le chercheur du laboratoire Marbec*. Car dans la lagune, la moyenne annuelle des températures de l’eau a déjà augmenté de 1,6 degrés en l’espace de 20 ans.
Fragile équilibre
Avec le réchauffement des eaux doublé de l’intensification des évènements pluviométriques sur le bassin méditerranéen, c’est tout le fragile équilibre de l’étang qui est menacé, et tout un secteur économique qui se remet en question. Car des malaïgues, il y en aura d’autres. « Le risque d’anoxie est multiplié par 3 pour chaque degré de plus dans l’eau de la lagune comme le montrent les travaux de ma collègue Valérie Derolez », précise Franck Lagarde. Face à ces perspectives, professionnels, chercheurs et politiques se regroupent pour sauvegarder la lagune et ses usages. « La bonne nouvelle c’est que tous les acteurs du bassin travaillent ensemble pour adapter des nouvelles pratiques culturales et pour atténuer les effets du changement climatique ».
Pour le spécialiste, la résilience de l’étang passe aussi par le maintien des efforts pour la restauration écologique de l’écosystème et de la biodiversité. Celle des herbiers de zostères pour commencer, ces prairies marines qui apportent de l’oxygène et limitent ainsi le risque de malaïgue. « Il faut aussi favoriser le retour d’espèces ingénieures historiquement présentes dans l’étang mais qui en ont disparu comme par exemple l’huître plate ou la palourde européenne qui oxygènent les sédiments, favorisent les flux et la biodiversité », complète Franck Lagarde. Ces pistes de réhabilitation de l’écosystème sont des solutions fondées sur la nature qui permettront de le renforcer face aux stress plus intenses que l’on rencontrera demain.
“Y aura-t-il une limite ?”
Des efforts nécessaires également pour les professionnels de la filière conchylicole qui peuvent eux aussi contribuer à cette réhabilitation, « par exemple en améliorant encore la propreté sous les tables pour limiter la présence de déchets plastiques, de morceaux de filets ou d’amoncellement de poches ostréicoles et cordes polyéthylène. Chaque parcelle doit être propre pour permettre le retour de cette précieuse biodiversité ». Des efforts individuels et collectifs qui favorisent la résilience de la lagune, « en témoigne l’absence de malaïgue en 2022 malgré des conditions hydroclimatiques jugées particulièrement sensibles ».
A voir :
- Une animation de Valérie Dérolez illustrant la trajectoire de restauration de la lagune de Thau, intitulée “50 ans d’Observation pour Comprendre la Dynamique de Restauration et la Résilience de la Lagune de Thau”.
A écouter :
- Dans A l’UM la science, Caroline Montagnani, chercheuse à l’Ifremer et directrice de l’unité IHPE**, nous parle de la vaccination des huîtres contre l’ostreid herpesvirus.
*Marbec (UM, IRD, CNRS, Ifremer)
**IHPE (CNRS, Ifremer, UPVD, UM)
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