Traquer les virus, un travail de fourmi
Lorsque l’on pense aux occupants des forêts tropicales, on pense jaguars, léopards, singes en tout genre. Ou encore oiseaux et reptiles, tels que le toucan ou le caméléon. Mais il est de tout petits, petits habitants qui y vivent par millions. Ce sont les virus, une source de préoccupation croissante en termes de santé humaine, que les virologues Eric Leroy et Philippe Roumagnac étudient de près grâce aux fourmis.
Le Covid-19, Ebola, le VIH. Mais aussi les hépatites, la rougeole ou encore les oreillons. Ces maladies infectieuses ont un point commun : elles sont toutes d’origine animale, comme les trois quarts des épidémies qui affectent l’humain. « Ce sont ce qu’on appelle des zoonoses. Les virus qui sont responsables de ces maladies sont à l’origine hébergés par des animaux et ils sont passés à l’espèce humaine », précise Eric Leroy, virologue au laboratoire Maladies infectieuses et vecteurs : écologie, génétique, évolution et contrôle (Mivegec)1.
Si ces virus peuvent être issus d’animaux d’élevage, ils proviennent le plus souvent d’animaux sauvages, vivant essentiellement dans les forêts tropicales. « D’une part car ce sont les zones les plus riches en biodiversité, et d’autre part parce que certaines coutumes socio-culturelles augmentent les contacts avec la faune sauvage, ce qui favorise ces transmissions à l’humain », précise Eric Leroy.
Enjeu de santé publique
Scruter ces virus cachés dans les forêts est donc devenu un enjeu de santé publique. « Il faudrait parvenir à faire de la surveillance en amont au niveau des réservoirs animaux avant que les virus ne passent chez l’homme », détaille le virologue. Mais comment faire pour mieux connaître les tout petits habitants de ces immenses et impénétrables forêts ?
Eric Leroy, qui connait bien les forêts tropicales pour avoir vécu et travaillé longtemps au Gabon et au Congo, et son collègue Philippe Roumagnac, virologue à l’Institut de santé des plantes de Montpellier (Phim), ont eu une idée. Puisqu’il est impossible de capturer, prélever et analyser tous les animaux et végétaux qui peuplent les forêts pour scruter leurs virus, pourquoi ne pas laisser d’autres se charger de ce précieux échantillonnage ? Ces autres forment toute une armée de petits insectes pas comme les autres : les fourmis légionnaires, ou fourmis magnans.
Ces carnivores s’attaquent à tout ce qui tombe sous leurs mandibules : des arthropodes et autres invertébrés aux animaux de petite taille tels qu’oiseaux, reptiles, ou micromammifères. « Elles sont connues pour les raids spectaculaires qu’elles mènent en colonnes de millions d’individus s’étendant sur plusieurs dizaines de mètres », raconte le virologue. Pas regardantes, ces nomades consomment également si l’occasion se présente des carcasses de gros animaux, d’où leur surnom de « poubelles de l’Afrique ».
« Nous avons donc émis l’hypothèse que ces fourmis magnans seraient susceptibles d’absorber et d’accumuler les virus hébergés par les hôtes qu’elles consomment, qu’ils soient végétaux, animaux invertébrés ou vertébrés. » En analysant le matériel génétique issu des fourmis, les chercheurs espèrent identifier les virus avec lesquels elles ont été en contact et mieux connaitre ainsi ce qu’ils appellent la virosphère des forêts tropicales.
Étude pilote
Pour vérifier cette hypothèse, Eric Leroy et ses confrères ont mené une étude pilote. Ils ont capturé 209 fourmis provenant d’une trentaine de colonnes au nord-est du Gabon et analysé chacun de ces insectes via une approche de métagénomique virale. « Nous récupérons l’ensemble du matériel génétique, ADN et ARN, présent au sein d’un échantillon – en l’occurrence la fourmi – pour analyser la portion correspondant au génome viral total, celui de la fourmi mais aussi le matériel génétique provenant des animaux ou plantes qu’elle a consommés », décrypte Eric Leroy.
Les chercheurs ont ainsi détecté un nombre exceptionnel de séquences génomiques parmi lesquels 46 000 s’apparentaient à des séquences de virus, de bactéries, de plantes, d’invertébrés et de vertébrés. « Une véritable caverne d’Ali baba », s’enthousiasme Eric Leroy. Une caverne qui recèle d’ailleurs quelques surprises, « seule la moitié de ces séquences correspondait à des genres viraux reconnus, ce qui signifie que dans les écosystèmes forestiers parcourus par les fourmis, se trouvent probablement de très nombreux virus encore inconnus ».
Fourmis sentinelles
Si les chercheurs vont mener des études de plus grande envergure, ces résultats préliminaires prouvent déjà que l’idée est bonne. « Non seulement cette méthode permettrait de mieux connaître la virosphère et de cartographier la présence de virus dans une zone donnée, mais on peut aussi envisager de mettre en place un moyen de surveillance de ces virus zoonotiques avant leur transmission à l’homme », détaille le chercheur, qui envisage par exemple une collecte mensuelle de fourmis légionnaires dans des lieux définis pour identifier les virus présents à ces endroits.
« Si des virus problématiques atteignent un seuil critique, des mesures pourraient être mises en place », imagine Eric Leroy. Ces sentinelles à 6 pattes participeraient ainsi à la surveillance précoce des virus, permettant de prédire, anticiper et prévenir l’émergence de maladies et d’épidémies « dont nous sommes encore trop souvent simples spectateurs, médusés et impuissants », conclut le chercheur.
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- Mivegec (CNRS, UM, IRD)
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