Un moustique stérile pour une île tranquille
« Combattre le mal par le mâle ». C’est la stratégie choisie par les chercheurs du laboratoire Mivegec pour diminuer le risque d’épidémies de maladies transmises par les moustiques sur l’île de la Réunion. Leur méthode : la technique de l’insecte stérile, qui se base sur l’élevage en masse de moustiques tigre mâles, stérilisés puis relâchés dans la nature.
266 000. C’est le nombre d’habitants de la Réunion affectés par l’épidémie de chikungunya qui a touché l’île en 2005-2006. Comment le virus responsable de cette maladie a-t-il pu contaminer 30 % de la population de la Réunion ? « Le chikungunya est transmis par le moustique tigre, Aedes albopictus, également vecteur du virus de la dengue, qui a touché plus de 50 000 personnes sur l’île depuis le début de l’année dernière », explique Frédéric Simard du laboratoire Maladies Infectieuses et Vecteurs : Ecologie, Génétique, Evolution et Contrôle.
En l’absence de vaccin, le seul moyen de limiter la transmission de ces maladies est de diminuer le contact avec les moustiques vecteurs. Si la lutte contre les moustiques a longtemps pris la forme d’épandages massifs d’insecticides, cette pratique atteint aujourd’hui ses limites : non seulement les produits utilisés ne sont pas sans conséquences sur l’environnement et sur les populations qui les voient désormais d’un mauvais œil, mais de surcroît « les moustiques deviennent résistants aux insecticides, ce qui diminue considérablement leur efficacité », précise Frédéric Simard.
Résistance aux insecticides
Comment endiguer la prolifération d’Aedes albopictus tout en limitant le recours aux insecticides ? Les chercheurs du laboratoire Mivegec misent sur un stratagème prometteur : la technique de l’insecte stérile. Elle consiste à stériliser aux rayons X des moustiques mâles élevés en laboratoire puis à les lâcher en masse dans la nature. « Les femelles qui seront fécondées par ces mâles vont pondre des œufs qui n’écloront jamais », explique le chercheur.
Une méthode d’autant plus efficace que les moustiques femelles ne s’accouplent qu’une seule fois dans leur vie et stockent ensuite le sperme dans leur spermathèque pour féconder leurs œufs. « Si une femelle s’accouple avec un mâle stérile, elle remplit sa spermathèque de sperme non fonctionnel et n’aura jamais de descendant ». Sachant qu’une seule femelle peut pondre plus de 1000 œufs au cours de sa vie, ce sont autant de moustiques en moins qui verront le jour.
La technique de l’insecte stérile a déjà fait ses preuves, notamment dans le monde agricole qui l’utilise depuis une cinquantaine d’année pour lutter contre certains insectes ravageurs. Mais pour l’appliquer au moustique tigre, les chercheurs ont dû relever des défis spécifiques.
Élevage en masse
Première étape : maîtriser les techniques d’élevage massif d’Aedes albopictusen laboratoire, puis le sexage des individus, c’est-à-dire la séparation des mâles et des femelles. « Une étape cruciale car seuls les mâles seront relâchés dans la nature », explique Frédéric Simard. Pour trier les mâles des femelles, les chercheurs passent les nymphes de moustique sur un tamis, ce qui permet d’éliminer les femelles dont la nymphe est plus grosse.
Deuxième étape décisive : la stérilisation des nymphes mâles effectuée grâce aux rayons X. « À l’issue de cette étape il a fallu vérifier que l’irradiation n’affectait ni la santé des mâles, ni leur capacité d’accouplement », précise le chercheur.
Susciter l’adhésion
Dernière étape : tester la méthode sur le terrain ! « En juin 2019 nous avons procédé à un premier lâcher de 3 000 mâles stériles », explique Frédéric Simard qui précise que ces lâchers ne causent pas de nuisance aux habitants, puisque seules les femelles piquent afin de prélever du sang destiné à nourrir leurs œufs. « Nous avons d’ailleurs fait un gros travail de pédagogie et de sensibilisation auprès des populations et des institutions dont l’implication est absolument nécessaire dans le développement de cette technique écologique de lutte contre le moustique tigre. Pour la rendre durable, elle ne doit pas seulement être efficace et propre, elle doit également être socialement acceptable, économiquement viable et mise en place dans un cadre légal. Vaste chantier pour une recherche réellement transdisciplinaire ! », précise Frédéric Simard.
Un dialogue qui s’établit dans un contexte favorable puisque plus de 2 Réunionnais sur 3 se disent spontanément favorables à l’initiative. Face au succès de ces premières phases, les chercheurs ont opéré un second lâcher en septembre 2019 et en prévoient de plus massifs en 2020. « Les études en cours sur le terrain nous permettront de savoir où, quand et à quelle fréquence effectuer les lâchers pour assurer un impact maximal sur la population d’Aedes albopictus. Et donc diminuer significativement le risque de survenue de nouvelles épidémies de chikungunya ou de dengue. On va combattre le mal… par le mâle. »