Une vague technologique pour protéger la grande bleue
Face à une Méditerranée surexploitée, les scientifiques cherchent à réduire les agressions des activités humaines sur les milieux marins. Parmi les solutions technologiques, l’application mobile Donia pour inciter les plaisanciers à protéger les herbiers et l’Overboat, un jet ski électrique.
Océanographes et biologistes marins montent sur le pont. Fâchés d’étudier des milieux tout en assistant à leur destruction, ils combinent leurs connaissances écologiques et le vent technologique qui souffle sur les sciences pour imaginer des solutions et mettre sur pieds des produits grand public. L’application de navigation Donia doit ainsi permettre aux plaisanciers de protéger les écosystèmes marins sensibles. « L’idée de cette application vient de nos travaux sur la protection de la posidonie, une espèce protégée mais qui continue de disparaître à cause de l’ancrage des bateaux », raconte Julie Deter, enseignante-chercheuse au laboratoire biodiversité marine, exploitation et conservation (Marbec*) et cheffe de projet à Andromède océanologie, un bureau d’études en écologie marine.
Entre 2011 et 2018, un quart des herbiers de posidonie ont disparu du fait du mouillage dans la baie de Golfe-Juan, et ce malgré l’interdiction de détruire cet habitat marin protégé. « L’interdiction est sans effet car le pouvoir de police ne s’applique que si la destruction est volontaire. Or impossible de déterminer si un plaisancier a sciemment ou non jeté son ancre dans un herbier », se désole Julie Deter. En proposant une cartographie simplifiée des habitats marins jusqu’ à 50 mètres de profondeur, Donia sensibilise ainsi les navigateurs, tout en leur apportant des informations sur la réglementation marine. Ces cartes s’appuient sur la cartographie fine et continue des habitats marins côtiers méditerranéens entre 0 et 80 mètres publiée en 2014.
De l’océanologie dans votre smartphone
Lancée en 2013 par Andromède, l’application décroche le prix Entreprises & Environnement. Elle compte aujourd’hui 33 000 utilisateurs actifs. Pour attirer les moins écolos d’entre eux, plusieurs fonctions ont été prévues : informations pratiques pour des mouillage faciles, météo, cartes marines et points d’intérêt comme les sites de plongée ou sentiers sous-marins. « Autre argument, c’est une appli communautaire qui permet de partager des mouillages sympas, des spots de plongée, des observations de faune marine, des dangers flottants », défend Julie Deter qui verrait bien Donia comme « un waze de la mer ».
Mais pour l’écologue, l’enjeu est aussi de mieux contrôler les mouillages. Mission accomplie pour les bateaux de plus de 24 mètres, obligatoirement équipés d’une balise qui permet leur identification et leur localisation. « Notre équipe a travaillé avec l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée-Corse, la Préfecture maritime et les douanes pour faire évoluer la réglementation. Une interdiction ferme pour le mouillage dans les herbiers s’impose désormais pour les bateaux de plus de 24 mètres », se réjouit la chercheuse. Pour les autres, faute de balise, difficile encore de durcir les contrôles, même s’ils représentent 95% des bateaux qui mouillent sur les côtes. Pour mieux évaluer leur impact écologique sur les herbiers, une recherche vient d’être lancée au sein d’Intosea, le laboratoire commun unissant l’Université de Montpellier et Andromède Océanologie.
Toujours face à l’impératif d’atténuer les impacts des activités humaines, l’océanographe Vincent Dufour a imaginé en 2016 l’Overboat, un petit bateau électrique qui a vu le jour en 2019. Sous des allures de jet ski du futur, cet engin monoplace ou biplace se déplace avec un foil, grâce à des batteries électriques. Vincent Dufour défend sa création : « Non seulement c’est une nouvelle façon de se déplacer sur l’eau, mais surtout, il n’y a pas besoin d’être un crack puisque l’intelligence du bateau va tout gérer à votre place. » De nombreuses technologies sont en effet embarquées à bord : « des calculateurs traitent en permanence les informations sur la position du bateau pour assurer son équilibre », précise Frédérique Bos, la directrice commerciale de Neocean. Cette entreprise a été créée ad hoc par Vincent Dufour pour développer l’Overboat.
Bilan carbone
Côté écologie marine, l’embarcation affiche le silence du moteur électrique et le faible sillage du bateau, qui réduit d’autant l’endommagement des berges lié à l’érosion. Mais surtout, le foil de l’Overboat, en réduisant les frottements, diminue considérablement l’énergie nécessaire à sa propulsion : « le foil divise par quatre la consommation énergétique », pointe Frédérique Bos. Pour prouver cette empreinte écologique réduite, Neocean s’est attelée à comparer les émissions de CO2 avec un jet ski, en prenant en compte la construction et trois années d’utilisation : si l’Overboat fait moins bien à la construction à cause des batteries, au bout de trois ans son bilan carbone est de 2 600 kg équivalent CO2 contre 38 000 kg équivalent CO2 pour le jet ski.
Mais pourquoi faire de l’électrique alors que la voile est le moyen de transport le plus écolo ? « Ce n’est pas les mêmes usages ! L’Overboat intéresse les opérateurs des ports et des parcs marins par exemple, qui doivent sillonner entre les bateaux, accoster facilement. Il a aussi du succès auprès des bases nautiques où les nuisances sonores et les pollutions deviennent une préoccupation et qui cherchent des loisirs moins impactant », précise Frédérique Bos. L’Overboat a déjà convaincu une trentaine de clients, en France mais aussi en Espagne, en Italie et en Hollande. Prévoir quand même environ 30 000 euros à l’achat.
*Marbec (UM, IRD, CNRS, Ifremer)