[LUM#19] Vies volées

Chaque année en France plusieurs dizaines de milliers d’oiseaux sont fauchés en plein vol par les pales des éoliennes. Face à cette mortalité importante et alors que l’Etat français prévoit un doublement de son parc éolien, le programme MAPE réunit acteurs privés et publics pour que l’éolien ne souffle pas ces peuples du vent.

Le matin du 16 janvier dernier, un aigle royal était retrouvé mort au pied d’une éolienne sur le site de Bernagues dans l’Hérault (France 3, 27/01/2023). La mortalité aviaire imputable aux éoliennes est un phénomène dont l’ampleur reste mal connue, « le chiffre qui circule est de 7 mortalités par an et par éolienne en France. Un chiffre probablement en dessous de la réalité et surtout qui ne fait pas le distinguo entre les espèces ; or les rapaces qui ont besoin du vent pour se déplacer sont en compétition pour l’espace avec les éoliennes » expliquent Olivier Duriez et Aurélien Besnard, biologistes au Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive de Montpellier* et porteurs scientifiques du projet MAPE (Mortalité aviaire dans les parcs éoliens).

Lancé en 2019 à l’initiative de la Dreal Occitanie et de la Ligue de protection des oiseaux (LPO) avec la Maison des sciences de l’Homme, MAPE réunit un consortium d’acteurs publics et privés, dont 25 opérateurs de l’éolien, pour réduire cette mortalité aviaire. Face à l’attente sociétale, de plus en plus de parcs équipent leurs éoliennes de systèmes de détection automatique (SDA) permettant de commander l’arrêt des pâles à l’approche d’un oiseau. « La première étape consistait à proposer aux opérateurs un protocole scientifique pour évaluer l’efficacité de ces systèmes sur lesquels il n’existe presque aucune étude », explique Aurélien Besnard. Car même dans un parc équipé de SDA des collisions continuent d’être constatées.

Détecteur de vol

Pour mieux régler ces SDA, les chercheurs ont également développé EolDist. Cette application libre sur internet permet de calculer les distances minimales nécessaires de détection d’un oiseau en croisant, grâce à une base de données intégrée, la vitesse et le type de vol en fonction de l’espèce avec des données météorologiques et le temps d’arrêt de la machine. « Si je prends l’aigle royal, qui vole à vitesse moyenne de 15 mètres seconde, si l’éolienne met 41 secondes à s’arrêter, il faudra détecter notre aigle à 875 mètres pour éviter la collision » détaille Olivier Duriez. Si des tests ont été réalisés, il en faudrait plus pour améliorer la robustesse de l’application mais les opérateurs rechignent à les effectuer. « Les résultats d’Eoldist tendent à remettre en cause la logique même de ces systèmes de détection, constate Aurélien Besnard. Si les éoliennes s’arrêtent chaque fois qu’un oiseau passe à 500 mètres, elles vont s’arrêter tout le temps, ce qui en soit reste le meilleur moyen d’éviter la mortalité aviaire, mais n’est pas viable économiquement ».

En parallèle les chercheurs travaillent aussi sur l’effet des conditions environnementales sur les risques de collisions : « le brouillard, la pluie, le vent peuvent-ils favoriser les collisions ? Est-ce que le relief joue un rôle ? » questionne Olivier Duriez. Des pistes qu’ils explorent en analysant les vidéos de collisions filmées par les caméras des éoliennes. « Avoir des opérateurs dans le consortium permet d’accéder à ces images qui restent des données assez sensibles pour les parcs. » Les résultats pourraient permettre de mieux choisir les sites d’implantation des parcs éoliens et d’adapter leur fonctionnement lorsque les conditions climatiques sont favorables à une collision.

Populations plumées

Autre objectif du programme MAPE : sensibiliser aux enjeux de biodiversité en développant EolPop, une application simple pour calculer l’impact de la mortalité sur la dynamique de population d’une espèce. « Perdre un aigle ou une mésange n’a pas les mêmes conséquences en termes de viabilité à long terme de la population » prévient Olivier Duriez. EolPop permet à ses utilisateurs, qu’ils soient opérateurs de l’éolien ou associations de protection de la nature, de croiser les valeurs de survie et de fécondité pour chaque espèce avec des données sur la taille des populations. « La démarche que nous avons choisie consiste à comparer les tailles de population que nous aurions dans 30 ans avec ou sans le parc éolien ».

Reprenons le cas de l’aigle royal : avec une mortalité par an pour une population de dix couples, la population s’éteint en moins de 30 ans. « Heureusement toutes les espèces ne sont pas aussi impactées mais ça permet d’objectiver, poursuit le chercheur. Aujourd’hui, certains bureaux d’étude disent un aigle par an ce n’est pas beaucoup. Mais pas beaucoup par rapport à quoi ? Là nous avons des chiffres issus de calculs robustes » ajoute Aurélien Besnard. Des chiffres qui en éclairent d’autres d’une lumière assez funeste : la France compte aujourd’hui 8 000 éoliennes terrestres et prévoit un doublement de son parc d’ici 2028. L’éolien a de l’avenir, l’aigle royal moins.

Vues d’oiseaux

Pourquoi ces collisions entre oiseaux et éoliennes surviennent-elles ? Pour le comprendre un travail est mené dans le cadre de MAPE sur la vision des oiseaux et plus particulièrement sur leur niveau de perception des contrastes, autrement dit sont-ils capables de distinguer une éolienne sur un ciel gris. « La doctorante qui réalise ce travail a mené des tests sur 35 espèces d’oiseaux. Le résultat, c’est qu’ils ont une vision des contrastes entre 7 et 30 fois inférieure à la nôtre » explique Olivier Duriez. Idem pour la perception du mouvement rotatif qui semble plus faible chez les oiseaux. « A grande vitesse les buses et les tourterelles testées détectent très bien la rotation, mais en dessous de trois ou cinq rotations par minute la perception devient beaucoup plus difficile » poursuit le chercheur. Des informations qui pourraient permettre aux opérateurs de l’éolien d’adapter les vitesses de turbine à la vision des oiseaux. En Norvège certains parcs tentent d’améliorer les contrastes en peignant en noir une pâle de chaque éolienne (France Inter 29/08/2020). Une méthode à l’efficacité en demi-teinte.


*Cefe (CNRS, UM, IRD, EPHE, Inrae, Institut Agro, UPVM)


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