“Vous n’avez jamais vu un flamant rose devant un tribunal”
Quels outils le droit français offre-t-il aujourd’hui pour protéger les intérêts d’éléments naturels tels que les rivières et les fleuves ou pourquoi pas un arbre ou un flamant rose ? Quelles réparations peuvent-être exigées en cas de pollution ? Et d’ailleurs la réparation peut-elle être encore considérée comme une solution ? Eléments de réponse avec Catherine Ribot, professeure spécialisée en droit de l’environnement et chercheuse au centre de recherches et d’études administratives de Montpellier le CREAM.
Quelle est la place de la protection de l’environnement dans le droit français ?
Nous avons aujourd’hui une culture anthropocentrique de l’environnement. Nous en sommes le centre, vous, moi, les humains. Je vous donne un exemple : vous êtes sur une route de montagne, un camionciterne se renverse et laisse échapper des produits hautement toxiques. Autour il y a des troupeaux, les vaches meurent ; il y a du maraîchage, plus de salade ; il y a un verger, plus d’arbres fruitiers. Pire ! 10 km en dessous, il y a un captage d’eau potable qui risque d’être contaminé. Que faut-il faire ?
J’imagine qu’il faut dépolluer ?
Evidemment, car il y a danger ! Danger pour les vaches, pour les salades, pour les arbres fruitiers et peut-être même pour moi puisque l’eau que je bois le matin risque d’être contaminée. Imaginez maintenant que la substance toxique se loge dans une poche géologique argileuse non poreuse. Va-t-on dépolluer ? Non car cette pollution ne porte alors atteinte aux intérêts de personne. C’est l’expression d’une vision anthropocentrique de l’environnement et de la pollution.
Quelle est la définition juridique de la pollution ?
La pollution est une atteinte portée au patrimoine d’une personne. En cas de marée noire par exemple les associations de protection des oiseaux ont demandé réparations pour les frais engagés, les communes demandent réparation pour la baisse de fréquentation du tourisme…
Le préjudice écologique est-il le préjudice fait à la nature elle-même ?
Vous n’avez jamais vu un flamant rose devant un tribunal demander réparation des dommages qui lui ont été causés par la pollution de l’étang où il vit. Ce flamant rose est peut-être le seul survivant de son nuage de flamants roses, après un épisode de pollution. De quelle manière reconnaît-on un préjudice qui ne soit pas seulement la réparation du coût causé par cette pollution mais bien la réparation du coût subi par l’environnement.
Aujourd’hui le droit a évolué sur ce point ?
Cela a été compliqué mais finalement l’article 4 de la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité insert dans le code civil de nouvelles dispositions prévoyant l’existence du préjudice écologique et affirmant que celui-ci doit d’abord être réparé en nature. Cela oblige, on peut toujours critiquer, un autre rapport à l’environnement.
Mais alors qui peut porter la demande de réparation pour le flamant rose ?
Une association, par exemple, va pouvoir demander réparation de ce préjudice. On en parle beaucoup en ce moment, pas tellement à propos de l’eau mais à propos du contentieux climatique avec « L’affaire du siècle »… On voit également une évolution avec les premiers états qui admettent la reconnaissance de droits à des éléments naturels. La Nouvelle-Zélande a reconnu le fleuve Whanganui comme sujet de droit en 2017. En Inde, le Gange s’est également vu reconnaître certains droits…
La personne morale qu’est-ce que c’est exactement ?
Une personne morale a la qualité de sujet de droit. Vous êtes sujet de droit, je le suis, nous pouvons demander réparation des préjudices qui nous sont causés. En France, un arbre n’est pas sujet de droit. Un arbre peut vous appartenir, c’est un élément de votre patrimoine et, à ce titre, vous pouvez demander réparation s’il subit un dommage. L’arbre en lui-même n’est pas sujet de droit, ce n’est pas ancré dans notre tradition.
Et la notion de bien commun, qu’apporte-t-elle ?
Il y a l’article L210-1 du code de l’environnement qui dit que l’eau est un élément du patrimoine commun de la Nation. Concrètement, un citoyen peut considérer que le Lez est un élément de son patrimoine mais, techniquement et juridiquement, cela ne supporte pas une action contentieuse. Parce que, finalement, que demanderait ce citoyen ?
Oui et d’ailleurs comment peut-on fixer la valeur d’un bien commun ?
Il va d’abord être nécessaire de définir ce qu’est un bien commun. Est-ce qu’un animal peut-être un bien commun ? Vous vous rappelez l’ourse Cannelle ? C’était le dernier ours des Pyrénées, c’est une espèce qui n’est plus. Le chasseur qui l’a tuée peut, peut-être, faire intervenir son assureur mais quel frais va-t-il rembourser, quel préjudice va-t-il réparer ? Quand trois tonnes de poissons se retrouvent le ventre à l’air à cause d’une pollution, a-t-on tout réglé quand on a payé pour nettoyer les berges et re-alviner le plan d’eau ? Peut-être que l’atteinte à l’intégrité de l’eau ne se résume pas dans le versement d’indemnités ou dans le rempoissonnement. C’est un fait social qui doit, peut-être, être envisagé autrement.
C’est une question de prise de conscience plus que de droit alors ?
Il y a des instruments juridiques, des mécanismes protecteurs existent mais notre prise de conscience n’est pas aboutie. Aujourd’hui, cette logique commence à choquer les jeunes générations qui estiment que la seule réparation ne suffit pas. Ces nouvelles générations trouveront les moyens nous permettant de penser autrement. Le droit va changer, les juristes aussi.
*CREAM – Centre de recherches et d’études administratives de Montpellier (UM)
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