Anne Charmantier : charbonner sur les mésanges
En charge d’un programme d’étude à long terme sur les mésanges, Anne Charmantier s’intéresse à l’adaptation de ces passereaux au changement climatique et au milieu urbain. Directrice de recherche en écologie évolutive au CEFE, elle est médaillée d’argent 2024 du CNRS.
Enfant, Anne Charmantier rêvait de travailler sur les baleines et les ours polaires. Fille « d’écolos de la première heure », tous deux enseignants-chercheurs à l’UM, elle ne s’était pas trompée sur sa vocation. Sauf qu’elle travaillera finalement sur les mésanges. Depuis ses études universitaires en écologie évolutive, les passereaux ne la quittent plus. En DEA, elle a contribué au programme d’étude à long terme sur les mésanges bleues et charbonnières, lancé en 1976 dans le sud de l’Hexagone et en Corse. Aujourd’hui, celle qui est devenue directrice de recherche en génétique évolutive au CEFE est en charge de ce programme. Avec une mine radieuse gagnée lors d’un terrain en Corse quitté la veille, elle dit « mesurer l’importance et la responsabilité de poursuivre ce travail de suivi sur cinq sites, qui mobilise sept chercheurs et chercheuses permanents et une vingtaine de personnes sur les terrains chaque année ».
Médaillée d’argent du CNRS cette année, elle cite Newton : « Si j’ai vu si loin, c’est que je suis montée sur les épaules de géants ». Un de ses géants à elle, s’appelle Jacques Blondel, grand écologue pionnier de l’approche d’écologie évolutive, qui a lancé le programme sur les mésanges un an avant sa naissance. Cette médaille d’argent, Anne Charmantier ne s’en vante pas : « Je regrette cette personnification du prix. Si j’aime la recherche c’est parce qu’on y pose des questions à plusieurs et que je peux m’appuyer sur des collaborations pour trouver les réponses. » Et la chercheuse de s’assurer que son portrait fera justement la part belle à ses nombreuses collaborations. Elle raconte ainsi les « Journal club » qu’elle organise régulièrement entre collègues, étudiants et étudiantes. Lors de ces café-lecture autour d’une publication scientifique récente chacun partage ses réflexions, discute les nouveaux résultats.
Infidélité des mésanges
Dès sa thèse, Anne Charmantier a obtenu des résultats inattendus en découvrant notamment l’infidélité des mésanges. En étudiant le génome de nichées, elle s’aperçoit que, dans de nombreux nids, au moins un jeune a un père biologique différent du père social qui l’élève. Un résultat qui contredit le comportement monogame de cet oiseau, du moins sa vie sociale observée dans les jardins où les mésanges sont en couple et se partagent les tâches pour la confection du nid et le nourrissage des petits. « Je me suis interrogée sur le pourquoi de cette infidélité des femelles qui vont s’accoupler avec d’autres mâles, en général à proximité. Les choisissent-elles sur des critères précis, sur des traits que leur partenaire ne possède pas ? » Cette hypothèse des « good genes » importants pour l’espèce, que les individus identifieraient et privilégieraient dans leurs pratiques de reproduction, n’est finalement pas confirmée. Mais l’entrée de la génétique évolutive dans le programme mésanges est bien lancée.
Sa spécialité en génétique quantitative lui vaut d’être embauchée en 2006 au CNRS à 29 ans à peine. « Grâce à une bourse Marie Curie pendant ma thèse, j’ai été accueillie à l’Université d’Édimbourg par Loeske Kruuk, une spécialiste de la génétique quantitative appliquée aux espèces sauvages. C’était une spécialité nouvelle en France, car au début des années 2000 cette discipline était réservée à la sélection génétique agronomique. » La collaboration avec sa mentor britannique se poursuivra jusqu’à la publication en 2014 d’un ouvrage sur l’apport de la génétique quantitative à l’écologie évolutive. Avec cette approche, Anne Charmantier va nourrir deux grands axes de recherche : étudier comment les passereaux s’adaptent au changement climatique et comment ils évoluent en milieu urbain.
Mésanges précoces
Un de ses résultats majeurs porte sur l’adaptation de la reproduction au réchauffement climatique. Les mésanges pondent plus tôt les années plus chaudes, ce qui répond à une nécessité de nourrir les jeunes avec des chenilles juteuses qui sont disponibles juste après le débourrage des arbres. Rater la saison, c’est mettre en péril la survie des oisillons. « Si les mésanges ne captent pas la précocité du printemps, ce sera la catastrophe pour les nichées », explique la chercheuse. Grâce à l’étude génétique de populations de mésanges, que la chercheuse réalise « grâce à des prélèvements sanguins infimes ; une prise de sang non invasive dans le cou de 10 microlitre », elle confirme que la précocité de la ponte mais aussi la plasticité, autrement dit la capacité à adapter la date de ponte aux signaux du printemps, sont transmis d’une génération à l’autre par le patrimoine génétique de l’oiseau. Et l’évolution favorise ces deux caractères chez les mésanges. La sélection naturelle favorisant les mésanges précoces est même fortement accentuée, de l’ordre de 40%, lors d’une vague de chaleur printanière, explique la scientifique.
Plus récemment, Anne Charmantier s’est aussi tournée vers l’adaptation des mésanges au milieu urbain. « Plus par nécessité que par envie de renoncer à faire tous mes terrains en pleine nature. Mais deux jeunes enfants et des problèmes de santé m’ont poussé à venir installer des nichoirs en ville », confie la chercheuse tout en louchant sur la photo d’un massif corse exposée dans son bureau. Avec deux collègues du CEFE, Arnaud Grégoire et Marcel Lambrechts, elle se passionne finalement pour cette recherche alors que les mésanges urbaines sont différentes de leurs alter-égos forestières sur de très nombreux aspects.
« Un jardin commun où on élève des jeunes mésanges »
Leurs travaux montrent que les individus sont plus petits, plus ternes, pondent moins d’œufs, sont plus agressifs mais aussi plus explorateurs. Pour comprendre si ces caractères sont acquis ou non, l’équipe a lancé dans la nurserie du zoo du Lunaret, « un jardin commun où on élève des jeunes mésanges nées d’œufs prélevés à la fois en ville et en forêt. Il y a bien une transmission génétique des caractères observés, car si tous les petits sont élevés dans les mêmes conditions ils gardent certains caractères associés à leur milieu ». Et la chercheuse de préciser l’ampleur de la tâche : « C’est un projet gourmand en temps car il faut nourrir les oisillons en continu de 7h à 21h tous les jours pendant trois mois ! »
En 2023, Anne Charmantier a décroché une ANR de près de 700 000 euros pour s’intéresser aux effets interactifs de l’urbanisation et des changements climatiques, le projet Acacia. « Par exemple, les mésanges des villes sont soumises aux ilots de chaleur urbains. Les étudier peut permettre de comprendre leur adaptation – ou non – au réchauffement », explique l’intéressée. Une étude qu’elle mène en collaboration avec son collègue Samuel Caro, spécialiste en éco-physiologie des oiseaux, avec qui elle va en particulier tester leurs capacités thermorégulatrices. Et comme si ce n’était pas assez, la chercheuse s’est engagée dans un projet pédagogique en partenariat avec le Lirdef (Laboratoire interdisciplinaire de recherche en didactique, éducation et formation). La voilà partie installer des nichoirs avec des caméras embarquées dans plusieurs écoles de Montpellier et Paris pour permettre aux enfants de suivre la vie des mésanges dans la cour de récréation. « L’idée est de tester si l’apprentissage de la biologie à travers la mésange comme sujet et plus comme objet permet de développer un autre rapport à la nature », explique l’intarissable. Résultats à la fin de l’année scolaire.