Catherine Alix-Panabières : Une Chercheuse Très Circulante (CTC)

Catherine Alix-Panabières est une des spécialistes internationales des cellules tumorales circulantes (CTC) et de la biopsie liquide. A l’origine même du terme, la professeure en oncologie de l’Université de Montpellier et directrice du Laboratoire cellules circulantes rares humaines et biopsie liquide (LCCRH),  ouvre de nombreuses recherches sur les biomarqueurs des cancers présents dans le sang, avec des perspectives thérapeutiques à la clé.

Si le CHU de Montpellier a une expertise internationale sur la biopsie liquide, il le doit à Catherine Alix-Panabières. Celle qui a défriché l’intérêt d’un diagnostic de la maladie cancéreuse à partir d’une prise de sang, il y a 25 ans, peut aujourd’hui se targuer qu’il n’y ait pas un congrès en cancérologie sans une session sur le sujet. Une reconnaissance internationale attestée par les nombreux prix qui s’égrènent sur son CV, dont deux prix de l’Académie nationale de médecine en 2012 et 2023, l’International liquid biopsy society award ou encore l’Alexandr Savchuk award. L’intéressée ne cache pas son plaisir de jouer dans la cour des grands. « Je trouve exceptionnel d’avoir pu échanger avec une personnalité scientifique de l’ampleur du Prix Nobel de médecine 2018, le professeur Tasuku Honjo », se réjouit-elle en évoquant sa rencontre cette année au Japon à l’Université de Kyoto avec le célèbre immunologiste.

Dès son postdoctorat en 1999, à cheval entre le CHU et l’Université de Montpellier, Catherine Alix-Panabières ouvre la recherche en France sur la détection des cellules tumorales circulantes (CTCs) pour les cancers solides. Certaines cellules plus agressives se décrochent des tumeurs cancéreuses et voyagent dans le sang pour atteindre d’autres organes (foie, os, poumon, cerveau…) où elles créent des micrométastases puis des métastases. L’étude de ces cellules qui disséminent le cancer s’avère vite prometteuse sur le plan thérapeutique pour établir un pronostic de la maladie cancéreuse.

Premier brevet

Cette scientifique dépose dès 2002 un premier brevet et se fait connaître sur la scène internationale. « Le professeur Klaus Pantel de l’Université de Hambourg m’a repéré lors d’un congrès international », raconte la chercheuse qui n’a jamais interrompue sa collaboration depuis et qui est aujourd’hui visiting professor au sein de l’Université allemande. C’est dans une publication commune (Circulating tumour cells in cancer patients : challenges and perspectives, in 50 Trends in molecular medicine, 2010) que les deux chercheurs inventent le terme de biopsie liquide en 2010.

Mais la reconnaissance locale tarde à venir. « Mes travaux sont d’abord accueillis avec un scepticisme raisonnable », euphémise-t-elle. Elle y croit fermement et trouve les moyens de financer sa recherche et son poste pendant onze ans, contractuelle entre le CHU et l’Université de Montpellier. « J’ai réuni au total plus de 13 millions d’euros pour financer l’équipement et les travaux de recherche de mon laboratoire ; le LCCRH est unique en son genre en Europe ». Unique pour la diversité des cancers étudiés, une quinzaine de cancers, comme le cancer du sein, de la prostate, du pancréas, du mélanome ou du glioblastome mais aussi pour les nombreux biomarqueurs circulants recherchés qui nécessitent autant de technologies de pointe ad hoc.

De la découverte aux applications cliniques

« La biopsie liquide évolue. Il ne s’agit plus seulement d’identifier des CTCs ou l’ADN tumoral circulant mais aussi tous les autres biomarqueurs induits par la tumeur comme les cellules du système immunitaire », souligne la chercheuse qui liste les promesses d’un test non invasif capable de décrypter la signature sanguine des biomarqueurs pour diagnostiquer un cancer et sa gravité, mais aussi pour identifier des cibles thérapeutiques et donner le traitement le plus adapté, évaluer l’efficacité d’un traitement et identifier des mécanismes de résistance, évaluer la maladie résiduelle cancéreuse en amont de l’imagerie standard. « On parle de médecine personnalisée ».

En 2020, un essai mené au CHU de Montpellier a permis de démontrer pour la première fois au niveau mondial l’utilité clinique d’une biopsie liquide dans le choix d’un traitement pour lutter contre le cancer du sein métastatique (Molecular and functional characterization of circulating tumor cells : from discovery to clinical application, in Clinical chemistry, 2020). En effet, ce test est extrêmement sensible pour détecter des CTCs : ces cellules ne restent que quelques heures dans le sang et leur identification permet donc de refléter fidèlement la progression tumorale en temps réel. Ces indicateurs de gravités du cancer permettent de trancher sur la nécessité ou non d’une chimiothérapie.

Biopsie liquide et IA

Parmi la quinzaine de projets qu’elle conduit aujourd’hui avec son équipe et ses partenaires, un nouveau projet phare concerne la recherche d’une signature sanguine pour détecter très précocement le cancer du pancréas (Early detection of pancreatic cancer by liquid biopsy « Panlipsy » : a french nation-wide study project, in Springer nature link, 2024).  « C’est un enjeu de santé publique important parce que l’incidence de ce cancer ne cesse d’augmenter avec un pronostic de survie très mauvais », insiste-elle. Le taux de survie sur 5 ans des malades est en effet de seulement 11 %.

Ici, le protocole de recherche utilise la biopsie liquide et l’intelligence artificielle : « Dans une première phase dite de découverte, on utilise des échantillons sanguins de plusieurs centaines de patients malades pour que l’IA s’entraîne à identifier du ou des biomarqueur(s) caractéristique(s) de ce cancer et à les distinguer de ceux des sujets sains. L’objectif est d’obtenir un algorithme décisionnel robuste ». Dans une seconde étape ou phase de validation, le traitement des données des biopsies liquides « provenant d’une cohorte indépendante composée de sujets atteints du cancers et de sujets sains, permettra de donner un diagnostic précoce du cancer du pancréas, grâce à l’algorithme précédemment entraîné» expose la chercheuse.

Dissémination tumorale

Son équipe poursuit aussi sa recherche sur la biologie des processus métastatiques et le développement de nouvelles technologies capables de déceler les CTCs fonctionnelles, initiatrices de la maladie métastatique (Mechanobiology and survival stratégies of circulating tumo cells : a pocess towards the invasive and metastatic phenotype, in Frontiers in cell and developmental biology, 2023). Un enjeu quand on sait que plus de 90 % des patients décèdent des métastases et non pas de la tumeur initiale. « Grâce à la mise en culture in vitro de CTCs, nous avons réussi à obtenir des lignées de CTCs qui ont des propriétés de cellules souches. C’est une avancée précieuse car nous disposons ainsi d’un matériel unique pour étudier la dissémination tumorale et comprendre comment les CTCs sont à l’origine des rechutes. Nos travaux pourront, je l’espère, aboutir à une ou plusieurs pistes thérapeutiques dont le but sera de circonscrire la dissémination tumorale. », explique la professeure.

Nous terminons notre interview pour laisser Catherine Alix-Panabières boucler une nouvelle communication avant de s’envoler le lendemain pour Sidney. Elle est attendue pour une keynote lecture à l’occasion du 10e anniversaire de la conférence Thomas Ashworth CTC et liquid biopsy symposium. Mais la liste de ses activités est encore longue. A la charge d’enseignement et d’encadrement classique d’une professeure des universités s’ajoute sa participation à plusieurs colloques chaque mois et l’organisation d’événements de grande ampleur comme cet automne, la co-organisation d’une conférence internationale sur la biopsie liquide à San Diego via la prestigieuse American association of cancer research (AACR). Ou dernièrement, sa participation à la conception d’une grande exposition sur le cancer à la Cité des sciences à Paris. « Ça fait beaucoup de choses différentes à gérer en parallèle mais c’est aussi une grande liberté intellectuelle », raconte celle qui grâce à sa reconnaissance internationale est amenée à voyager aux quatre coins de la planète.