Jean-Yves Winum : pur produit local à l’aura globale
Professeur à l’Institut des biomolécules Max Mousseron de l’UM, le chimiste Jean-Yves Winum conçoit et synthétise des inhibiteurs enzymatiques des anhydrases carboniques, une cible intéressante pour des traitements anti-cancéreux et contre différents pathogènes. Une carrière récompensée par le prix Michel Delalande de l’Académie nationale de pharmacie.
« Je suis un pur produit montpelliérain », s’amuse Jean-Yves Winum, que son accent ne dément pas. Le professeur de l’Université de Montpellier a fait ses études et son doctorat en chimie organique dans cette même institution. Et c’est toujours là qu’il obtient son poste de maitre de conférences à 27 ans, juste après son retour de post-doc à Georgetown University (Washington D.C.), soit à peine plus d’un an après avoir soutenu sa thèse en 1998.
N’allez pourtant pas croire que son horizon s’arrête à la ville méridionale. Chimiste reconnu dans la communauté scientifique spécialisée sur la modulation de l’activité enzymatique des anhydrases carboniques, le chercheur de l’IBMM a noué de nombreuses collaborations internationales. Sa contribution aux recherches sur ces enzymes comme cible thérapeutique pour des traitements anti-cancéreux ou contre des agents pathogènes lui a valu cette année le prix Michel Delalande de l’Académie nationale de pharmacie.
Cibler les anhydrases carboniques
Présentes chez les bactéries, les plantes et les animaux, les anhydrases carboniques interviennent dans de nombreux processus biologiques. « Quand j’ai commencé à travailler sur ces enzymes, certains les considéraient comme trop communes pour être la clé de traitements thérapeutiques, car la multitude de leurs fonctions faisait craindre de effets secondaires trop nombreux », se rappelle le chimiste qui ne partageait pas cet avis. Avec ses collègues européens, il distingue, parmi les quatorze formes d’anhydrases carboniques (AC) existantes, les AC9 et AC12 préférentiellement exprimées dans les tumeurs cancéreuses, donc des cibles à privilégier.
« Nos premiers travaux sur ces anhydrases carboniques visaient à inhiber leurs activités au sein des tumeurs solides hypoxiques », explique Jean-Yves Winum. En effet, dans la tumeur, ces enzymes participent à l’acidification du microenvironnement tumoral ce qui contribue à la dissémination des cellules tumorales donc des métastases. « Les tests en laboratoires ont été concluants : l’inhibition de ces enzymes a limité in vivo l’expansion tumorale et la croissance de tumeurs du sein. » Des résultats publiés en 2011 dans Cancer Research en collaboration avec d’autres équipes européennes, en particulier l’Université de Florence.
Piste prometteuse pour un antibactérien
Le chercheur a également travaillé sur une autre cible thérapeutique plus inattendue, les anhydrases carboniques de Brucella, une bactérie alors redoutée du bioterrorisme. « Nous travaillions avec l’équipe de Stephan Köhler (IRIM) sur l’inhibition des anhydrases carboniques chez ces agents pathogènes pour les neutraliser », raconte-t-il (Anhydrases carboniques de Brucella suis et leurs inhibiteurs : vers des antibiotiques alternatifs ? , 2017, in Journal de l’inihibitation enzymatique et de la chimie médicinale).
Si l’intérêt pour Brucella a fait long feu, cette recherche sur des modes d’actions antibactériens reste stratégique à l’heure où l’antibiorésistance est devenue une préoccupation majeure de l’organisation mondiale de la santé (OMS). « L’inhibition des anhydrases carboniques de pathogènes représente une piste prometteuse pour un traitement antibactérien, même si on en est encore à la recherche fondamentale. Aucun traitement n’est en développement pour l’instant », tempère le chimiste.
Le flair du chimiste
« Je développe des collaborations fortes. Les relations de confiance sont la meilleure façon d’avancer », souligne Jean-Yves Winum qui insiste sur la nécessité de pouvoir s’appuyer sur une communauté scientifique internationale soudée. Si son équipe montpelliéraine travaille sur le design et la synthèse des inhibiteurs, l’Université de Florence pratiquent les tests sur les enzymes pendant que d’autres équipes, aux États-Unis notamment, pratiquent les tests biologiques. « Certaines collaborations ont donné des amitiés solides comme avec Claudiu Supuran de l’Université de Florence avec qui je travaille depuis plus de 20 ans. On a signé plus de 160 publications ensemble. »
Le design des molécules a aussi rapidement évolué avec l’amélioration des structures RX : grâce au synchrotron, les chercheurs peuvent observer à l’échelle moléculaire l’interaction enzyme-inhibiteur et améliorer en fonction leur molécule inhibitrice pour la rendre la plus efficace possible. « On va vers une nouvelle génération de molécules, plus actives et plus sélectives », précise celui qui est persuadé du rôle du flair du chimiste. Preuve en est son dernier prix : « la distinction d’une carrière de chimiste par l’Académie nationale de pharmacie », dit-il sans bouder son plaisir.
Escape games et jeux de plateaux
Depuis 2016, il développe à Montpellier un type particulier d’inhibiteurs incorporant des atomes de bore, un minéral présent à l’état naturel dans le sol, l’eau et les aliments. « Plusieurs composés thérapeutiques contiennent du bore donc je me suis dit que cela valait la peine d’essayer sur les inhibiteurs des anhydrases carboniques. Et en effet, on a montré que cela marche très bien ! » Autre axe de recherche prometteur sur les agents anti-cancéreux et développé en collaboration avec Sébastien Clément de l’ICGM : associer des inhibiteurs avec un photosensibilisateur. Sous l’effet de la lumière, le photosensibilisateur produit de l’oxygène singulet qui détruit les cellules cancéreuses, action qui s’ajoute à l’inhibition.
Outre ses recherches, celui que certains collègues qualifient d’hyperactif, cumule plusieurs fonctions : directeur adjoint de la Faculté des sciences en charge de la communication et de l’animation scientifique, ou encore, rédacteur en chef adjoint du Journal of enzyme inhibition and medicinal chemistry. Depuis 2020, il s’investit également dans la gamification des enseignements, en développant des Escape games et des jeux de plateaux comme supports de formations (Jeux sérieux en chimie organique : apprendre en s’amusant en licence !) Il a également participé comme coauteur à l’écriture de six livres pédagogiques. Des travaux qui lui ont valu en 2023 le prix de la Division enseignement formation de la Société chimique de France.