Karim Majzoub : le plus petit virus lui pose les plus grandes questions
Karim Majzoub dirige l’équipe de recherche « Virus à ARN et facteurs hôtes » à l’Institut de génétique moléculaire de Montpellier (IGMM). Lauréat Atip-Avenir – MUSE 2020, Il a obtenu une bourse de l’European Research Council (ERC) d’un montant d’1,5 million d’euros pour mener ses travaux sur les virus delta. Un virus responsable de l’hépatite D chez l’homme, mais récemment retrouvé chez un grand nombre d’espèces animales
La spécialité de Karim Majzoub est la virologie. Après une pandémie mondiale liée à un coronavirus, l’intérêt de sa recherche va de soi. Le biologiste moléculaire qui dirige une équipe de recherche à l’Institut de génétique moléculaire de Montpellier (IGMM), travaille, lui, sur d’autres virus, les virus de l’hépatite B et de l’hépatite D. Virus qui représentent aussi un enjeu de santé public : plus de 200 millions de malades en sont atteints dans le monde.
Depuis deux ans, c’est surtout le virus delta responsable de l’hépatite D qui le fascine. Le plus petit virus connu chez les espèces animales avec ses 1700 paires de bases de nucléotides (contre environ 30 000 pour le coronavirus par exemple). Ce virus, capable de ne coder qu’une seule protéine, dépend donc entièrement des fonctions de la cellule hôte pour se répliquer. Et il a aussi besoin de s’associer avec le virus de l’hépatite B pour devenir un agent infectieux, en utilisant les protéines de surface de ce dernier.
Sauter la barrière des espèces ?
« Cet organisme à la limite du vivant pose des questions philosophiques ! », s’enthousiasme le chercheur, qui a plusieurs raisons de se réjouir.
Sa recherche rencontre une actualité scientifique foisonnante. Avec le séquençage massif d’échantillons environnementaux permis par des nouvelles approches de métagénomique, de nombreuses publications mentionnent la découverte de virus delta chez des oiseaux, des reptiles, des mammifères, des amphibiens et des poissons. Avec parfois des variants aux génomes très proches chez des espèces pourtant très éloignées, des résultats qui permettent d’émettre l’hypothèse selon laquelle ce virus pourrait sauter la barrière des espèces. Autres résultats publiés en 2019 et 2020 : le virus delta peut s’associer avec les protéines de surface d’autres virus que celles de l’hépatite B.
Fort de ces découvertes, Karim Majzoub contacte deux équipes impliquées : une en Finlande qui a découvert un virus delta chez un serpent boa constrictor et une autre en Allemagne qui a fait une découverte similaire sur un rat du panama cette fois. La nouvelle équipe montre alors que les virus delta chez le rat et le serpent se répliquent dans les cellules humaines ! Des résultats qui le poussent à demander une nouvelle fois un ERC. Éconduit pour le premier sur les hépatites, il réussit celui sur les virus delta. Un projet qui doit lui permettre de mieux connaître les facteurs de la cellule hôte nécessaires à la réplication de ce virus, de trouver des cibles thérapeutiques pour un traitement antiviral, mais aussi de comprendre comment ce virus peut s’associer avec d’autres virus pour devenir infectieux. Les 1,5 millions obtenus vont financer cinq postes, dont le sien.
Les virus du zika et de la dingue
Cet ERC est aussi l’aboutissement d’un parcours scientifique bien rempli. Parcours qui – pour ne rien gâcher – croise régulièrement les feux de l’actualité. Entre 2009 et 2013, Karim Majzoub fait sa thèse sur la réponse antivirale chez la drosophile à l’Université de Strasbourg, avec Jean-Luc Imler, à quelques pas du chercheur Jules Hoffman, qui obtient le Prix Nobel de médecine en 2011 pour ses travaux sur les récepteurs responsables de l’immunité innée chez les insectes. Sa thèse en poche, il enchaîne avec un postdoctorat à l’Université de Stanford en Californie jusqu’en 2018. Là, dès 2015, il utilise la toute récente biotechnologie Crispr pour étudier les cycles de vie des virus du Zika et de la dingue dans les cellules humaines. Un an plus tard, l’épidémie de Zika se déclare au Brésil.
En 2019, il quitte finalement San Francisco avec sa famille pour revenir en France, avec d’autres considérations en tête qu’uniquement la recherche : échapper au coût exorbitant de la vie – plus adapté aux salaires des geeks de la Silicon Valley qu’à ceux des académiques – et l’éducation de ses deux filles. Une bourse Marie Curie lui permet de rejoindre l’Institut de recherche sur les maladies virales et hépatiques à Strasbourg, puis l’IGMM à l’été 2021. Que dire de ce nouveau port d’attache méridional ? « C’est une synthèse parfaite entre le Liban, la Californie et la France ! », conclut le chercheur franco-libanais.