Alain Lacampagne : les canaux (ioniques) à cœur
Directeur du Directeur du laboratoire de physiologie et médecine expérimentale (Université de Montpellier / CNRS / Inserm), Alain Lacampagne vient de recevoir la médaille d’argent du CNRS pour ses travaux sur le rôle de l’homéostasie calcique dans des pathologies telles que l’insuffisance cardiaque et la myopathie de Duchenne. Médaille qui récompense une carrière tournée vers une compréhension holistique de la médecine et vers des pistes thérapeutiques prometteuses.
Une carrière récompensée par la médaille d’argent du CNRS, quelle reconnaissance pour celui qui avoue avoir eu – il n’y pas si longtemps encore – le syndrome de l’imposteur. « Mon milieu ne me prédestinait pas à ça », s’explique Alain Lacampagne. Le « ça » vaut pour directeur de recherche au CNRS et directeur du laboratoire de physiologie et médecine expérimentale du cœur et des muscles (PhyMedExp). « A 18 ans, j’aurais pu mal tourner », évoque, avec un demi-sourire, le médaillé.
Physiologiste, Alain Lacampagne a contribué à la compréhension du rôle des canaux ioniques, des protéines présentes dans les membranes de nos cellules qui interviennent notamment dans la régulation de la concentration de calcium (homéostasie calcique), dans différentes pathologies comme la myopathie de Duchenne ou l’insuffisance cardiaque. Un enjeu de santé publique alors que l’insuffisance cardiaque touche plus de 10% des personnes de plus de 70 ans.
La nouveauté de ses travaux tient aussi à avoir montré les conséquences du dysfonctionnement des canaux ioniques sur l’ensemble de l’organisme. « L’insuffisance cardiaque est liée au dysfonctionnement de l’homéostasie calcique au niveau du cœur, qui empêche la bonne contraction des cellules. Mais le problème ne se limite pas à cet organe. Des effets sont aussi observables sur d’autres cellules musculaires, ainsi qu’au niveau du cerveau, ce qui entraine des troubles cognitifs », nous explique le chercheur. C’est cette approche holistique qui est récompensée par la médaille d’argent du CNRS, « une approche difficile qui relève vraiment du travail d’un physiologiste car il repose sur la compréhension de phénomènes vivants intégrés. »
Multi-médaillé
Le chercheur a également travaillé à la conception et à l’évaluation de stratégies thérapeutiques brevetées ciblant ces canaux ioniques. Ses partenaires – français et américains – trouvent des candidats à des médicaments et son équipe apporte une expertise méthodologique pour tester les molécules. « En prolongeant la durée de vie, les traitements actuels ciblés sur le cœur montrent chez les patients l’apparition d’autres troubles liés aux effets sur d’autres organes », complète Alain Lacampagne. L’intérêt thérapeutique d’un traitement global permet d’éviter une propagation de la maladie.
Après l’obtention d’une thèse en physiologie en 1995, il enchaine avec un post-doc à Baltimore au cours duquel il développe une ingénierie sophistiquée pour analyser les mécanismes de l’homéostasie calcique. Puis second post-doc à l’Inserm de Montpellier, qui ouvre sur une comparaison entre la physiologie du cœur et celle des muscles moteurs. « Je considérais déjà qu’une approche comparative était riche d’enseignements pour mieux comprendre un système », souligne le scientifique. C’est là qu’il sera recruté au CNRS en 1999, après quatre candidatures : « je me plais aujourd’hui à rappeler la difficulté avec laquelle j’ai obtenu ce poste », dit celui pour qui la reconnaissance ne tardera pas. Dès 2004, il reçoit la médaille de bronze du CNRS. Puis, dix an plus tard, une distinction américaine cette fois, avec le Schaefer Research Award de l’Université de Columbia, où il est détaché une année.
“Prendre à nouveau un risque”
Un point sensible de son travail repose sur l’expérimentation. « Elle ne peut se limiter au niveau cellulaire, si on veut comprendre les mécanismes à l’échelle de l’organisme et les effets globaux d’un traitement », explique celui qui peut avoir recours aux tests sur des animaux. Conscient des enjeux éthiques sur le sujet, il laisse à la société le soin de trancher où sont ses priorités. La création d’organoïdes – des systèmes cellulaires complexes qui reproduisent dans des boites de culture des mini-organes – lui permettent aussi de s’affranchir en partie de l’expérimentation animale.
Outre son bilan de chercheur, Alain Lacampagne a contribué au développement du laboratoire PhyMedExp qu’il dirige depuis bientôt trois ans. D’une poignée de chercheurs quand il est arrivé en post-doc en 1998, le labo compte aujourd’hui 120 personnes permanentes, auxquelles s’ajoutent les étudiantes et étudiants. « Plusieurs membres de mon équipe, devenus directeurs de recherche, ont choisi de rester, ce qui est pour moi un gage de la qualité de nos relations professionnelles », se félicite le directeur.
Après une carrière consacrée à l’homéostasie calcique, de l’identification des mécanismes aux pistes thérapeutiques en passant par l’identification des processus physiopathologiques, la suite va de soi : accompagner le développement des traitements. « Aujourd’hui, je peux me permettre de prendre à nouveau un risque », explique celui qui envisage donc de créer des passerelles entre sa recherche et l’entrepreneuriat médical. « Plusieurs brevets ont été déposés, mais il est difficile de trouver des partenaires pharmaceutiques prêts à s’engager sur de nouveaux traitements », explique Alain Lacampagne. Lui croit en un nouveau traitement qu’il a contribué à développer avec ses collègues, contre les effets délétères de la ventilation mécanique, qui entraine un dysfonctionnement des cellules musculaires respiratoires chez les sujets en soins intensifs.
Parmi les lauréats des Médailles d’argent 2023 du CNRS figure également Ludovic Berthier, spécialiste de physique statistique au Laboratoire Charles Coulomb (UM/CNRS). À retrouver très prochainement dans les portraits de l’UM.