Carlos Jaramillo – 120 millions d’années pour un seul homme
Grand nom de la paléontologie, le colombien Carlos Jaramillo est spécialiste de l’évolution des écosystèmes amazoniens-andins sur les derniers 120 millions d’années. Le chercheur du Smithsonian Tropical Research Institute a en particulier expliqué l’origine de l’abondante biodiversité de cette région intertropicale.
La cérémonie pour décerner le titre de Docteur Honoris Causa au paléobotaniste Carlos Jaramillo était à l’image du personnage. Ce 6 avril 2023, pas de décorum ni de toge – blocus du campus oblige – mais une salle de cours et un polo. « Un bricolage qui lui va bien », affirme Pierre-Olivier Antoine de l’ISEM, pour désigner celui qui est plus baroudeur qu’homme de cour. « Carlos Jaramillo a interpellé les jeunes qui bloquaient le campus, se rappelle son collègue de l’Université de Montpellier, “Les barricades, je connais, je suis colombien. Et je suis de tout cœur avec vous. Mais j’ai besoin de passer” Et il est passé. »
Chercheur au Smithsonian Tropical Research Institute du Panama, Carlos Jaramillo est plus précisément palynologue. Grâce au pollen récolté des abords de l’Amazone jusqu’au sommet des Andes, le quinquagénaire a reconstitué l’évolution des flores et paysages tropicaux américains au cours des 120 derniers millions d’années. « Il est le seul paléontologue à couvrir une période aussi longue », souligne Pierre-Olivier Antoine. « Sa réalisation d’un tableau séquentiel sur plus de 100 millions d’années qui permet de dater et de caractériser un milieu à partir d’un assemblage de pollen représente un travail de synthèse colossal », explique le paléontologue montpelliérain. Le pollen permet en effet de dater et signer la présence de nombreuses plantes et de reconstituer ainsi les écosystèmes du passé, mais aussi de comprendre les phénomènes évolutifs intervenus à l’échelle des temps géologiques. Des connaissances qui viennent éclairer la compréhension des changements actuels, a rappelé Carlos Jaramillo lors de son discours.
Près de 40 articles en deux ans
Pas homme de cour mais homme de réseau, Carlos Jaramillo collabore avec des équipes du monde entier. Pierre-Olivier Antoine travaille avec lui depuis 2008. Cette collaboration a valu à l’Université de Montpellier de l’accueillir en septembre 2019, comme professeur invité. L’invitation durera finalement deux ans, la période difficile du Covid ayant poussé le colombien à prolonger son séjour français. Deux années au cours desquelles « l’hyperactif » – comme le désignent ses collègues – a publié près de 40 articles scientifiques, dont il est le seul signataire pour l’UM. « Il a donc pleinement et volontairement participé au rayonnement international de l’université dans le domaine de l’écologie-évolution », l’a remercié le président de l’UM Philippe Augé lors de la cérémonie. Dans une de ses publications justement, parue en avril 2021 dans Science, le spécialiste de l’évolution des écosystèmes amazoniens-andins montre que la crise profonde à la limite du Crétacé-Tertiaire (qui a provoqué la quasi-extinction des dinosaures) est à l’origine de la biodiversité actuelle dans la région. La flore, dominée au Crétacé par les conifères, est alors largement décimée pour se reconstituer au cours des millions d’années suivant en faveur d’un nouveau règne végétal jusqu’alors marginal, celui des angiospermes.
Du flair
Au sein de l’ISEM, Carlos Jaramillo a fait l’unanimité. « Carlos échange avec tout le monde, participe à tous les séminaires, partage volontiers ses réflexions », confie, fan, Pierre-Olivier Antoine, qui ne peut s’empêcher de mettre en regard la convivialité du chercheur colombien avec ses difficultés pour prolonger sa carte de séjour : « Il s’en est fallu de peu qu’il soit sans papier ». Un savoir vivre également précieux sur le terrain, alors que la collecte d’échantillons dans des contextes socio-politiques parfois tendus nécessite de gagner la confiance des populations locales. « Sur le terrain, les gens nous cernent immédiatement. Si nous arrivons en position de colon, ça se passe mal… Avec Carlos, je n’ai jamais eu de problème », raconte Pierre-Olivier Antoine. Il ajoute : « Carlos a aussi du flair, une capacité à repérer dans des conditions difficiles là où les prélèvements contiendront les marqueurs recherchés ». Un talent précieux pour des équipes qui partent faire des missions à plus de 10 000 km de leur laboratoire avec le risque de revenir bredouille. Parmi ses découvertes majeures, Carlos Jaramillo compte le plus gros serpent jamais identifié, Titanoboa, d’une longueur de 14 mètres. Heureusement, ce titan s’est éteint… il y a 60 millions d’années !