Daniele Di Pietro : l’esthète des maths
Avec le projet NEMESIS, le mathématicien Daniele Di Pietro vient de décrocher un financement ERC Synergy de 7,8 millions d’euros. Son objectif : surmonter les barrières technologiques actuelles dans les simulations numériques de problèmes physiques complexes. Une consécration pour le directeur de l’Institut montpelliérain Alexandre Grothendieck qui raconte son parcours dans cette discipline à laquelle il ne se destinait pas.
C’est un langage pas comme les autres que parle Daniele Di Pietro. Non pas l’italien, sa langue natale, mais la langue des mathématiques, celle qui l’a amené de l’Italie à Montpellier. Dérivées, équations aux dérivées partielles, méthodes polytopales, des mots qui ne sonnaient alors pas à son oreille comme le chant des sirènes. Et pour cause, l’actuel directeur de l’Institut Montpelliérain Alexandre Grothendieck, du nom d’un autre grand mathématicien, se destinait plutôt à une carrière en mécanique des fluides numérique. Il opère pourtant un changement d’aiguillage aux prémices de sa thèse, lorsqu’il il fait la connaissance d’Alessandro Veneziani, un mathématicien passionné par son métier qui va lui insuffler son goût pour l’analyse numérique.
« A cette époque j’ai aussi compris que sans les maths je n’irai nulle part, car je n’avais pas assez d’intuition physique pour développer des simulateurs numériques », se souvient Daniele Di Pietro. Et cela tombe bien, car le jeune doctorant d’alors a « clairement des capacités en maths. C’est un langage formalisé qui sert à toutes les disciplines, car la première étape de la recherche c’est justement de formaliser un problème ». Les maths ? Elles sont partout, rappelle le chercheur, « dans votre ordinateur, dans votre téléphone, partout ». Universelles et pourtant tellement compliquées à partager. « Se faire comprendre des autres en traduisant nos recherches dans un langage courant, c’est vraiment une difficulté propre aux mathématiques et un véritable défi. Même avec nos confrères, on ne se comprend parfois qu’à 20 % : on parle la même langue, mais tous avec des patois différents ».
Dimension esthétique
Fort de cette nouvelle passion, Daniele Di Pietro part après sa thèse à Lausanne pour travailler en analyse numérique, et atterrit en 2007 dans l’Hexagone où il trouve un post-doc à l’Ecole des Ponts, pour décrocher ensuite rapidement un poste de chercheur à l’Ifpen. Une carrière exponentielle, qui continue avec une nomination comme professeur à l’Université de Montpellier en 2012, à 33 ans à peine, où il axe ses recherches sur le développement et l’analyse de méthodes numériques innovantes pour les équations aux dérivées partielles. Une recherche mathématique qui prend une dimension esthétique dans les mots de Daniele Di Pietro : « j’aime trouver la beauté dans les mathématiques, celle qui vient d’une idée, d’une étincelle ».
Avec plus de 100 publications à son actif, l’esthète-mathématicien qui dirige depuis maintenant 3 ans l’IMAG se félicite de l’attractivité d’un laboratoire qui a recruté 4 directeurs de recherche depuis le début de son mandat, une situation exceptionnelle. « La recherche en mathématique est très active, et l’IMAG se distingue particulièrement dans le dépôt de projets », détaille Daniele Di Pietro. Et le dernier en date n’est pas le moindre : le chercheur vient de décrocher un ERC synergy, « les plus gros projets financés par l’European Research Council, pour lequel nous avons obtenu 7,8 millions d’euros dont 4,4 millions pour l’IMAG », précise le directeur du laboratoire, qui est accompagné de trois autres chercheurs de renommée internationale : Jérôme Droniou de l’IMAG, Paola Antonietti, du Politecnico de Milan et Lourenço Beirão da Veiga de l’Université de Milan Bicocca.
Raconter une belle histoire
Le projet NEMESIS a pour objectif de développer des méthodes numériques innovantes pour les équations aux dérivées partielles, afin de concevoir une approche plus flexible de la simulation numérique de problèmes physiques. « Un projet à la base difficile à expliquer, car le jury pluridisciplinaire n’est pas composé que de mathématiciens : il fallait faire en sorte d’être compris par tout le monde », détaille le chercheur, pour qui rédiger un projet c’est un peu comme raconter une histoire. « Pour faire la synthèse, il faut choisir les bons objets, c’est un peu comme choisir les bons personnages pour raconter une belle histoire dont on est bien sûr le héros, puisqu’on se propose de résoudre le problème présenté. »
Et pour faire comprendre ce projet d’envergure, le chercheur précise également à quoi il pourrait servir. « Plusieurs applications sont ciblées par Némésis, parmi lesquelles la magnéto-hydrodynamique, impliquée par exemple dans la fusion de l’aluminium, et les écoulements en milieux poreux et fracturés, qui interviennent dans les processus de stockage du CO2 ou dans l’évaluation des risques dans le stockage des déchets nucléaires. »
Féminiser les mathématiques
Ce financement exceptionnel, Daniele Di Pietro s’en réjouit mais dit aussi qu’il « va bien l’occuper. C’est un énorme projet, et c’est aussi une pression énorme ». Prochaine étape : recruter une dizaine de doctorants et post-doctorants à l’IMAG pour travailler sur NEMESIS. « C’est difficile, car nous cherchons des profils excellents et très autonomes : nous devons trouver des candidats de très haut niveau ». Des candidats ou des candidates ? « Les mathématiques ont longtemps été un domaine de recherche très masculin, reconnait le chercheur, mais depuis quelques années la discipline rattrape de façon considérable son retard en la matière et le milieu se féminise beaucoup », explique le directeur de l’IMAG, avec une volonté affichée d’assurer aux hommes et aux femmes les mêmes opportunités. « Bien sûr, notre premier critère de recrutement reste l’excellence. Mais, à niveau égal, on privilégie le fait d’embaucher des femmes pour rattraper ce retard de parité ».
Le prochain problème de taille auquel le directeur de l’IMAG va être confronté sera celui de l’hébergement. « Pour accueillir les nouveaux recrutés, on va devoir pousser les murs ». En attendant de lancer cette campagne de recrutement d’envergure qui débutera en janvier 2024, le mathématicien a fait un premier investissement qui trône sur son bureau : un très grand écran. Délaissant ainsi le tableau noir qui nourrit l’image d’Epinal du mathématicien y écrivant des équations incompréhensibles pour le commun des mortels ? « Il faut reconnaitre que l’image est en partie vraie, mais je suis allergique à la craie », confesse Daniele Di Pietro. Une particularité qui le tient éloigné du tableau noir mais qui ne l’aura pas empêché d’épingler fièrement cet ERC sur un tableau d’honneur déjà bien rempli.