Jean-Philippe Pin : du glutamate plein la tête
Couronnée cette année par le prix Lamonica, la carrière en pharmacologie moléculaire de Jean-Philippe Pin, directeur de recherche à l’Institut de génomique fonctionnelle (IGF) de Montpellier, ouvre des pistes thérapeutiques pour le traitement de maladies neurologiques et psychiatriques.
Dans quelques mois, Jean-Philippe Pin fêtera ses quarante ans à l’Institut de génomique fonctionnelle (IGF) de Montpellier. « Quarante ans que je travaille sur les récepteurs du glutamate », s’amuse le directeur de recherche au CNRS. En l’écoutant raconter ses travaux, la fidélité à son sujet d’étude s’éclaire. Tester le rôle de ce neurotransmetteur majeur ouvre sur la complexité des régulations dans le cerveau, avec des pistes thérapeutiques pour le traitement des maladies du système nerveux comme la schizophrénie ou les maladies neurodégénératives. Et autant le dire tout de suite, Jean-Philippe Pin n’a plus besoin de faire ses preuves. Il a reçu le prestigieux prix de Lamonica de neurologie en 2022, onze ans après avoir reçu la médaille d’argent du CNRS.
Interrogé sur sa carrière, Jean-Philippe Pin ne commence pas par ses prix mais par ses débuts. Étudiant en maitrise, il intègre à Montpellier le laboratoire de Joël Bockaert au Centre de pharmacologie-endocrinologie, devenu ensuite l’IGF. Le jeune chercheur se plonge dans l’étude du mécanisme d’action du glutamate, dont le rôle majeur de neurotransmetteur est alors méconnu. « La communauté scientifique n’imaginait alors pas que ce simple acide-aminé pouvait être le neurotransmetteur le plus important puisqu’on retrouve ses récepteurs sur 80% des synapses », explique-t-il. Après avoir participé en 1985 à la découverte des récepteurs du glutamate couplés aux protéines G – résumé par le laborieux acronyme mGluR –, le scientifique entre au CNRS en 1988. Puis direction les États-Unis pour un postdoctorat au Salk Institute en Californie, à propos duquel il lance, laconique : « je vois passer les trains ». Autrement dit, il participe à la course pour séquencer les gènes des récepteurs mGluR, mais d’autres équipes découvrent avant lui les huit gènes qui codent les huit récepteurs connus.
La plateforme technologique Arpege
Bon perdant, Jean-Philippe Pin s’intéresse alors au décryptage de leurs mécanismes d’activation. Avec en tête le projet de découvrir des voix d’actions inédites pour le traitement de maladies neurologiques et psychiatriques. En effet, ces récepteurs s’avèrent des cibles médicamenteuses intéressantes. Dans le département de pharmacologie moléculaire qu’il crée en 2003 au sein de l’IGF, Jean-Philippe Pin développe de nouvelles techniques d’analyse à haut débit dédiées à l’étude de cette catégorie de récepteurs. Facile à dire mais encore faut-il trouver les moyens financiers. Les collaborations avec des laboratoires pharmaceutiques ouvrent des pistes, mais elles tournent court après quelques années, faute de résultats cliniques probants.
Finalement, le salut viendra d’autres collaborations. Jean-Philippe Pin crée la plateforme technologique Arpege, ouverte aux chercheurs et chercheuses qui souhaitent tester des récepteurs couplés aux protéines G. « Une mutualisation qui nous permet d’avoir accès à des ingénieurs et des équipements comparables à ceux de l’industrie », se félicite le chercheur. Le rapprochement avec la société de biotechnologie Cis-Bio qui fournit les laboratoires en kits de criblage, permet par ailleurs à son équipe d’avoir accès à des technologies et des outils « inaccessibles à nos concurrents académiques ». Pour parfaire le triptyque scientifique et technologique, un post-doctorant chinois permet à l’IGF de monter dès 2004 une collaboration avec un laboratoire à …Wuhan. « Toute la partie de la recherche sur la structure atomique est faite là-bas grâce à des équipements inaccessibles à nos équipes ici, comme des microscopes électroniques », souligne le chercheur, qui, chaque semaine, fait une réunion en visio avec ses collègues de la ville chinoise devenue connue comme le berceau du covid-19.
La médecine du futur
Mais la recherche n’est bien sûr pas qu’une histoire de moyens. Parmi ses bonnes intuitions scientifiques, une nouvelle hypothèse sur les récepteurs de glutamate se révèle juste : les récepteurs sont faits de deux parties qui ne sont pas nécessairement identiques. Cette hétérogénéité jusque-là inconnue est aujourd’hui « reconnue par la communauté scientifique », précise celui qui dit aimer « challenger les dogmes en science ». Son autre challenge du moment est de miser sur les anticorps plutôt que sur des molécules chimiques comme traitement. Avec son équipe, il teste l’action des anticorps sur les fameux mGluR dans le cerveau et ses effets sur la schizophrénie.
Avec cette fois un train d’avance, il imagine la médecine du futur en travaillant sur des traitements à partir de molécules photo-contrôlables. L’intérêt ? Déclencher l’activité d’une molécule grâce à une diode, ce qui permet de localiser précisément son action. « C’est un enjeu important de pouvoir cibler une zone du cerveau parce qu’une même molécule peut avoir des effets différents selon qu’elle agit dans le cervelet ou le globus pallidus par exemple ! », raconte Jean-Philippe Pin. Le prix de Lamonica vient distinguer cette année ces perspectives pour de nouveaux agents thérapeutiques, et rapporte au passage 100 000 euros à l’IGF et 10 000 à celui qui a été son directeur entre 2011 et 2020.