Katerina Ioannidou : De la physique molle aux applications en béton
Chercheuse au laboratoire de mécanique et génie civil (LMGC) à Montpellier, Katerina Ioannidou a obtenu la médaille de bronze du CNRS en 2024 pour ses travaux en physique statistique sur les bétons poreux. Des recherches qui contribuent à concevoir des matériaux capables de stocker de l’énergie et séquestrer du carbone.
Une physicienne spécialiste du béton. Katerina Ioannidou reconnaît que son objet de recherche peut surprendre. « J’avais trouvé ça très bizarre qu’on me propose une thèse sur la physique du ciment », se souvient la chercheuse au Laboratoire de mécanique et génie civil, un matériau ordinaire qu’elle trouve d’abord trop peu « exotique. Mais finalement, c’est un matériau passionnant, très difficile à étudier et à modéliser, car on n’est jamais sûr de ce sur quoi on travaille », ajoute l’intéressée. Une complexité liée à la quantité de réactions chimiques qui se produisent dans le ciment. Le sujet convient a priori mal aux physiciens qui préfèrent des matériaux plus prévisibles.
Bien lui a pris de poursuivre l’exploration de matériaux aussi complexes. La compréhension de leurs principes fondamentaux, modélisés grâce à la physique statistique, lui a valu une médaille de bronze du CNRS en 2024. Ses travaux intéressent car ils sont applicables à des solutions de stockage de l’énergie et de séquestration du CO2 dans le ciment. Des enjeux industriels énormes alors que le ciment – principal composant du béton auquel il sert de liant – est le matériau le plus consommé dans le monde. Sa production génère 7% des émissions mondiales de dioxyde de carbone (chiffres GCCA). Pour réduire cette empreinte, les travaux de Katerina Ioannidou explore deux pistes. D’abord créer des matériaux de construction multifonctionnels, capable de stocker de l’énergie.
Transformer un bloc de béton en batterie
« Par exemple des lampes en béton qui serait capable de stocker de l’énergie produite par des énergies renouvelables et pourraient la restituer sous forme de lumière », explique la physicienne qui a commencé à travailler sur un béton super-condensateur alors qu’elle faisait un postdoctorat au Massachusetts Institute of Technology (MIT) à Boston, dans un laboratoire international associé au CNRS.
Grâce au programme Momentum lancé en 2016, elle finance son projet sur des bétons destinés à des bâtiments énergiquement autonomes. L’hypothèse est d’utiliser la porosité du ciment en la comblant avec du noir de carbone (ou carbone poreux), un matériau bon marché et dont les propriétés permettent de transformer un bloc de béton en batterie. Plus précisément, la conductivité et la porosité du noir de carbone permettent de le charger en ions, ce qui permet un stockage électrochimique de l’énergie. Ces travaux sont couronnés par un brevet en 2017 et un poste au CNRS l’année suivante.
Katerina Ioannidou travaille également sur une autre application, la séquestration du CO2 dans le ciment. L’idée est d’accélérer le processus de carbonatation, une réaction avec le dioxyde de carbone qui permet de le fixer. Si cette réaction existe naturellement, elle est très lente. Grâce aux caractéristiques du noir de carbone ajouté au ciment, la réaction ne met plus des dizaines d’années mais seulement quelques semaines. « Ces solutions ne sont pas encore déployées à large échelle et ne permettent pas de tout résoudre. Mais elles ont déjà le mérite de montrer l’ampleur du problème aux industriels », commente celle qui travaille en particulier en collaboration avec le cimentier grec Titan sur des ciments nanoporeux.
La physique de la matière molle
Depuis sa thèse dans un département d’ingénierie civile à ETH Zurich, la chercheuse se confronte à l’application industrielle de ses recherches. Elle raconte d’ailleurs qu’elle a volontiers troqué la physique théorique de son master à l’université d’Utrecht aux Pays-Bas pour de la physique de la matière molle. « Une physique appliquée dans laquelle je peux projeter mon travail de modélisation numérique sur les matériaux qui m’entourent. Au début, la discussion avec les ingénieurs n’était pas facile car ils sont moins intéressés à la compréhension des mécanismes qu’aux résultats pratiques. Mais ces échanges ont été un très bon exercice pour trouver un langage commun. »
Celle qui a commencé sa carrière par un tour d’Europe, entre une licence en Grèce d’où elle est originaire, un master aux Pays-Bas, une thèse en Suisse, puis une incursion aux États-Unis avant de venir travailler en France, trouve une singularité à la recherche dans l’Hexagone : « Ici, j’apprécie beaucoup la collaboration entre chercheurs et chercheuses, les relations sont plus ouvertes et moins compétitives que dans les pays où le modèle anglo-saxon domine. Le principal point noir en revanche, c’est l’accès aux financements. »