Lutz Gade, l’esthète de la chimie

Titulaire de la chaire de chimie inorganique de l’Université de Heidelberg, directeur de l’institut de chimie inorganique, Lutz Gade a su acquérir au fil des années une expertise de renommée mondiale dans son domaine. Au-delà de son parcours académique, c’est aussi au titre de son investissement dans la coopération entre l’Université de Heidelberg et de l’Université de Montpellier qu’il a reçu le titre honorifique de docteur honoris causa de l’UM en février 2025.

Les quelques notes de musique jouées en introduction ont donné le ton. Un air du Johann-Sebastian Bach, délicat et harmonieux, comme le grand compositeur allemand sait si bien faire. Voilà qui convenait à merveille à la cérémonie destinée à décerner le titre honorifique de docteur honoris causa de l’Université de Montpellier à Lutz Gade, élégant chercheur de l’Université de Heidelberg dont la renommée internationale est incontestable. Avec près de 350 publications et plus de 60 thèses encadrées à son actif, ce membre du prestigieux Institut universitaire de France a déjà été décoré par de nombreuses récompenses, dont le prix franco-allemand de la Société chimique de France en 2017.

Science et esthétique

Sa spécialité ? Son parrain, Éric Clot, directeur de recherches au CNRS, à la tête de l’Institut Charles Gerhard de Montpellier depuis 2021, nous explique que « Lutz Gade est un expert de la chimie organométallique des métaux de transition, laquelle consiste à positionner des molécules organiques autour d’un métal pour en modifier les propriétés, et donc le comportement ». Un domaine dans lequel les propriétés des molécules « organiques » et « inorganiques » viennent mutuellement s’enrichir et au sein duquel il a fortement contribué au développement de fortes interactions entre théorie et pratique.

Mais en choisissant de faire une présentation centrée sur « la symétrie : principe directeur en chimie », Lutz Gade a montré une facette moins connue de sa personnalité. Celle d’un chercheur cultivé, un esthète, heureux de pouvoir partager la fascination pour la structuration des molécules, autant d’un point de vue scientifique qu’esthétique, avec le plus grand nombre. Se questionnant sur ce qui guide ses travaux, il reconnaît volontiers que « la chimie est une science créative. En tant que chimiste moléculaire, c’est la géométrie des molécules, l’agencement des atomes dans l’espace dont la construction contrôlée a été l’objectif de mes travaux scientifiques ». Le tout dans un français impeccable.

Le goût du voyage

L’international, Lutz Gade est tombé dedans quand il était petit. Né à Bonn, il passe une partie de son enfance en Afrique du Sud. De retour en Allemagne à l’adolescence, il s’oriente vers la chimie qu’il étudie à Bonn et à Munich. Très vite, il repart vers de nouveaux horizons géographiques, puisqu’il prépare sa thèse de 1989 à 1991 au sein de la très prestigieuse université de Cambridge, en Angleterre, sous la direction d’un ponte de sa discipline, Lord Jack Lewis. Un goût du voyage qui ne le quittera pas, lui qui parle plusieurs langues couramment : afrikaner, anglais, espagnol, français…Le brillant chercheur allemand développe rapidement de premières attaches avec la France, puisqu’après quelques années passées à l’Université de Würzburg, où il obtient son habilitation et devient maître de conférences, il enseigne la chimie inorganique à l’Université Louis Pasteur de Strasbourg dès 1998. Il y prend très rapidement de nombreuses responsabilités, y dirigeant notamment le laboratoire de chimie organométallique et de catalyse.

Et Montpellier dans tout cela ? Quand Lutz Gade arrive à l’Université de Heidelberg en 2003, en plus de son travail de recherche et d’enseignement, il prend en charge la coopération avec l’Université de Montpellier, partenaire historique de l’établissement allemand (voir encadré). Hasard des choses, il se trouve que quelques années plus tôt, il avait signé des papiers en commun avec un jeune chercheur en chimie théorique du CNRS nommé Éric Clot. Après trois publications communes et des occasions ratées de mettre un visage sur un nom, les deux hommes se rencontrent enfin en 2005. Rien ne se passe, chacun est pris par ses recherches, le temps file.

Un allié tenace

Il faut attendre 2014 pour que les premières collaborations deviennent concrètes. « Lutz souhaitait que ses étudiants viennent à Montpellier pour être formés à la chimie computationnelle », raconte Éric Clot. Des liens amicaux se tissent, des affinités naissent sur le plan scientifique comme culturel, « une attirance pour les cultures étrangères mais aussi la gastronomie, dont les bons vins ». Avec la même volonté de faire bouger les choses en développant des collaborations scientifiques entre deux institutions au long passé commun. « Lutz Gade n’est pas qu’un chimiste, c’est une personnalité au charisme et à la prestance indéniables qui sait se donner les moyens d’agir politiquement. Il est aussi chaleureux que tenace : il ne lâche pas l’affaire facilement » reconnaît Éric Clot.

Grâce aux efforts communs, des rapprochements ont lieu, entraînant dans leur élan Pascal Dumy, directeur de l’Ecole nationale supérieure de chimie (ENSCM). Bilan : un mini-symposium de chimie se déroule à Montpellier en janvier 2024 et deux thèses de chimie sont en cours en collaboration entre les deux universités. Les projets ne manquent pas. « Je me réjouis de continuer à travailler avec vous sur des projets scientifiques. Mais nous nous laisserons également guider par notre curiosité, par notre soif de connaissance », conclut le chercheur allemand lors de son discours de récipiendaire. Au-delà du rôle actif qu’il joue à l’Université de Heidelberg, Lutz Gade est un allié de longue date de l’Université de Montpellier. Un ami de plus de vingt ans.

Montpellier-Heidelberg : une longue histoire

Depuis plus de cinquante ans, l’Université de Montpellier (UM) et l’Université de Heidelberg (UdeH), deux des plus anciennes universités européennes, entretiennent des liens privilégiés. Parmi les temps forts de cet historique commun, notons de premiers accords officiels entre les représentants de la section de médecine de l’Université de Heidelberg et la coopération d’étudiants en médecine de Montpellier en 1956 ou encore la signature d’une charte d’amitié entre les étudiants des établissements universitaires de Montpellier et Heidelberg en 1957. Cette dynamique conduit au jumelage des deux villes en 1961.

La coopération franco-allemande se développe rapidement entre les facultés de droit, avant de s’étendre à de nombreux domaines comme la pharmacie, les sciences économiques, les mathématiques, la physique, la chimie… Il en résulte un partenariat stratégique de premier plan au sein duquel se déclinent toutes les facettes d’une collaboration riche et diversifiée : échanges étudiants (plus de 195 mobilités depuis 2010), échanges et collaborations scientifiques, cotutelles de thèses, création de programmes communs…